samedi 6 juillet 2013

C'est Beau Paris ! - 17. The end


Premier mai deux mille trente quatre, huit heures du mat. La planète des fous est en échec.

Le jour se lève sur la petite campagne, laissant apparaître une brume légère et blanche sur le tapis épais et vert de l’unique prairie de l’hexagone. Une succession de sons musicaux, provenant des bosquets alentour et diffusée par des oiseaux robots programmés par le dernier garde champêtre, produit une éclatante gaité à cette heure verdoyante et rare. Le chant synthétique d’un coq de basse cour, venant des flancs de Sainte Ethique, la haute tour de la ville qui entoure les champs d’Etat, redonne le moral à ses habitants.

Des bruits d’explosion et de foule hurlante font sursauter Isabelle et Conrad. C’est le radio réveil qui retransmet en direct le conflit israélo-palestinien qui s’endurcit de décennie en décennie.

Les vieux Laugier habitent dans la proche banlieue parisienne, à Arcy sur Cure, dans l’arrondissement d’Auxerre, le quartier résidentiel de la capitale, a vingt kilomètres d’Avalon, ancien village connu pour ses grottes qui ont livré d’importants vestiges d’industries préhistoriques et des restes de squelettes humains.
Le couple loge au quarante huitième étage d’un immeuble de grand standing, dans un studio de deux cent soixante huit mètres carrés qu’il a fait compartimenter en quatre grandes pièces égales pour user confortablement leurs loisirs et les quelques jours de repos mensuels.

L’appartement se compose d’une grande cuisine équipée d’un robot laveur de vaisselle, d’un robot débarrasseur de table, etc…, d’une grande salle de bain équipée elle aussi de robots, celui du brossage des dents (je devrais dire, des dentiers), il y a aussi celui qui gère le système de douches automatiques et le système de séchage des corps… Qu’y a-t-il ensuite? Eh bien…

Eh bien... Il y a une grande chambre avec un grand lit équipé d’un matelas hydraulique à système automatique de déplacement électromagnétique à commande vocale, pure merveille et, pour finir, un salon meublé de deux grands canapés huit places recouverts, sur le dessus, de peaux de lézards morts et, sur le côté, de crocodiles vivants. Ajoutez y… Ah, oui!
Ah, oui... Une grande table basse en marbre de Carrare, sculptée, repose timidement au centre de ces deux répugnants reposoirs reptiliens. Dans le coin, en évidence, voyez ce bureau en chienne empaillée jaunie de style non voyant.

La vie dans cet appartement est idyllique et hydraulique.

Tous les matins ils se lèvent et, assis sur des fauteuils spécialement équipés et confortables reliés à un rail qui les emmène vers l’ascenseur de leur immeuble (qui ne tombe jamais en panne) qui les largue dans une bulle de verre en bas de l’immeuble. Celle-ci, entraînée par l’inertie d’un tapis roulant les dirige sur les lieux de leur travail, au H.G.E.N. haut gouvernement pour les énergies nouvelles, dans la capitale, où ils sont tous deux chefs d’invention des produits énergétiques.

Au H.G.E.N. les Laugier ont enfin trouvé le procédé pour garder une chaleur identique toute l’année malgré les grands réchauffements d’été et les grands froids d’hivers, grâce à une technique très simple, avec des bâtiments tous construits de la même façon et les toits doublés et isolés. Un gaz toxique, fabriqué à base de matière fécale humaine (désolé… la race animale ayant disparu totalement pour des raisons qui nous échappent, il fallait bien trouver quelque chose pour remplacer! Les gens sont atteints d’égoïstivité* ne se parlent plus, ne se sourient plus. Pire, certains ne se regardent plus et ne vivent que pour leur seule personne)… je disais donc que les excréments humains et des restants de pepsi cola des années quatre vingt dix formant un gaz qui circule entre les deux parois de l’habitation, donnent une température constante de vingt deux degrés toute l’année et fournit l’énergie électrique en permanence.
*L’égostivité est une maladie nouvelle, contractée au début du troisième millénaire. Les symptômes se traduisent par une poussée permanente d’individualisme aigu, sans possibilité de retour à la normale avant quelques siècles et qui entraînera, sans doute, l’anéantissement radical de l’espèce humaine…

Même, même… pendant leurs rares temps de loisirs, est ce Conrad ou Isabelle… sans nul doute  c’est Isabelle qui a trouvé comment transcrire les pensées des sourds et muets qui produisent un code personnel en opérant une séparation satisfaisante des fréquences des ondes cutanées, en leur injectant un produit par piqûre dans leurs culs tannés.
Cette fois, il semble que ce sera Conrad qui se penchera très sérieusement sur le cas des rêves des aveugles.

Sachez que le voyage en direction de leur lieu de travail ne dure qu’une petite heure et, pendant ce laps de temps, ils peuvent faire leur toilette, prendre un petit déjeuner, et plein d’autres choses. Ce transport en commun qui leur procure tout, pour un confort harmonieux, est conçu et fabriqué par l’unique marque automobile européenne qui ne construit plus de voitures depuis la grande pollution du début du vingt et unième siècle.

Ce jour du 1er Mai, connu pour la «Fête du Travail» est devenu: «Faites du travail» réservé exclusivement aux sexagénaires et plus, car les jeunes de moins de soixante ans sont interdits d’emplois rémunérés uniquement dans le but de s’occuper de leurs progénitures. Et lorsqu’ils seront âgés, les enfants garderont leurs vieux pour que ceux-ci aillent gagner la pitance des petits de moins de soixante ans. Suis je bien clair? Donc, je disais que les vieux… pour que les moins de soixante ans…

Les plus débrouillards, à la place de leur moquette, tapissent le sol de leur appartement de terre végétale en vue de faire pousser des légumes ensoleillés par une rampe de bronzage de deux mille watts. Pour humidifier le potager, ces cultivateurs rudimentaires chauffent à l’aide de papier en feu les détecteurs d'incendie pour que les pommes d’arrosage aspergent leurs plantations, et après quelques mois, ils ramassent leurs futurs repas.
Quant aux plus drolatiques, il paraîtrait même qu’ils fument leur plantation. Non, non. Pas avec de l’engrais, interdit. Ni avec les matières fécales toutes récupérées pour chauffer l’habitation. Non, non. Fumer en cigarettes roulées. Allumées, comme eux. Est-ce bien raisonnable? Autres temps, autres lieux, autres mœurs!

Nos deux amoureux centenaires n’ont pas eu l’obligation d’avoir des enfants car leurs emplois d’élite, dû à leurs inventions leurs donnent droit à ne pas procréer. Leur position particulièrement élevée les protège de cette charge prolétarienne.

Le vieux couple coula des jours heureux jusqu’au jour où, dans un élan de tendresse irrépressible, Conrad enlaça fortement Isabelle qui était fortement enrhumée, lui donna un baiser langoureux et sincère arrêtant l’oxygénation des petits et vieux poumons de la très vieille dame durant plusieurs minutes, ce qui amena cette dernière (qui fut la première et la dernière pour Conrad) à laisser son esprit rejoindre lentement les quelques personnes qu’elle avait rencontrées durant sa longue existence et qui avaient abandonné leurs enveloppes charnelles, pour se réincarner dans le corps d’une femme, d’un homme, dans quelque tabouret de jardin, ou dans bien d’autres choses. Ou en nain de jardin. Comme son père.
Terrorisé par ce qu’il venait de commettre, Parfait oublia de respirer et s’en alla rejoindre sa dulcinée.

Né un jour où il faisait nuit et par grand tapage, il arriva enfin à l’éclipse de sa vie, mort comme il était né… et par inadvertance, dans un long silence.
Mais, quoiqu’il en soit, Parfait et Isabelle retrouvèrent l’Oiseau Bonheur et purent le suivre au loin, là bas…

Note de l’auteur en fin du manuscrit: Parfait a été achevé le 27 juin 1997. Pat. P.

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