mardi 3 janvier 2017

Il était une fois rien - Fin

Ce petit conte du Noël que je n’ai pas encore écrit n'aurait jamais existé si je ne m'étais souvenu de l'avoir sorti, il y a fort longtemps à une veillée de Noël dans une chapelle en Cévennes :

- Quelqu’un aimerait-il nous raconter un conte de Noël ?
Assis en cercle, nous nous regardions, mais de là à se décider…
- Je veux bien, dis-je en me levant.
- Merci. A toi la parole.

Je pris tout mon temps, comme le faisait Marcelle qui, à chaque veillée de Noël se proposait de raconter ses belles histoires. Tout comme elle, je souris, comme on se sourit parfois à soi-même, regardais l’assistance avec bienveillance puis, marchant lentement d’un côté à l’autre à travers l’espace qui m’était réservé, en joignant les mains comme pour entrer en moi-même :
- Ce furent des temps troublés que ces temps-là. Notre histoire se déroulera un peu avant et pendant ce qu’on appelle la guerre des Camisards qui marquera de façon indélébile notre petite patrie. Notre héros naissait dans nos Cévennes tourmentées en 1683, son père limousinier à Bréau, la mère au foyer avec une famille nombreuse. Mais, on n’en sait pas plus.

- J’aborderai ici un peu de l’histoire d’hommes et de femmes, vos anciens qui, craignant Dieu fréquentaient beaucoup plus nombreux que nous, qui les églises, qui les temples puis les assemblées du désert.
Par ce petit conte de Noël, j'aimerais que notre héros laissât son nom à la postérité, non seulement pour avoir combattu les troupes royales de Jacques de Julien, ce cruel maréchal de camp surnommé "Cœur de tigre" par les religionnaires mais surtout en s’opposant à la volonté "divine"* dictée au "prophète"* Henri Castanet devenu, avec sa troupe de Camisard de l’Aigoual le bras vengeur de Dieu.

* Pour mon auditoire je signalais les guillemets de cet écrit par un temps d'arrêt après "divine" et "prophète".

- Ces moines m’ont sauvé la vie. Ce sont des hommes bons, des saints. Henri, détruire Notre Dame du Bonheur, est-ce bien la volonté de Dieu ?
- L’abbaye dans la charité ? Une infâme gargote qui fait payer le gîte et le couvert avec la cloche pour appeler le client à la cantine. Tiens, on repartira avec la cloche de ce lieu de débauche où l'on ne pratiquait même plus la messe.
- Raison de plus de laisser ces hommes en paix.
-Je te promets que lorsque j’expédierai un de tes bons moines au Père Eternel, je lui demanderai d’accueillir ce mécréant en son infinie bonté et de lui apprendre la vraie religion.
Notre ami rappela encore à Castanet le massacre des 40 femmes et enfants de Freissinet-de-Fourque, près de Meyrueis. Il se révéla plus tard qu’y figuraient quelques protestants hostiles aux exactions des camisards.
Notre jeune ami ne s’en remettra jamais.

- Halte-là, me disais-je, Gilou… tu t’égares. Je m’arrêtais un instant pour juger de l’effet de mon discours sur mon petit auditoire. Mince, alors. Pas croyable ! Je l’avais fait entrer brutalement dans mon imaginaire. Je poursuivis donc :
- Avant que de vous raconter mon histoire, replaçons-là dans son contexte. Depuis bien avant le dernier Synode autorisé de 59 à Loudun, il me semble bien, Louis XIV n’avait eu de cesse, par de trop nombreux édits que de faire rendre gorge à la Religion Prétendue Réformée, cette verrue qui ternissait son règne.
L’apothéose en fut la Révocation de l’Edit de Nantes, l’édit irrévocable de son grand père Henri IV. Tous les temples dont celui de ce hameau, tous à quelques exceptions près finiront en ruine et leurs pierres consacrées réutilisées pour la reconstruction d’églises que les protestants avaient mis à bas un siècle plus tôt, ceci expliquant cela.
- Comme celui de Saint-Jean de la Gardonnenque !
- Tiens ! Un emmerdeur qui s'y connaît… me disais-je.

- Comme ce temple-là, oui. Je savais qu’il ne serait pas bon de trop m’appesantir sur les exactions de ceux de Religion prétendue réformée car les protestants avaient fait dans la démesure un siècle auparavant en interdisant le culte catholique des décennies dans certaines villes, environ un demi siècle au Vigan, en tuant, brutalisant, expropriant des catholiques. Mais, Julien, dit "l’apostat" fit mieux : 31 paroisses touchées avec leurs 466 villages et hameaux détruits dans "le grand bruslement des Cévennes" pour activer la besogne, plus de 13.000 villageois déportés avec leurs bêtes, leur mobilier plus de nombreux meurtres et pillages, toute la Cévenne dépeuplée et affamée pour qu’elle ne puisse alimenter la rébellion en entretenant les bandes de ceux qui s’appelaient entre eux "enfants de Dieu".

Je revenais à mon conte de Noël, mon petit auditoire toujours suspendu à mes lèvres.
Un temps de repos, comme en une sorte de prière silencieuse, quelques pas, puis…
- Donc, il était une fois un jeune homme qui, à ses vingt-ans, ayant bien appris chez son oncle, notaire sis à Nîmes décida de s’en retourner pour quelques jours revoir sa belle. Au retour, il visiterait ses amis et sa famille autour de Bréau. 
Après Saint Sauveur de Pourcils, le célèbre Castanet, anciennement garde des bois dans le massif de l’Aigoual devenu chef de guerre l'arrêta puis le laissa poursuivre son voyage.

Il est bon de savoir qu’un conte de Noël ne tient qu’à la façon, non de le raconter mais de l’amener à la vie comme si vous vouliez que vos auditeurs en deviennent les témoins vivants, les acteurs même et qu’ainsi ils perpétuent cette histoire "vécue", la gestuelle, la science du conteur important autant que le sujet lui-même, Marcelle me l’avait bien dit :
- Une belle histoire, tu ne peux la partager sans la vivre. Mais, ce n’est pas suffisant : il importe que tous, sans exception y participent, et donc tu dois les y inscrire. Qu'elle évolue, qu'elle baigne dans la fragilité, la bonté, la douceur, la grâce, l’amour, l’abandon, l’entraide, mais ne joue pas sur les bons sentiments. Vis-les ! A la fin, tes personnages se placeront tout seuls dans la main de Dieu et, ainsi le conte de Noël se parachèvera de lui-même et survivra. Tu n'aura même pas besoin d'en trouver une fin heureuse ou d'en tirer une morale.

M’en rappelant, et après ce rappel historique, j’attaquais le récit de Noël :
- Notre Pierre Carles, si ce n’étaient l’inquiétude et les soucis générés par ces temps de religion extrême fut  un jeune homme heureux, vigoureux et insouciant de la vie parce qu’amoureux.
Je rappelais son arrivée en diligence au Vigan, le départ par la malle poste jusqu’à Mandagout, les guêtres en peau de mouton lacées, le chapeau, le foulard qui ne laissaient percer qu’un regard farouche, le lourd et long manteau noir qui protégeait deux longs pistolets passés à la ceinture, le bâton ferré, la soupe à Cap de Coste, le passage au col de la Lusette enneigé (anciennement la Luzette), l’arrêt à L’Espérou, un nouveau départ vers le col de la Séreyrède, la neige profonde, la forêt, le brouillard, la traque des loups, la cloche de Notre Dame du Bonheur… 

- Je crois savoir que la cloche sera emportée par Castanet et que personne ne la retrouvera plus jamais. Et tous les habitants de Camprieu seront exilés parce qu’ils ne se seront pas opposé à la destruction des églises de la région et de l’abbaye.
Commence à m’énerver, celui-là ! Ressemble à Cavalier. Et, emmerdant comme la pluie.
- Pas tout à fait, mon ami. Ils furent exilés justement parce qu'ils s'étaient opposés à cette destruction pour ne pas subir l'ire royale, pensait de Julien. Etrange, me diriez-vous alors que protestants et catholiques du village aimaient leurs moines. Voyez que la réalité... enfin, ce que moi j'en dis !
Un temps de réflexion pour reprendre mon souffle : 

- Cette précision s'imposait. (Et tac ! me disais-je, dans ta gueule !). Donc, hormis l’ensemble du massif de l’Aigoual extrêmement étendu, nous savons tous que les troubles de 1702 à 1704, ne touchèrent pas la partie des Cévennes qui se trouve à l’ouest de la paroisse d’Aulas, ce gros bourg à une demi-lieue du Vigan dont le Temple de Bréau dépendait, celui-ci possédant les moyens d’entretenir, seul son propre pasteur.
Pendant que notre jeune homme cheminait par l’itinéraire que je vous ai déjà indiqué, en revenant de Meyrueis de chez sa belle pour reprendre son emploi chez un notaire de Nîmes qui avait abjuré du bout des lèvres pour conserver sa charge, il rencontra à nouveau "l’humble" Castanet qui l'enrôla. Ce fut grand malheur pour lui, mais comment refuser ?

- Pierre Carles sera surnommé "lou Caganis" parce qu'il était le dernier à avoir rejoint la bande et aussi par dérision parce que le petit portait beau et maniait un français châtié que ses rustres coreligionnaires patoisants n’entendaient pas bien, quand bien même les sermons des cultes se faisaient dans cette langue et que tous leurs enfants lisaient la Bible et chantaient les pseaumes en vieux françois. 
N'oublions pas que tous ces "bandits" de la cause de Dieu portaient un nom de guerre, à l’exception des chefs déjà connus des autorités.

Alors, il vécu une vie de patachon, le "bruslement des Cévennes" par de Julien rendant la vie des villageois et des camisards invivable avec le froid, la faim extrême et le rejet des bandes armées par les villages pourtant favorables à leur cause. Alors, il fallut vivre dans les grottes, les bois en se terrant tels des animaux redevenus sauvages et poursuivis sans répit par les chiens, les dragons, les miquelets, les fusiliers, traqués par les espions de Julien et autres milices catholique, jamais deux jours dans le même endroit. Quand Castanet se rendit, Pierre rentra discrètement à Meyrueis (Maruèis), épousa sa promise et revint s'installer avec elle à Bréau.
Voilà. Mon histoire prend fin. Je vous remercie.

Ce n’était pas à proprement parler un conte de Noël, et je m’en voulais. Pourtant, je constatais que tous les visages semblaient émerveillés, sauf celui de mon "camisard".
- Mais, dans le merveilleux je vois la cloche de l'abbaye du bonheur, mais la main de Dieu, l’esprit de Noël ? J’attendais que Dieu se manifestât…
Tiens, il parle bien, ce type et moi qui avais envie de lui répondre :
- Le merveilleux ? Pendant la guerre des Camisards... Dieu était aux abonnés absents mais, le plus sérieusement du monde je répondis :

- Effectivement, la cloche de cette abbaye du Bonheur qui sauva notre héros et que Castanet déroba, heureusement un peu plus tard, oui, c'est merveilleux.
Quant au secours que tous attendaient de Dieu, en ces temps ou la religion tournait à la vendetta de deux frères en Christ, l'un catholique, l'autre protestant se battant à mort pour décider de celui qui aimait le plus son père éternel tandis que certains s’érigeaient en prophètes, ou que d’autres se tenaient fermement à la raison d’Etat obligeant à ce que tous se conformassent à un seul rite d’adoration, voyez que j’ai longuement cherché la main de Dieu pour l’y poser sur mon conte de Noël.
En ces temps-là, cette main divine fut tellement immense qu'elle occulta le soleil de France durant deux siècles et demi. Toutefois, il est vrai que le merveilleux, c'était plus que la cloche mais ces moines qui sacrifiaient plus aux affaires du monde qu'à celle de Dieu et qui, sans aucun doute aimables restaurateurs mécréants auront sauvé Pierre Carles. Et, si nous recherchions la main de Dieu, alors faudra-t-il se tourner vers ces moines.
Et, quand je pense que nous, protestants sommes encore fiers de notre passé de sang, la liberté de conscience ne justifiant pas tous les actes de nos aïeux.

Je suis convaincu que personne n'attendaient ce "sermon" en ce temple, mais à qui la faute ?
- S’il me reste quelque instants je terminerai par Henri Castanet . Il se rendit en 1704 au Maréchal Vilars qui l’autorisa à quitter la France pour se réfugier en Suisse avec promesse formelle de ne jamais revenir dans le royaume.
Il revint et tenta de fomenter de nouveaux troubles mais, comme à l’époque le parjure ne se pardonnait jamais, arrêté il fut roué à Montpellier en mars 1705.
Quant à Julien, épuisé, malade d'avoir inhalé trop de fumées de son "grand bruslement", il mourut seul* le 11novembre 1711 à 49 ans.
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*Des fleurs de René Bouschet pour cet An Neuf :
-Mourir seul, mon Gilou comme c’est bien avancé. On ne peut mieux parler de la mort.

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