Notre village sans nom se
voulut cossu car anciennement fortifié, sans nul doute pendant la guerre de Cent
ans pour bouter hors du Roussillon le Prince Noir et ses maudits anglois. Ici, l'église massive et fortifiée renforçait un coin du rempart ouest, du côté opposé à la rivière. La
petite ville disposait d’au moins deux portes monumentales, Sainte
Anastasie et Sainte Barbe*, cette dernière démolie bien avant la révolution
pour des commodités d’aménagement territorial.
*Ndlr : Par respect
des saintes, nous avons changé le nom des portes de la ville. Que Dieu nous pardonne !
A la fin de la
Renaissance, le village appartint un temps à un évêque, puis un archevêque de
la Maison des Médicis la lui racheta. Oui, cela se faisait à l'époque. Ses habitants compris ? Je veux, oui ! Et pourquoi pas ?
Pourtant, ce village qui
ne compte plus aujourd’hui qu’un millier d’habitants ne fut jamais le
chef-lieu d’une quelconque contrée bien qu’il disposât d’un hôpital et de deux
chirurgiens qui mirent quelque mauvaise volonté à rejoindre la Grande Armée.*
*Ndlr : ... de
Napoléon (qui n'apprécia pas, il va sans dire et leur fit botter les fesses). - Dites-moi, Monsieur,… le nom de ce village, je le trouve bien étrange.
- Pas tant que cela car il vient du nom d’un
légionnaire romain qui se fit offrir cet endroit, y installa sa villa, cultiva
son domaine et le pacifia. Des autochtones s’y joignirent et un petit village
se posa au bord de "la Cesse" pour y prospérer en paix.
- "La Cesse". Drôle de nom pour une rivière.
- Pas tant que ça : notre rivière, dans le temps qu’elle apporte la richesse est fantasque, volage, même et peut changer
de lit pour y revenir quand ça lui chante et la plus grosse partie de
ses eaux échappent sous terre ce qui ne l’empêche pas de déborder et de tout
casser en période de crue.
Il est vrai que la ville
n’a jamais eu de chance avec ses ponts, tous emportés sauf le dernier… enfin le
dernier jusqu’aux prochaines crues, et nous étions sur ce pont monumental, un samedi
soir de juillet, vers les 23 heures à tenter de prendre la fraîche, mon nouvel
ami, Robert Miquel, boucher à la retraite que je questionnais, encore et
encore :
- Et c'est ce dimanche que les paras du 3ème RPIMA sauteront ?
- Oui. En bas du pont. Dans le lit de la Cesse.
- Et, d'ici on peut voir la manufacture que Colbert a fait bâtir… on se demande bien pourquoi.
- Oui. Et, pourquoi dans ce petit village ? Mais foi, je n’en sais trop rien. On
y faisait des draps de lin célèbres, exportés surtout au Levant. Je crois que
la manufacture creva de la Révolution, ou à la Révolution ? Je ne sais, ainsi que la chapellerie du coin quand
les jeunes hommes ne portèrent plus de chapeau… Vous savez des modes… Ah, oui ! Des toiles de lin pour la Grande Porte, le Grand Turc
était l’ami d’Henri IV et de Louis XIV, ceci expliquant sans doute cela. Oui ?...
et de quoi vivait le village ? De la
viticulture et la culture de l’ail. De carrières, aussi. Et de chênes truffiers communaux. Mais,
c’est une autre histoire.
- La gare et la voie ferrée sont désaffectées… Ici,
peu ou pas de commerces, donc on pourrait penser que le village…
- … se meurt ? Vous savez, la vie évolue, change mais
le village vit bien. Tiens, rien que culturellement. Mais pas que… Oui, tout
change.
Pour ma part, j’estimais
que ce village vivotait…
- Soit, mais la culture ne fait pas tout. Et, la monoculture ne rapporte qu'aux gros propriétaires.
- Pas d’accord avec vous, mais passons. En général, les villages
renaissent toujours de leurs cendres. Il n’en demeure pas moins que la
Révolution française, Monsieur… Oui, la Révolution, et les guerres de Napoléon
1er, et surtout son Code Civil avec la fin du droit d’ainesse qui morcela les propriétés et la terre tomba en
quenouille et, ici, le village vivait surtout de ses terres, vous comprenez ? Il
y eut aussi la crise de la viticulture en 1907, puis les coopératives viticoles
qui redonnèrent espoir… Nous sommes une terre de vin, et de bon vin. Alors, l'espoir, vous savez !
- Vous croyez donc qu’un grand chambardement sans une
analyse fine... et donc que le génie de Napoléon causa
de grands malheurs à la France… et que le partage des terres dans un souci d’équité,
d’égalité fut une belle connerie ?
C’est possible… Et donc, vous êtes
retraité ?
- Oui. J’étais dans la boucherie. Plus de 60 ans. Je
n’aimais pas tuer. Vous savez… et tout ça au merlin. C’est terrible. Même à
l’époque... J’avais douze ans quand mon père m’a fait quitter l’école pour le
métier. Fallait bien reprendre un jour la boucherie familiale. Et puis, les normes sanitaires ont obligé à la
fermeture de l’abattoir du village qui n’était plus aux normes, question qu’il dégueulait
ses tripes dans la rivière. Puis, on a mutualisé la profession de tueur à
Carcassonne et Perpignan. J’en fus soulagé.
- Et vous… vous êtes en vacances chez-nous ?
- Un peu. J’aime voyager. Un jour ici, un jour là. Retraité
aussi. Educateur. Et j’écris. Oui… Oh, des histoires communes, simples, de tous
les jours. Non, non… c’est surtout la façon de raconter qui importe. Le sujet
peut être anodin… pardon ? Des exemples ? Je ne sais pas, mais
imaginez que j’aimerais raconter votre village. Rien que le nom de la rivière,
"la Cesse", tout un poème.
- Alors, comme ça, vous aimez écrire… Vraiment ? Mais
vos histoires, elles racontent quoi ?
- La vie. Par exemple, je suis curieux de tout, des
choses, des gens… Votre village me plaît, m’inspire. Avec une histoire intéressante,
des personnages de tous les jours que je replacerais dans leur contexte… déjà
que j’aime observer... Par exemple, j’essaierai de comprendre comment des gens
intelligents, à preuve la construction de leurs belles bâtisses de pierre taillées,
comment vos ancêtres avaient pu les disposer près d’une rivière fantasque qui
les inondera régulièrement de plus d’un mètre. Drôle de cadeau pour leurs hoirs !
Oui, parler de vos maisons solides et spacieuses bâties par d’excellent
limousiniers. Ensuite, je constaterai que le village fut riche puis déclina.
Pourquoi ? C’est intéressant d’essayer de le comprendre. Oui, la
psychologie des gens du cru en fut certainement très affectée. Oui, la richesse…
ça vous pose un bonhomme, un village…
Tiens, votre cimetière… on sent la richesse là plus
ici qu’ailleurs. Cela doit être un régal de se faire enterrer plutôt ici qu'ailleurs. Ne trouvez-vous pas ?
- Ma foi... Donc, vous aimez écrire ?... Et si j’avais une
petite histoire pour vous ?
Et Robert Miquel avait une
belle histoire pour moi tout seul. Lorsque je la racontais à mon retour à René
BOUSCHET, notre dessinateur…
- C’est l’histoire de Manon des Sources que tu me chantes-là.
- Ah, merde, alors ! Tu en es bien sûr ?
Tant pis. J’ai promis à
Robert MIQUEL, boucher du village à la retraite de la lui envoyer lorsque je l'aurai écrite. Et puis j’avais
envie qu’on n’oublie pas Georges GUILLERMIN, pâtre en ces lieux, car il faut ce
qu’il faut.
Pourquoi Georges
GUILLERMIN ? Pourquoi ? Mais... Parce que !
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