jeudi 29 décembre 2016
Il était une fois rien - 2
Hey, mon histoire commence bien, on dirait. On sentait le vécu, des dates vérifiables, de petites touches fines de quelqu'un qui s'y connaissait. Moi, j'aimais.
N'empêche qu'il faudra bien que je demande à cet écervelé s'il est jeune marié ou promis. Ça nous intéresse bigrement. Admettons qu'il ne soit que novio, ce qui sonne mieux dans mon récit. Ensuite, il importe de comprendre pourquoi ce type se déplaçait dans cette région, seul, à cette période de l'année, que c'en devenait insensé, l'amour ne justifiant pas tout. Des affaires pressantes à régler ? Sans doute. Et d'où il venait ? Du vécu crédible, que diantre, me disais-je !
Oui, mais de la vraisemblance du récit, on s'en moque car ce n'est qu'un conte, n'est-ce pas ? Absolument pas : et qui voudrait d'une histoire bancale parce que mal assise ? Pas moi, surtout.
Voyez que tous les ingrédients d'un joli conte de Noël, je me les tenais bien en main. Ne restait plus qu'à arranger, distribuer les mots, les avancer à l'aveuglette, tant pis car, avec beaucoup de chance... On peinait dans la neige, comprenez- moi, donc une écriture tâtonnante s'imposait.
Distribuer des dialogues comme j'aime ? Difficile bien que quelques soliloques, j'en aurai à vous en servir, du genre...
-Non, Seigneur, pas ça ! Pas la Bête... ou, plus crédibles :
-Ai-je déjà emprunté ce passage ? Je reconnais cet arbre. Normal, la neige tombait en abondance et recouvrait ses pas. Perdu qu'il était, je vous le disais bien.
-Si je m'en sors, je me brûle un de ces cierges que j'aurais besoin de mon cousin Firmin pour le porter en l'église Saint-Pierre. Mon Dieu, protégez-moi.*
Tiens ? Notre novio suggérerait-il l'église St-Pierre du Vigan ? Impossible, elle ne sera achevée qu'en 1704 vers la fin de la guerre dite des Camisards. Dommage.
-Mon Dieu, vois ton enfant ! Tiens-le en ta sauvegarde, me disais-je.
*NDLR : Veuillez noter, par le tutoiement la proximité que nous, protestants entretenons naturellement avec Dieu, notre Père qui est aux Cieux. De même ce "je me brûle un de ces cierge" indiquait que le gars n'était pas si étranger que cela à la région.
Il me restera toujours à dialoguer avec notre inconscient, ce jeunot qui, il faut le reconnaître ne manquait pas de cran à ainsi s'aventurer, courageux s'il parvenait sain et sauf à Meyruès, trop téméraire à risquer ainsi sa vie jusqu'à la perdre sur l'Aigoual. Attendons pour porter un jugement. Mais, à vouloir rejoindre sa belle en se mettant en si grand péril, pensez-vous que, l'apprenant elle aurait apprécié ?
-Mon brave, quelle mouche vous aura-t-elle donc piqué ? Ne saviez-vous pas la montagne impraticable en hiver ? Seriez-vous insensé, jeune homme ?
-Monsieur, je ne vous permets pas. Vous ai-je jamais insulté que vous ayez décidé de m'interpeller de la sorte ? Insensé... moi ? Suffit, et brisons-là !
Oui, ce freluquet semblait bien né mais mal élevé parce que trop fier. Je me trompais sur le bonhomme à cause de son accoutrement : un lourd et ample manteau de cuir noir protégeant de la neige deux longs pistolets accrochés à la ceinture, un large chapeau de feutre noir aussi et un foulard qui ne découvrait de son visage que les yeux lui donnant un regard farouche, façon chauffeur des Grandes Compagnies, une besace de cuir en bandoulière, des guêtres en peau de mouton, un lacet entrecroisé les maintenant fermement tenues et un long et lourd bâton ferré pour assurer sa marche. Redoutable, inquiétant qu'il se montrait ainsi, notre animal solitaire.
Voilà toute mon erreur : le monsieur savait causer en bon français, chose rare à l'époque alors que je l'avais interpellé en patois. Il n'était pas du coin mais m'avait bien entendu. Et moi, qui l'avais pris pour un étranger et un insensé, j'en demeurais parfaitement convaincu, aucun gars du coin ne s'aventurerait ainsi en nos Cévennes par ces temps cause de la pertes de beaucoup d'imprudents qui avaient perdu la tête.
Arrivé le soir par la diligence de Nîmes, il se reposa au Vigan chez des parents résidant, ce me semble près de la porte sud-ouest barrant la Route Royale, aux Barris et repartirait le lendemain pour Meyruès. Sans faute. S'étant enquis de son chemin au soir de son arrivée, il apprit que la Royale qui menait à l'Espérou par Mandagout était fermée suite à des chutes de neige très abondantes, le col de la Lusette (Anciennement La Luzette) à 1300m impossible à franchir. Pour arriver à bon port, on lui conseillait le détour par Millau. Trop long, à son goût.
De Mandagout à l'Espérou, il se faisait fort de forcer le passage de la Lusette. Ensuite, la route directe par le plateau de l'Aigoual à plus de 1500 mètres serait impossible à prendre, les hautes croupes sommitales cévenoles complètement déboisées laissaient le vent fou les parcourir avec des vitesses impressionnantes, accumulant ici la neige en amas impressionnants, la chassant là-bas pour créer des immensités déneigées impraticables car complètement recouvertes d'une glace épaisse, faisant de cette région un véritable enfer déserté par les bêtes et les hommes dès après le col de la Séreyrède. Nul ne pouvait s'y aventurer en hiver. De ça, il était convaincu.
La route qu'il connaissait pour l'avoir pratiquée suivait, depuis Mandagout une des branches principales de la Grande Draille du Languedoc. Pour cette fois il éviterait l'Aigoual.
Le lendemain de son arrivée au Vigan, il prit la diligence pour Mandagout, à deux lieues environ. Le jour, tout de grisaille assombri mit son temps pour daigner se lever. Encore dans la malle-poste, il rangea sa veste de citadin dans son sac pour se vêtir de son long manteau et lacer ses guêtres.
Dès son arrivée à Mandagout, il prit le chemin de la montagne et ne rencontra la neige que près du hameau du col des Vieilles (qu'on appelait alors, peu temps il est vrai le col des Damoiselles) puis arriva au relais de Cap de Coste vers les 9h30 où il se fit servir une bonne soupe, offrit ses lourdes bottes à la chaleur du feu de bois de la cheminée monumentale du refuge.
-Non, Monsieur. Nul ne passe par la Luzette depuis quelques jours. Encore moins la diligence. Et puis, qui pourrait vous prêter assistance si vous aviez un souci ? Personne, ici ne se risquerait dans nos montagnes par ces temps épouvantables.
Il remercia et, une demi-heure plus tard il repartait. Rude et longue montée pentue. Le ciel bas était plombé, très sombre et le froid sec durcissait un manteau de neige moins épais que ce qu'on lui avait raconté. Parvenu à l'Espérou, il estimait pouvoir repartir aussitôt vers le Col de la Sereyrède pour prendre le versant ouest plus protégé puis plonger sur Saint Sauveur de Pourcils. De là, tout était possible et, après une bonne nuit de repos à l'abbaye, il aviserait.
Le tenant du relais de Poste de l'Espérou, comme celui de Cap de Coste lui déconseilla fortement d'aller s'aventurer plus avant. De la folie !
-La neige dure, c'est celle que vous rencontrerez jusqu'à ce que vous changiez de versant. On s'y fait. Seulement, de l'Espérou à la Séreyrède, vous monterez en altitude, oh pas de beaucoup mais aucune forêt n'arrêtera le vent qui forme des congères difficilement praticables et, sur l'autre versant, vous constaterez que la neige de la région semble s'y être toute concentrée.
-La neige ? Mais, j'y suis habitué, mon bon Monsieur.
-Non, après le Col de la Séreyrède, Monsieur, vous affronterez un grand péril cause de bien des malheurs : une neige grasse, collante, où l'on s'enfonce souvent jusqu'à la taille. Et des petits ruisseaux partout invisibles. A éviter. N'y tombez surtout pas, ils sont peu profonds mais causeraient votre perte.
Et pour notre héros qui osait s'aventurer ainsi, depuis son départ du Vigan comme tout allait pour le mieux, il se dit que Dieu le protégeait. Il reprit donc sa route après une collation légère puis grimpa pendant un long moment sur la croupe ventée menant à l'Aigoual et rencontra le même type de neige qu'à la Lusette. Il avançait vite en suant d'importance.
En arrivant au Col de la Séreyrède, il posa sa besace, souffla un peu dans une maison qui s'ouvrit à lui. Il ne lui restait que la descente vers Saint Sauveur de Pourcils, une lieue et demi environ, peut-être deux et, c'est à partir de là qu'il comprit le maître du relais de Poste de l'Espérou. On arrivait ici dans un autre monde et il était plus de seize heures.
La nuit allait tomber et depuis le début de sa descente vers l'abbaye du Bonheur, il s'enfonçait encore et toujours plus dans une neige mouillée, grasse, collante, profonde. Une drôle d'affaire, pensa-t-il. Sa progression s'en ressentait et il commençait à bien "fatiguer", comme on dit par chez-nous.
Plusieurs fois il faillit tomber dans des ruisseaux et se sentait maintenant tributaire de la main de Dieu.
Il s'accrocha un instant à sa croix portée au cou, sa vie ne tenant peut-être plus qu'à la ficelle qui la retenait, pensa-t-il. Sa vie attachée à sa croix, oui car, à moins d'un miracle il pressentait qu'il gèlerait sur place à la nuit tombée dans ces forêts profondes, sombres, propriétés de l'abbaye du Bonheur que les moines interdisaient à toutes coupes inconsidérées.
Bel et bien perdu dans le brouillard à se démener dans la neige profonde, une petite voix intérieure le rassurait quand même : il suivait la bonne direction puisqu'il descendait toujours.
Dès après la Séreyrède, la traque des loups avait débuté. Pas bon, se disait-il. D'où pouvait-ils bien venir ? Il les entendait au loin qui se répondaient. Il remercia Jésus, Marie, Joseph et tous les saints car, si les mauvaises conditions qu'il rencontrait risquaient de causer sa perte, elle le protégeaient de la dent des loups plus empêtrés que lui dans cette neige profonde où, heureusement ils s'enfonçaient autant, si ce n'est plus que l'homme qu'ils poursuivaient, le brouillard et le trop d'humidité les déroutant heureusement. Il fallait à chaque pas dégager toute la jambe de la neige pour l'y replonger encore et encore et il comprenait que s'il n'avançait pas plus vite pour se mettre à l'abri, il lui faudrait bien se résoudre à tenir à distance les loups tout en continuant à avancer, chose qu'il savait impossible et qu'il finirait par devoir les affronter.
Il serra son lourd bâton ferré, un bonne arme de défense et savait qu'il pourrait compter sur ses deux pistolets. Deux coups de feu plus une longue canne, ce serait bien le Diable... A la grâce de Dieu, se dit-il.
Moi, cette histoire je me la sentais mal finir. J'avais bien envie de la terminer en vous disant :
-Ouf ! Ça y est. Le petit est arrivé.
Mais, le pouvais-je ? L'amour qui me porte vers vous, mon écriture en faisant foi m'oblige à la parole donnée. Je vous devais un conte de Noël ? Vous l'aurez, votre conte de Noël. En retard ? Et, qu'importe et, ne vaut-il pas mieux tard que jamais ?
Mais, comment aider ce malheureux qui courait à sa perte malgré nos conseils ?
L'abbaye du Bonheur portait bien son nom, encore fallait-il y parvenir sain et sauf.
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