Le jour se lève sur la petite campagne, laissant
apparaître une brume légère et blanche sur le tapis épais et vert de l’unique
prairie de l’hexagone. Une succession de sons musicaux, provenant des bosquets
alentour et diffusée par des oiseaux robots programmés par le dernier garde
champêtre, produit une éclatante gaité à cette heure verdoyante et rare. Le
chant synthétique d’un coq de basse cour, venant des flancs de Sainte Ethique,
la haute tour de la ville qui entoure les champs d’Etat, redonne le moral à ses
habitants.
Des bruits d’explosion et de foule hurlante font
sursauter Isabelle et Conrad. C’est le radio réveil qui retransmet en direct le
conflit israélo-palestinien qui s’endurcit de décennie en décennie.
Les vieux Laugier habitent dans la proche banlieue
parisienne, à Arcy sur Cure, dans l’arrondissement d’Auxerre, le quartier
résidentiel de la capitale, a vingt kilomètres d’Avalon, ancien village connu
pour ses grottes qui ont livré d’importants vestiges d’industries
préhistoriques et des restes de squelettes humains.
Le couple loge au quarante huitième étage d’un immeuble
de grand standing, dans un studio de deux cent soixante huit mètres carrés
qu’il a fait compartimenter en quatre grandes pièces égales pour user
confortablement leurs loisirs et les quelques jours de repos mensuels.
L’appartement se compose d’une grande cuisine équipée
d’un robot laveur de vaisselle, d’un robot débarrasseur de table, etc…, d’une
grande salle de bain équipée elle aussi de robots, celui du brossage des dents
(je devrais dire, des dentiers), il y a aussi celui qui gère le système
de douches automatiques et le système de séchage des corps… Qu’y a-t-il
ensuite? Eh bien…
Eh bien... Il y a une grande chambre avec un grand lit équipé d’un
matelas hydraulique à système automatique de déplacement électromagnétique à
commande vocale, pure merveille et, pour finir, un salon meublé de deux grands
canapés huit places recouverts, sur le dessus, de peaux de lézards morts et,
sur le côté, de crocodiles vivants. Ajoutez y… Ah, oui!
Ah, oui... Une grande table basse en marbre de Carrare, sculptée,
repose timidement au centre de ces deux répugnants reposoirs reptiliens. Dans
le coin, en évidence, voyez ce bureau en chienne empaillée jaunie de style non
voyant.
La vie dans cet appartement est idyllique et hydraulique.
Tous les matins ils se lèvent et, assis sur des
fauteuils spécialement équipés et confortables reliés à un rail qui les
emmène vers l’ascenseur de leur immeuble (qui ne tombe jamais en panne) qui
les largue dans une bulle de verre en bas de l’immeuble. Celle-ci, entraînée
par l’inertie d’un tapis roulant les dirige sur les lieux de leur travail, au
H.G.E.N. haut gouvernement pour les énergies nouvelles, dans la capitale, où
ils sont tous deux chefs d’invention des produits énergétiques.
Au H.G.E.N. les Laugier ont enfin trouvé le procédé pour
garder une chaleur identique toute l’année malgré les grands réchauffements
d’été et les grands froids d’hivers, grâce à une technique très simple, avec
des bâtiments tous construits de la même façon et les toits doublés et isolés.
Un gaz toxique, fabriqué à base de matière fécale humaine (désolé… la race
animale ayant disparu totalement pour des raisons qui nous échappent, il
fallait bien trouver quelque chose pour remplacer! Les gens sont atteints
d’égoïstivité* ne se parlent plus, ne se sourient plus. Pire, certains ne se
regardent plus et ne vivent que pour leur seule personne)… je disais donc que
les excréments humains et des restants de pepsi cola des années quatre vingt
dix formant un gaz qui circule entre les deux parois de l’habitation, donnent
une température constante de vingt deux degrés toute l’année et fournit l’énergie
électrique en permanence.
*L’égostivité est
une maladie nouvelle, contractée au début du troisième millénaire. Les
symptômes se traduisent par une poussée permanente d’individualisme aigu, sans
possibilité de retour à la normale avant quelques siècles et qui entraînera,
sans doute, l’anéantissement radical de l’espèce humaine…
Même, même… pendant leurs rares temps de loisirs, est ce
Conrad ou Isabelle… sans nul doute c’est
Isabelle qui a trouvé comment transcrire les pensées des sourds et muets qui produisent
un code personnel en opérant une séparation satisfaisante des fréquences des
ondes cutanées, en leur injectant un produit par piqûre dans leurs culs tannés.
Cette fois, il semble que ce sera Conrad qui se penchera
très sérieusement sur le cas des rêves des aveugles.
Sachez que le voyage en direction de leur lieu de travail
ne dure qu’une petite heure et, pendant ce laps de temps, ils peuvent faire
leur toilette, prendre un petit déjeuner, et plein d’autres choses. Ce
transport en commun qui leur procure tout, pour un confort harmonieux, est conçu
et fabriqué par l’unique marque automobile européenne qui ne construit plus de
voitures depuis la grande pollution du début du vingt et unième siècle.
Ce jour du 1er Mai, connu pour la «Fête du
Travail» est devenu: «Faites du travail» réservé exclusivement aux sexagénaires
et plus, car les jeunes de moins de soixante ans sont interdits d’emplois
rémunérés uniquement dans le but de s’occuper de leurs progénitures. Et
lorsqu’ils seront âgés, les enfants garderont leurs vieux pour que ceux-ci
aillent gagner la pitance des petits de moins de soixante ans. Suis je bien
clair? Donc, je disais que les vieux… pour que les moins de soixante ans…
Les plus débrouillards, à la place de leur moquette,
tapissent le sol de leur appartement de terre végétale en vue de faire pousser
des légumes ensoleillés par une rampe de bronzage de deux mille watts. Pour
humidifier le potager, ces cultivateurs rudimentaires chauffent à l’aide de
papier en feu les détecteurs d'incendie pour que les pommes d’arrosage aspergent
leurs plantations, et après quelques mois, ils ramassent leurs futurs repas.
Quant aux plus drolatiques, il paraîtrait même qu’ils fument
leur plantation. Non, non. Pas avec de l’engrais, interdit. Ni avec les
matières fécales toutes récupérées pour chauffer l’habitation. Non, non. Fumer
en cigarettes roulées. Allumées, comme eux. Est-ce bien raisonnable? Autres
temps, autres lieux, autres mœurs!
Nos deux amoureux centenaires n’ont pas eu l’obligation
d’avoir des enfants car leurs emplois d’élite, dû à leurs inventions leurs
donnent droit à ne pas procréer. Leur position particulièrement élevée les
protège de cette charge prolétarienne.
Le vieux couple coula des jours heureux jusqu’au jour où,
dans un élan de tendresse irrépressible, Conrad enlaça fortement Isabelle qui
était fortement enrhumée, lui donna un baiser langoureux et sincère arrêtant
l’oxygénation des petits et vieux poumons de la très vieille dame durant
plusieurs minutes, ce qui amena cette dernière (qui fut la première et la dernière pour
Conrad) à laisser son esprit rejoindre lentement les quelques personnes qu’elle
avait rencontrées durant sa longue existence et qui avaient abandonné leurs
enveloppes charnelles, pour se réincarner dans le corps d’une femme, d’un homme,
dans quelque tabouret de jardin, ou dans bien d’autres choses. Ou en nain de
jardin. Comme son père.
Terrorisé par ce qu’il venait de commettre,
Parfait oublia de respirer et s’en alla rejoindre sa dulcinée.
Né un jour où il faisait nuit et par grand tapage, il
arriva enfin à l’éclipse de sa vie, mort comme il était né… et par
inadvertance, dans un long silence.
Mais, quoiqu’il en soit, Parfait et Isabelle retrouvèrent
l’Oiseau Bonheur et purent le suivre au loin, là bas…
Note de l’auteur en fin du manuscrit: Parfait
a été achevé le 27 juin 1997. Pat. P.
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