vendredi 3 mars 2017

De la déprime - 1

Que je vous rassure : le texte qui suit sera long comme une bonne grosse déprime, aussi le saucissonnerai-je en épisodes. Tant pis pour vous, et c'est parti pour un tour.
-Hé ! Dédé. Depuis le temps qu'on ne s'est vu... Alors, ces sangliers, combien cette semaine ?
-La chasse ? Fini. Mon psychiatre m'a fait vendre mes fusils. Il en avait peur.
Dédé, un type bien, toujours joyeux, un maître dans son boulot. Un ancien collègue. Triste de déprimer ainsi à la retraite en une sorte de burn-out de la vie. Incroyable mais possible, non ? Bon, ben, que faire ? A éviter à l'avenir ? Pourtant, ton bon cœur commande et tu aimerais l'aider en souvenir du passé, alors tu lui dis gentiment, parce que tu sais que tu ne pourras rien pour lui, qu'il le sait et n'attend plus rien de personne :
-Bon, ben... si je peux faire quelque chose pour toi, n'hésite pas à m'appeler, je suis dans l'annuaire. 
 
Cette conversation était fraîche comme la rosée, comme celle qui suit :
-On m’a dit que tu déprimais grave ! 
-Tiens ! On m'a dit. Ton petit doigt ?
-Arrête ! Ben, c'est vrai que tu fais tristounet, tout seulet !
-Assieds-toi à ma table et jouissons de ce soleil de début mars. Un café ?

Tous, nous détectons, au premier coup d’œil les changements d’attitude, de démarche, de regard chez nos amis mais, lorsqu’ils ont rasé barbe et moustache ou que nos compagnes se sont mises en beauté, nous sommes bien incapable de le déceler immédiatement :
-Tu n’as encore rien remarqué. C’était bien la peine…
Curieux, tout de même qu'au vu du résultat, le coiffeur coûte aussi cher mais, de la perspicacité, parlons-en.

J’ai toujours essayé d'éviter, dans l’ordre et en vrac les fous, les dépressifs, les ivrognes, les drogués, les agressifs, les suicidaires, les m’as-tu-vu, les fanfarons, les hâbleurs, les grossiers au langage châtié, les uniformes, les fanfares militaires, les curés, les pasteurs et tous politiques ou exaltés ce qui nous fait beaucoup de monde tout en me demandant pourquoi je les attirais. Pour les susceptibles, sachez que je ne parle pas de vous, et jamais ne vous éviterai tant j'ai plaisir à vous fâcher. Si, si : rassurez-vous.
-Bravo, et te voilà toujours seul. Imagine un monde où tous se comporteraient comme toi… Un paradis infernal ! Enfin, tu me comprends.
Non, je ne comprends pas, mais alors-là, pas du tout. Ah, j'oubliais les radins à faire connaître impérativement pour que vous puissiez les éviter soigneusement. Une engeance de l'humanité que ces déséquilibrés !

Tiens, samedi, boîte de nuit avec des copains. Vous n’aimez pas danser, sauf avec Fanny présentement absente pour cause de Bénin. Donc, vous vous tenez au bar en espérant qu’une jolie nana veuille bien s’ennuyer comme vous pour se défatiguer de sa semaine, une vodka-orange à la main. Cette boisson des années 70 aurait passé de mode ? Soit, aussi allons au résultat.

La nana ? Compte là-dessus et bois de l'eau fraîche, et voilà que le seul type de service qui déprime dans la foule, tu te le coltines et l'autre qui croit que tu dois partager ses misères pour lui mettre du baume au cœur. Et les glaçons de ta vokka-orange qui fondent trop rapidement tellement tu serres ton verre. Tu es énervé, quoi ! Je ne dis pas que racontés avec dérision, en homme du monde et légèrement sur un mode ludique, tous malheurs ne seraient pas rafraîchissants, surtout lorsqu'ils concernent votre prochain. Donc, ce type qui ne se présente même pas, et toujours :
-Je bois, eh oui, je bois, monsieur. Depuis que ma femme m’a quitté.
Tout psychologue averti te ferait remarquer que ce type t'a choisi parce qu'il te voit tout seul au bar et qu'il pense que tu bois parce que ta femme t'a quitté. Ben, non : mon amour est au Bénin.

Je bois, qu'il me dit, l'autre. Pas besoin de me le faire remarquer, ça se voit. Moi, lorsque je bois, je le tais et fais tout pour que cela ne se remarque en me tenant, moi Monsieur. Mais, ça, tu ne le lui dis pas.Trop gênant.

Le type ? Faut bien lui parler, on n'est pas des monstres d'égoïsme alors je lui sors que je compatis, genre : "Ah, la vie!" qui ne veut rien dire pendant que, dans ma tête j’inverse son discours pour mieux appréhender la situation, une déformation professionnelle bien utile.
-Si je te comprends bien, à force de boire comme un trou ta femme en a profité pour te quitter. De toute façon, ça faisait longtemps qu'elle se cherchait une bonne excuse, l'ami.
Attention, ça, je me le garde en réserve mais ne garantis pas que je ne le lui serve froid, à ce gai luron qui, dès l'entame commence à me gonfler sérieusement. Mais, on reste assez longtemps poli dans la famille, aimable et compatissant, mais on ne garantit rien.

Et, pour m'exciter encore plus,  je constate que, n’étant pas le seul type accoudé au bar, cul bien calé sur un haut tabouret, l'autre a estimé qu'il pouvait déverser toute sa déprime sur moi comme si on était copains comme cochons et que je lui saurai gré de la confiance qu'il me témoigne par ses confidences. Mais, raconter à un inconnu des privautés qu’on n’oserait jamais sortir, surtout à ses amis sauf à prendre un plaisir malsain pour mettre la compagnie mal à l’aise, ça pas de sens.
-Vous aimeriez m’envoyer par le fond avec vous pour ne pas vous sentir seul et atténuer votre chagrin ? Merci bien, et moi qui me disais qu'il manquait quelque chose d'important pour achever ma semaine. Merci encore.
Ça, je me le gardais encore en réserve en estimant que, même si un peu de compassion ne fait jamais de bien à la longue et qu'une boîte de nuit n'est pas l'endroit idéal ni pour s'épancher, ni pour comprendre, encore moins aider, faire semblant d'écouter comme si mon humanité se souciait de toute la misère du monde, et pourquoi pas ? Mais pas trop longtemps, s'il vous plaît !

Et l'autre qui continuait à m'entretenir de son histoire affligeante et d'une banalité que je ne vous raconte pas. C'est lui qui boit et c'est moi qui ne comprends plus rien. Sa femme se tire... avec les enfants. Et alors ? Quoi de neuf sous le soleil ? Non, pas tirée et gardé les enfants ? Ah ! les enfants... le travail aussi ? Oui, et son salaud de patron en aura profité pour le lourder comme un malpropre. Misère, quand tu nous tiens !
-Pourtant, j’ai bien essayé de lui expliquer.
Comme si on pouvait expliquer une mauvaise passe, même petite et passagère. Depuis deux ans ? Seulement ? Si on veut.

Tu te demandes s'il ne faudrait pas lui faire comprendre que, peut-être son patron ne pouvait faire autrement, non ? A mettre encore sous le coude, on ne sait jamais  parce que l'abruti commence vraiment à t'énerver, sans compter que tu ne sauras jamais lui faire admettre qu'une déprime passagère occasionne une baisse de productivité, de l’agressivité envers ses collègues, pire des retards au boulot.
Mince alors, mon dépressif me laisse sans voix, et moi je cherche autour de moi qui pourrait me remplacer pour aider ce blessé de la vie. Y aurait-il un psychiatre dans la salle ? Non ? Quand tu as besoin d'eux... Et puis, y a la musique qui t'énerve aussi. 

Attends, attends ! Donc, ta femme ne serait pas partie avec les enfants… Non ? Je t'avais mal compris ? Elle t'aura pris l’appartement et fichu à la rue ? Oui, et un copain t’héberge le temps de te remettre ? La salope. J'espère que ton patron n'était pas au courant. Si, tu lui as raconté ? Se faire mettre à la porte de son propre logement par une femme ? Faut le faire !  
Et tu as tout raconté à ton patron pour qu'il te comprenne ? Mais, le pauvre, mets-toi à sa place : il t’avait embauché pour ton allant, ton bon caractère, ton équilibre et toi tu as changé. Lui aussi ? Je veux ! Eh, oui il n’est pas de l’Armée du Salut, non ?

Au bout d’une demi-heure, tu sens que la mayonnaise a bien pris mais avec trop de moutarde. Tout ce que tu voulais lui sortir pour l'aider, tu ne peux pas car la coupe est rase et tes mots déborderaient méchamment aussi, en voulant ne pas faire trop de mal, tu te fais maladroit :
-Ecoute, tu es bien gentil mais tu auras remarqué que je viens ici, en boîte pour me délasser et ça fait un bon moment que je t’écoute. Non, non, laisse-moi parler ! Pas toujours moi, moi, moi ! Vois-tu, j’ai mes propres soucis et pas envie de te les raconter. Non, non ! Pour ne pas te faire pleurer. Si ! Alors, tes emmerdes, entre-nous, et sans vouloir te fâcher, je n’en ai rien à foutre. Tiens, je te suggère vivement d'aller emmerder le barman, lui tu peux tout lui dire parce qu’il fera semblant de t'écouter… si, si, c’est son boulot. Peut-être qu'avec un gros pourboire, sans vouloir te commander...
Je n'aurais pas du appuyer sur "Et sans vouloir te fâcher" car il s'est cru autorisé à m'envoyer un vibrant :
-Connard, c'était bien la peine ! 
La peine de quoi ? Je n'ai pas demandé d'explications si ce n'est une autre vodka-orange au barman qui semblait dans ses petits souliers. 

Ce n’est pas que j’ai failli me faire casser la gueule plusieurs fois par des dépressifs que j'envoie inéluctablement bouler à un moment qui me chagrine, non mais c’est cette question lancinante :
-Comment ces types avec la même tête de dépressifs chroniques arrivent-ils à repérer à ma gueule qu’on peut venir m’ennuyer pendant une bonne demi-heure alors que je pensais venir m’amuser et me délasser d’une semaine stressante ? Qui saura me dire ?

Vous donnez votre langue au chat ? Effectivement puisque vous vous posez la même question que moi !

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