mercredi 10 juillet 2013

Frère mendiant* !


Un dimanche, m’en allant au temple, sur le parvis je rencontrais un pauvre hère assis là, oui, tout bonnement assis. Il me salua bien civilement d’un bonnes prières, Monsieur et je lui rendis la pareille d’un Bon dimanche à vous. Dieu vous bénisse !

Prenant le pastis, chez l’ami Rolando, ce dimanche midi, je lui narrais ce que je vais vous conter de ce pas, et…
-Devant un temple, faire la manche ? C’est une galéjade, Gilou. A d’autres, mon vilain !
-Et pourquoi, Rolando ?
-Parce qu’un protestant, en général n’aide que celui qui fait un effort pour s’en sortir.
Effectivement, à bien y regarder, mon histoire semblait cousue de cheveux blancs tirés en fils*.
(*de la contraction de deux expressions bien françaises: Cousu de fil blanc et tiré par les cheveux).

Ce type, ni ne l’avions vu, et ne le connaissions ni d’Eve ni d’Adam car étions plutôt accoutumé à voir nos frères entrer se poser sur les bancs du temple que de s’asseoir par terre sur le parvis pour y faire la manche. 
Que je vous dise : les rapports avec ma famille en Christ se résument parfois à une seule fois par semaine, pour une heure, une heure seulement, une heure quelquefois. 
C’est peu, mais qu’y puis-je ?
Il n’en demeure pas moins que nous sommes toujours frères en Christ, jusqu’à plus ample informé, sauf que ce frère mendiant, je ne le connaissais pas. Et voilà, c’est dit et redit.

Adonc, après nous être salués, lui par bonnes prières, et  moi par bénédiction, je m’inquiétais grandement de ce mendiant et de sa sébile posée à terre sur le parvis. Je lui tendis la main poliment, ce qui eut l’heur de le choquer. A quoi s’attendait-il de ma part ? Ah, si. Un bon conseil sans doute. Ce que je fis. 
 -Mon bon ami. Vous devriez aller à l’Eglise pour d’évidentes raisons d’économie domestique.
Il me sembla que le gentil jeune homme (avait-il 25 ans, je ne sais ?) me remercia comme si je lui avais octroyé une confortable obole qui aurait pu avoir valeur d’une boutanche de rouge qui tache, mais je sentais qu’il préférait rompre-là car je gênais l’approche des autres paroissiens qui, évitant notre groupe, entraient sans s’approcher du mendiant. Et de sa sébile. Et donc, point de tunes dans son escarcelle. 
Misère de misère en ce dimanche matin pourtant ensoleillé !

Je lui parlais masse des fidèles : plus il s’en trouvait dans la nef, plus les possibilités de recevoir récompense au dur labeur de sa mendicité augmentaient. Car, c’est un bien dur métier que ce métier-là de vous dire merci, vous souhaiter bonnes prières et ne recevoir en retour qu’un conseil ! Et une bénédiction !
Des études prouvent que la proportion de pingres et de généreux est la même, ici-bas sur terre, quel que soit l’endroit. Ce qui change ? Mais le nombre de paroissiens. Plus il y en a, et plus on rencontre de généreux. Ou des rats qui te donnent parce qu’il y a plus de spectateurs pour observer ta charité, la loi des grands nombres expliquant cela.

Effectivement, pour frère mendiant, le calcul paraissait ardu à résoudre mais facile à énoncer lorsqu’on est à jeun, comme moi. A ma grande honte, j’oubliais de prendre en mes données un élément capital qui se cachait dans le Temple lui-même, élément absent à l’église catholique : 
Valait-il mieux ramasser plus de tunes à l’église pour ensuite se pochetronner, ou alors aller directement à la source de la Vie, au Temple, boire le sang du Christ ?

Non, non. Ne croyez-pas, gentes Dames et beaux Messieurs à un conte philosophique. Plutôt à une petite nouvelette bachique.
Je laissais mon beau Sire assis, jambes écartées, couvant sa si belle Sibille (c’est ainsi qu’il appelait sa sébile) en laquelle il avait placé tous ses espoirs dans une amorce à pitié de quelques piécettes. Après avoir prodigué mon conseil et serré la main de frère mendiant, ce que regrettais aussitôt, ma étant main devenue poisseuse, je pénétrais dans la fraicheur bienfaisante du temple et cette tant particulière doulce lumière propice à oraison et méditation, en toute solitude entouré des miens.

-Mais, qu’est-ce que l’Homme, ô Dieu !
Puis me mis à chanter le pseaume VI de Clément Marot, tandis que mes vieux frérots et sœurettes chantaient, eux, la pâle copie en bon français, de Chapal. 
       «Ne veuille pas ô Sire
         Me reprendre en ton ire,
         Moi qui t’ai irrité…
         N’en ta colère terrible
         Me punir de l’horrible
         Tourment qu’ai mérité.

         Ains, Seigneur viens estendre
         Sur moi ta pitié tendre
         Car malade me sens… »

Ensuite, ce fut la lecture de la parabole des talents (Matthieu 25 v. 14-30) que je trouvais fort à propos et que je me proposais de raconter au mendiant pour lui expliquer les vertus du travail et de l’économie libérale…
Devrais-je aussi lui signaler à ce Frère qu’il est peut-être victime du capitalisme créé par le protestantisme évangélique de Jehan Calvin qui, le premier, vers 1540 permet le prêt d’argent avec intérêts ? Tu me diras que le catholicisme, bien tartuffe, autorisait les vendeurs du Christ à faire commerce d’argent, le prêt à intérêt existant sous le manteau depuis la nuit des temps.
-Et chez les musulmans, ça fonctionne comment ?
-Facile Rolando. Tu trouve une maison qui te plaît. Elle vaut 100.000 euros. Tu vois ta banque musulmane qui l’achète pour ce prix, et parfois moins quand elle la paie cash, disons 75.000 euros. Ensuite, ta banque te la vend en loyers mensuels 250.000 euros le tout. Donc, il n’y a pas commerce d’argent et pas d’intérêts. C’est quand même simple à comprendre, enfin, Rolando !
-Ben, c’est comme avant Calvin quand les Cathos laissaient les nobles se faire plumer par les juifs et les lombards ou autres vénitiens, non ? C’est hypocrite et compagnie et ça revient à détourner les préceptes de la religion pour faire commerce d’argent interdit. Belle perversité, non, Gilou ?
-C’est ainsi que vont les religions, mon bon Roland.

Revenons à mon clochard… pardon ? Mendiant car il mendie. Effectivement, il réclame de l’argent. Pas pour se sustenter. De la tune pour se réchauffer le gosier par la grâce d’une dive bouteille de forte et mauvaise vinasse. Rouge de préférence. Mais, je veux bien.
Et donc, un mendiant qui ne pense qu’à l’argent pour acheter du vin n’est-il pas clochard à la fin ? Argutie sémantique sans intérêt pour mon récit. Ah, bon ? Quoique !

Je trouvais le Pasteur fort bon en son sermon, émouvant, usant d’images puissantes du genre :
-Vous avez reçu de Dieu votre Père des talents à faire fructifier, alors, qu’attendez-vous?
Et, là, je pensais à mes talents d’écriture qui ne me rapportaient rien. Ô Dieu ! Je t’implore!
-Vous êtes responsable et redevable  devant Lui. Alors, n’oubliez pas votre prochain. Parce que s’enrichir en oubliant, l’Autre, votre Frère…
Là, je trouvais que le Pasteur devait s’adresser à d’autres qu'à moi. Où a-t-il vu que je m’étais enrichi ?
-De même, et voyez que cette parabole des talents ne peut faire oublier l’enfant prodigue. Et du pardon.  Possédez et faites fructifier sans oublier d’accueillir l’enfant prodigue, et votre prochain qui se trouve à la porte de chez-vous. Et de ce temple. Amen !

A cet instant, j’ai pensé à mon mendiant à la porte du Temple. J’ai su que le Pasteur parlait pour moi. J’en fus ému, touché au tréfonds de mon être et, me confondant en reproches, battais ma coulpe et entendis mon âme me dire que j’aurais dû placer en la sébile de mon frère quelques pièces de monnaie…
Après un tel sermon, l'escarcelle de ce frère en Christ se remplirait bien vite.
Et, qu’importe s’il devait se saouler. Suis-je le gardien de mon frère ? Que nenni !

Ce fut ensuite l’offrande à Dieu. Je détournais du Temple quelques pièces que je gardais en poche pour les offrir à notre mendiant-clochard-Frère en Christ. Et ce fut la Sainte Cène. Nous nous levâmes, fîmes cercle et prîmes la Communion sous les deux espèces, d’abord le pain.
Je reçus l’assiette de ma gauche, pris un morceau et la fis passer à ma voisine de droite, une dame bien mise et coiffée d’un petit chapeau. Et me recueillis avant de prendre le vin.

Je reçus la coupe d’alliance de mon frère de gauche, trempais les lèvres, puis la tendis à ma sœur de droite, avec ce petit sourire tant fraternel qui accompagne toujours cette coupe. Je constatais que la petite vieille s’était évanouie… Pardon ?… Non, avait disparu et laissé place au mendiant qui s’était intercalé à mon côté et qui reçut volontiers la coupe de mes mains et la siffla, d’une seule lampée.

Il va sans dire que l’officiant (était-ce le pasteur ?) dut recharger en nectar qui reprit son périple de main en main. Mais mon mendiant qui, devenant notre Frère en Christ par la Coupe d’Alliance, s’était déplacé plus loin pour intercepter à nouveau l’objet de sa convoitise. Et il torcha à nouveau la coupe. Cul sec ! 

Deuxième rechargement en vin de la coupe d’alliance... deuxième, ensuite troisième rechargement tout itout torchés. Voyant que personne n’interceptait notre merle siffleur, je décidais de m’interposer, me déplaçais rapidement de banc en banc à l’extérieur du cercle des fidèles recueillis et pris par le bras notre heureux trublion qui aurait bien cuvé tout son saoul notre bon vin divin.
-Viens. Je t’offrirai un pot au bistrot du coin à la fin du culte.

Depuis, je ne me sens pas à l’aise chez mes frères. Imaginez. J’ai chassé un pauvre communiant du temple. De quel droit ? Mon Dieu, pardonne moi, je ne savais ce que je faisais !
Quoiqu’il en soit, personne ne m’a remercié d’avoir usé de tant de tact avec Frère Mendiant. Et la consommation qu’il prit au Bar, une p’tite Côte du Rhône, s’il vous plaît! fut pour ma poche.

A notre frère-mendiant en Christ, qui avait tant soif de communier sous les deux espèces, dont l’une plus particulièrement, de le Vigan le mercredi 10 Juillet de l’An de Grâce 2013.

-Gilou, cette histoire, elle est vraie ?
-M’enfin, Rolando, tu me connais pourtant.
-C’est bien pour ça que je te demande. Alors ? Vraie, pas vraie ?
-A ton avis, mon bon Rolando, hein ? Pourquoi tu demandes… Ca s’invente, une histoire pareille ?
-Ben, je pensais aux Pussy-Riot que l’autre, le Vladimir maintient toujours en prison, en Russie pour s’être foutues de la religion. On est mieux en France, non ? Plus tolérants, hein ?

PS : A l’attention de certains journalistes qui préparent leur boulot à la va-comme-je-te-pousse, on dit Messe (du latin missa) pour l’office Catholique et Culte (en langue vernaculaire) pour cette célébration des protestants. Merci pour nous.

Dessin de René BOUSCHET : DIEU VOUS LE RENDRA...   mais soyez patient.

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