Illustration de René BOUSCHET (R&B).
Il était une fois un vieux monsieur dans les années 50 et 60, notre voisin. Un bien vieux monsieur sans âge, oui, et certainement bien plus âgé !
Il était une fois un vieux monsieur dans les années 50 et 60, notre voisin. Un bien vieux monsieur sans âge, oui, et certainement bien plus âgé !
Moi, je l’aimais
bien mais il me faisait parfois peur. Faut dire que vers 1956 je n’avais qu’onze
ans, et à cet âge, les grandes personnes sont toujours inquiétantes, surtout celles
de ta famille.
Ce vieux monsieur,
Marc-André était impressionnant. Une moustache de sapeur, un teint olivâtre,
des mains en battoir de lavandière, les sourcils de Zeus, une canne de buis
travaillée, et portant un pantalon en côtes de velours, une veste de bleu de travail et un béret. Un petit béret bien civil.
Pour l’ennuyer,
tous les minots l’appelaient pépé ce qui avait le don de le mettre en fureur.
Moi, je le craignais et ne m’amusais pas à ces gamineries. J’étais obligé de
passer près de pépé et de sa canne pour rentrer à la maison et, comme par un
fait exprès, j’avais le sentiment qu’il ne faisait que m’attendre. Comme un
portier, un huissier ou un concierge.
-Bonjour,
Monsieur Marc.
Monsieur
Marc qui avait définitivement banni l’André de son nom composé, m’apostrophait :
-Alors, petit… Les ortolans, tu aimes les
ortolans ?
Les ortolans
dits à l’ancienne, en roulant les Rrrrreu. Parce que monsieur Marc avait une
bien vilaine dentition qui l’obligeait à cette roulure des Rrrreu.
Ai-je dit
roulure ? Oui ? Disons roulade. Pas roulade ? Roucoulade, alors… je ne sais
comment dire cette prononciation des Rrrreu. Mais je sais que vous m’avez
compris.
Enfin, moi
je prenais Monsieur Marc-André pour un original qui déménageait du bocal avec
ses Orrrreutolans !
Lorsque j’ai
eu ma première perm à l’armée, je suis revenu chez-moi. Mon vieux voisin s’était
cassé un peu plus, mais la canne, le pantalon de velours, la veste du bleu de
travail et le béret étaient toujours sur leur porte-manteau d’huissier de ma maison.
Parfois, je me demandais s’il avait d’autres fringues à se mettre. Mais non.
Toujours les même.
-Alors, mon garçon… tu as goûté aux orrreutolans ?
-Vous savez,
moi Monsieur, les oiseaux, je ne chasse pas.
-Ca n’empêche, mon garçon. Mais les orrreutolans, ou le sanquet d’orrreutolan, rien de meilleur. Crois-moi !
Les
ortolans. Il m’ennuyait quand même, le vieux à répapier. Mais bon, les orrreutolans…
J’ai vécu à
Palavas les Flots, découvert l’oursin, le petit violet ou le vert. Un délice.
Je me suis
fait chasseur, spécialiste de la poule d’eau et de la viande faisandée.
Là-aussi, quel plaisir.
J’ai découvert
Dieppe et les moules. Ah... ah ! la moule normande. Rien de meilleur. Petite mais
gouteuse.
Mais l’ortolan ?
Je n’ai pas connu.
De temps à
autre, je redescendais au Vigan voir ma vielle mère. Et je tombais toujours sur
le vieux Marc-André, toujours aux huisseries, de plus en plus cassé sur sa
canne :
-Alors, mon grand. Ces orrreutolans, tu les as
goûtés ?
-Ben, non Monsieur Marc. Un jour,
peut-être un jour !
-N’attends pas trop, mon gars. A mon âge, tu
regretteras les orrreutolans !
-Vous avez
raison, Monsieur. J’irai les goûter.
-C’est bien, mon petit. Tu me diras le goût
que je ne me rappelle plus !
J’avais
oublié les ortolans de Marc-André quand je fis la connaissance de Jeanne, une
jolie rouquine du Tarn-et-Garonne, un petit bijou comme on n’en fait plus, menue, des yeux verts, une taille de guêpe, un galbe de jambe à tomber à la
renverse, une chute de reins de déesse... mais rouquine ! Et coquine ! Et une voix
suave à tomber en pâmoison d’adoration quand elle roulait les Rrrreu...
-Mon amourrrreux.
Oui, les orrreutolans
de Marc-André, je les avais oubliés au pays des ortolans, un comble, jusqu’au
jour où ma gentille Jeanne, ma rouquine qui sentait fort la vanille me dit, en
m’emmenant vers notre couche :
-Viens chéri, je vais te faire goûter mon
petit orrreutolan !
Imaginez-vous
qu’elle ne portait pas de culotte. Elle a mis ma tête sous sa robe légère, et
la rabattant, elle m’a susurré :
-Mange mon petit oreutolan, chéri. Mets-y
aussi les doigts. C’est meilleur !
Et
Marc-André, me direz-vous ? Es-tu allé lui dire pour les ortolans ?
Oui. Je suis
retourné chez-moi. Il était mort à peu de jours de ma dégustation d’ortolan. Cela
m’a causé une peine immense. Mais, c’est la vie. Ne croyez-vous pas ?
Pont d'Hérault le 25 décembre de l'an de Grâce 2012.
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