Dessin d'yvonne JEAN-HAFFEN |
il faut emprunter le train à Saint Lazare, deux grosses
valises vides à la main. Pour l’aller, rien de bien fatigant mais le retour est
une tout autre affaire. Dans le train, seul le paysage qui défile m’intéresse
et j’aperçois des vaches dans les prés qui me rappellent notre voyage de retour
de Pau avec mon petit frère. Une larme coule sur ma joue et, pour finir sa
course, se jette dans le vide pour s’écraser au sol dans un assourdissant
fracas…
-Heu… non. Une
larme, ça ne fait pas de bruit… désolé.
Et même, elle ne s’écrase point, cette larme. Et on ne va
pas en faire toute une histoire…
Pendant ce temps-là dans le monde…
Le 12 août 1942, les représailles continuent en France
occupée, là ou les résistants sont les plus nombreux et les mieux organisés.
Le 19 août 1942, tentative de débarquement des
anglo-canadiens sur les galets des plages de Dieppe. Un échec sanglant.
Donc, arrivé à la gare, le dit fermier m’attend
accompagné de son fils que j’appellerai René, la mémoire me faisant parfois
défaut, cause au temps qui passe.. Puis, cinq kilomètres à pied pour arriver à
la ferme. Chut… plus de bruit… Un silence religieux précède la découverte du
veau gras (paix à son âme) déjà désossé et découpé en gros morceaux la veille
par le fermier. René, mon nouveau camarade me donne un coup de main pour
charger la bidoche dans une brouette en bois, qui n’en était pas à son premier
voyage et qu’il va falloir pousser pendant cinq kilomètres.
-Eh, oui, des
kilomètres, j’en ai bien fait cinq, à vide et donc il en faut autant pour
revenir. Mais chargé. Rassurez-vous… ce n’est pas dur. Faut suivre, c’est tout.
Alors, va comme je te pousse notre brouette à viande,
aidé par René mon pote, jusqu’à la gare retrouver mes valises vides
soigneusement cachées qu’il faudra bien remplir…
Aïe, aïe, aïe… deux spécimens de la maréchaussée, aussi
affamés que moi, observent attentivement nos deux valises sur lesquelles nous
sommes assis, mon copain et moi. Les deux hommes au nez rouge (pardon, je
voulais parler des gendarmes), voyant ces enfants innocents (ou, pourrait-on
dire hypocrites?) tournent leurs regards vers d’autres suspects pour tenter de
savoir si le marché noir fait bien rage.
Alors, salut les deux clowns!
Laissant le petit fermier-copain repartir à ses vaches,
je rejoins la capitale, espérant exécuter ma périlleuse mission jusqu’au bout…
mais surtout, sans encombre. Cette viande est un véritable trésor car nous
pourrons l’échanger contre de la marchandise utile au métier de mon père. Cette
pauvre petite bête nous sert aussi à soudoyer un gazier qui nous fournit de
l’huile qui empeste le gaz… vous dites : «Denise aussi ?». Oui, cette huile
incommode tout un chacun mais, ce liquide nous permet de travailler et de
vivre.
Un jour, j’ai ramené avec mon veau un petit lapin qui
aurait dû grandir et finir sa croissance comme le veau. Dans la marmite. Mais,
au lieu de terminer sa vie en sauce dans mon assiette, il deviendra mon
meilleur confident. Et je lui ai donné un nom, Philomène. C’est bien,
non ? Va t’en un ami que tu
appelles par son nom… Philou, mon coco.
Ainsi, nous avons filé des jours heureux de nombreuses
années… pendant l’Occupation.
Pendant ce temps-là dans le monde…
Le 30 janvier 1943, Pierre Laval crée la Milice chargée
de lutter aux côtés de la police allemande et française contre la résistance.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire