dimanche 22 janvier 2017

Une pause... - 2

Dessin de Kroll
Mercredi 20 mars 85. 19h. Pas vu grand monde. Pelouses et promenade du front de mer, désertes. Passage au Brazza pour prendre un Gauloise, et toujours le même client tous les jours, il y était hier, il y sera demain, et comme rivé au comptoir. Et abonné à sa petite côte du Rhône. Passes-y, quand tu amèneras tes filles à la M.J.C. et tu le trouveras avec son eau chaude du matin suivie d'une longue série de "Une p'tite côte, Patron !" Et, fidèle au bar il tient le coup. Tiens, je ne l'ai jamais entendu parler à personne, et même qu'il n'a besoin que d'un signe de tête pour faire remplir son verre. J'aimerais bien connaître sa vie.
Faut y aller. Rue de la Barre, Grand Rue et rue Victor Hugo, peu de monde. Dure journée. Je ne sais pas s'il a dégelé de toute la journée. Fait froid, mais moins qu’en janvier, heureusement. Suis vanné. 

Une pause...
 
Ma journée ? Une fuite sur le chauffage central d'un vieil hôtel particulier avec ses tuyaux en fer des années 50 et, quand tu sais que l'eau, le fer et le béton font mauvais ménage... Une soudure noyée dans la dalle qui ne pouvait que lâcher. J'ai bien creusé pour dégager le tuyau sur une bonne longueur et poncé à blanc pour que Bruno puisse le monter lentement en température pour une soudure délicate à l'acétylène. Nous avons pris le temps du refroidissement, mis délicatement en eau puis attendu un bon moment pour contrôler. J'ai fini par reboucher le trou avec un mortier maigre. 
Du provisoire, qu'il a dit au client. Ça flanchera ici ou ailleurs, M'sieur. Faudra vite refaire toute l'installation en cuivre, oui M'sieur. Un peu plus cher mais c'est mieux. Le client, parce que soulagé lui a donné son accord mais, comme toujours attendra une nouvelle fuite. C'est écrit dans tous les bons manuels de plombiers-zingueurs-chauffagistes. 
Et, allez donc, prévoyons une nouvelle urgence parce que, tant que ça tient, on peut toujours attendre.

Une pause…

C'est ma journée. Pas mangé ce midi. Trop de dépannages qui prennent un temps fou, et l'eau et le chauffage qui n'attendent pas. C'est l'hiver. Maintenant il fait nuit depuis longtemps. Je longe la Grand Poste dans une petite brise frisquette, le grand parking de la Mairie ne la protégeant pas. Détour par le Normandie pour souffler un peu avant de rentrer. Le bar a commencé sa fermeture. Ne restent que quelques clients, bien peu car il fait trop froid pour sortir de chez-soi. On cause utile devant son pastis. On est des taiseux, par chez-nous. 

Faudra penser à visiter Guillaume à la clinique des Aubépines, Guillaume et ses oreilles de Mikey recollées. Interdit de le faire rigoler et les copains de bistrot qui se relaient pour le faire pouffer. Et ça les amuse de voir cette tête bandée s’étouffer et qui hésite à les regarder dans les yeux pour ne pas éclater. Même que les infirmières les mettent à la porte, ils y comptent bien et aussi sur moi pour un bon coup de main. Penser à trouver le temps de lui tenir la main, c'est mon ami.
Survolé Paris-Normandie debout au comptoir. Celui de hier déjà lu, l'autre aura disparu. Pas grand-chose à se mettre sous la dent. Sœur Sourire serait morte. D’après le patron. Tout le monde connaissait Dominique, nique, nique.  Suicidée avec sa copine. Pour une histoire d’argent avec les impôts.

Une pause…

Bien sûr que je connaissais Sœur Sourire. Se suicider à cause du fisc. Impensable. La dernière histoire belge d'une bonne sœur qui se découvrirait gouine après le couvent, comme si ça se pouvait. Elle ne s'est pas défroquée pour rien. 
Allez, à la maison, et au lit. Je suis trop crevé. Et soirée télé avec un grand verre de rouge.

Une pause…  

J'aime écrire. Ça me tient compagnie. Pardon. Faut que je me relève. Tibère miaule à la porte. Lui, à part la bouffe et la rue. Non, c'est injuste parce que je sais que lui m'aime. Moi aussi, je l'aime sans doute parce que j'ai au moins quelqu'un à devoir m'occuper. Il a faim, alors moi aussi. Bon… Messire Tibère, qu'avons-nous au frigo ? Du jambon blanc, des œufs et du lait, pour vous surtout. Penser à le couper d'eau. De la saucisse sèche, pour Tibère encore, non, pas assez pour deux, des Vache qui rit et du pâté pour mon morfal et même du beurre demi-sel, pour moi. Avec du pain dur. Tant pis, je ne ressors pas et les boulangeries sont fermées depuis longtemps. Et je n'ai pas le temps de fréquenter mes quelques voisins pour me faire dépanner. J'ai allumé le four pour le pain et réchauffer ma piaule.
Je finirai un reste de soupe d'hier. Tibère n'aime pas. Parfait !

Une pause...

Je suis au lit avec mon cahier. Tibère a daigné m'accompagner. Je le caresse en pensant à toi. J'ai un petit moment de blues et je suis triste pour Sœur Sourire... Roméo-Juliette et Juliette-Roméo se mourant pour du pognon. Moi, je cherche l'amour dans c'tte affaire, surtout que j'essaie d'imaginer des gouines au lit. Mais, comment s'y prennent-elle ? Bon, à trois, je ne dis pas, moi au milieu pour l'équilibre des choses en joueur juge-arbitre. Salomon pris en sandwich, si tu vois cette affaire ? Essaie. Faudra t'en parler le plus sérieusement du monde la prochaine fois. Non, pas du suicide. De l'amour entre femmes.

Une pause... 
  
Ce soir, j'ai encore dîné sur le pouce en amoureux, seul et transi. Pas que de froid.
Enfin, pas tout à fait seul, j'oubliais mon Tibère. Tiens, faudra que je te raconte la raclée que lui a mise un goéland pour un sac-poubelle éventré. Une saleté que ces oiseaux agressifs qui te pourrissent la rue. Les chiens redoutent leurs coups de bec. Même qu'une fois, y en a un qui a survolé la Grand Rue à basse altitude et m'a lâché une de ces fientes liquides, énorme. Une puanteur. Je te jure qu'il n'avait visé que moi. Et bien touché.

Bonsoir, mon amour, dors bien. Moi, je ferai de beaux rêves. A dans une semaine.
 

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