Tableau d'Isidore Pils (1813-1875) (Musée de l'Assistance Publique - Paris) |
-Au bord de la mer,
elle sera mieux…
-Bon, d’accord… Mais nous, qu’est-ce qu’on fait ?
-Ben, vous, vous
allez à l’Assistance Publique. Vous verrez, vous y serez bien!
Tu parles, c’est un endroit sordide, l’assistance
publique qu’ils l’appellent ! Moi, je dirais plutôt «la sentence publique».
Nous sommes logés, mon frère et moi, au quatrième étage
avec d’autres gamins. Par la fenêtre de notre dortoir, on peut voir le Parc
Monsouris, très beau mais de loin car on ne peut y aller. Par la fenêtre du couloir, on peut
voir la Prison de la Santé, très moche ! Même de loin, faut pas y aller.
Pendant ce temps-là, dans le monde…
A l’Hôtel Matignon se signent les Accords sur les 40
heures, les congés payés et les Conventions collectives, bravo, les gars !!!
1937. Nous partons, William et moi chez un couple de
basques très gentils, dans un petit village à côté de Pau. C’est une belle
petite maison couleur locale avec, en prime, les Pyrénées qui se dressent au
loin.
Nous allons à l’école à pied, trois kilomètres aller,
autant au retour à travers les prés, épiés par les vaches, des chevaux et toute
la basse-cour, armés de nos cartables et notre casse-croute que nous dévorons à
la récréation dans la cour de l’école. Le maître est très sympa, il me donne
des leçons qui me font progresser dans mes études… je suis content, bravo, mon gars !!!
Mes camarades de classe ne sont pas vêtus de rouge mais
je ne les aime pas quand même parce qu’ils me traitent de bâtard, mais ce n’est
pas grave, j’ai d’autres choses en tête, ma mère me manque et mon frère
n’arrête pas de pleurer.
Janvier 1938, les basques ne peuvent plus nous garder. Il
fait froid, les prés verdoyants de l’été sont devenus tout blancs, les bras
affectueux des pépés se sont refermés sur un dernier adieu. Nous voilà repartis
dans le train, par monts et par vaux, regardant par la fenêtre les vaches et
les veaux.
Dans le compartiment, une fumée nous agresse, la
locomotive n’est pas loin.
Dans le couloir, des enfants heureux jouent avec leurs
cadeaux de Noël. Nous les regardons tristement.
Paris, tout le monde descend, l’Assistance Publique est
en vue. Eh, oui, c’est reparti pour un
tour et nous y revoilà avec tristesse et les même bonnes sœurs, plus
sœur que bonnes, mais ce n’est pas grave, j’ai autre chose en tête, ma mère me
manque.
Le temps passe et les frangines repassent dans cette
prison pour orphelins dépressifs. Ma tante Berthe, la marchande de bonbons
vient nous voir. Chouette, on va manger des chocolats, des caramels !
Non, non, non ! Tata Berthe nous a apporté des œufs.
Pas des Pâques. Non, des œufs qui viennent tout droit du cul d’une poule, je
veux les lui jeter à la figure mais trop tard, elle s’en va. Au revoir, tata
Berthe et au plaisir de ne plus jamais se revoir, bravo la vieille.
Les mois ne font que passer, encore et encore, les
carmélites sont froissées, tout m’est attristement quand, tout d’un coup surgit
de derrière les fagots… qui çà ? je vous le donne Emile, ma tante
Georgette, elle c’est la bonne, la mauvaise, c’est Berthe. Mais, attention, une
mauvaise tante pourrait en cacher une autre.
-Viens. Je
t’emmène. Tu vas habiter chez-moi pour le moment, me dit-elle, mais je ne peux pas prendre ton frère, je
t’expliquerais çà plus tard.
Dommage. J’embrasse mon petit frère, je m’éloigne sans me
retourner, avançant dans le couloir, descendant l’escalier. Arrivé dans le
jardin de l’établissement «pénitentiaire», je craque et jette un regard en
direction de notre dortoir et, derrière la fenêtre, j’aperçois William les yeux
remplis de larmes. Cette image me restera en mémoire plusieurs années encore.
Pendant ce temps-là, dans le monde…
Cela va de plus en plus mal.
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