-Chez nous, les Kabyles on te fera la guerre sans répit pour un rien et
pour un dommage gravissime, on te dira : « C’est rien, mon frère,
c’est rien ! »
Depuis que j’écris sur mon
blog, jamais, au grand jamais je ne me suis abaissé à régler des comptes
personnels, ou si peu. J’en serais malheureux, moins pour les mis en cause que pour
moi-même et pourtant, dérogeons
pour une fois à la règle. Oui, je le sais : une fois encore.
Parce qu’on me lit dans ma
ville, j’espère que certains profiteront de la leçon. Voilà donc encore une
belle histoire qui prouve que, trop souvent la bêtise s’accroche à la rancune
comme le pendu à sa corde, mais cette corde, je jure sur mon honneur que je ne
l’ai pas moi-même ni tressée, ni accrochée à l’arbre.
Depuis quelques temps,
lorsque j’essaie de discuter ou de vouloir partager un pot à la terrasse de mon
bistrot avec des personnes que je considère comme des copains, l’accueil toujours
chaleureux se transforme en évitement de regards uniquement lorsque Jean-Balthazar
se fait le gardien de la tablée. Je ne suis plus bienvenu :
-Non, cette chaise est déjà prise… oui, celle-là
aussi. Par Antoine et Claude. On les attend.
On a bon dos, alors
pourquoi insister ? Je pars m’installer ailleurs et, hier soir je m’en
ouvris à Américo :
-Peut-être qu’ils sont abrutis. Peut-être pas tous, m’enfin on ne
sait jamais. Aurais-tu joué un tour pendable à Jean-Balthazar ? Réfléchis.
Tiens, était-ce celui-ci ou Jean-Charles ? Possible
car il me revenait en mémoire une altercation vieille de plus de quinze ans avec un
abruti, un Jean-Machin insignifiant dont je ne me souviens pas avoir aperçu ne serait-ce que l’ombre du visage
pour la raison que j’étais excédé et que l’affaire se déroulait une nuit de
juin dans la sombre cour de l’école laïque et un jour de fête de la Solidarité. Voilà de quoi il retourne. Vous allez rigoler. Ma parole, si je mens !
Une fête qui avait mal évolué terminait
toujours l’année scolaire. De mon temps, toutes les
classes présentaient des chants, des scénettes avec des décors construits par
les enfants et des déguisements pour mieux entrer dans son rôle. Fallait voir les parents !
Mais, mon temps, il y longtemps
qu’il est révolu. Puis, l’éducation ayant heureusement progressé, on considéra
qu’après l’organisation de jeux pour les petits, les parents s'acheveraient par un bal entre-soi.
Je résidais à l’époque à
moins de 20 mètres de l’école et du boucan. Vers une heure du mat, Fanny fatiguée
n’arrivant pas à pouvoir s’endormir :
-Tu crois qu’ils vont faire du bruit encore pendant longtemps ?
Il faut savoir que nos
jeunes adultes, les oreilles détruites par le walkman de l’époque n’avaient plus
aucun sens de la mesure des décibels et mettaient la musique à fond les
manettes, avec ces basses démentes à vous tordre le ventre. Atroce.
-C’est la fête chérie. Au Vigan, c’est rare, une fête. Faut bien
s’amuser lui disais-je.
Cette dernière phrase
était-elle de moi ? Possible quoique j’étais excédé par le bruit si puissant
que les vitres mal mastiquées de nos vieilles fenêtres se mettaient à vibrer,
mais admettons.
-Si j’étais moins fatiguée, j'irais bien leur demander de
baisser un peu leur sono.
Tu parles ! Message reçu cinq sur
cinq.
Ni une ni deux, et parce
que Fanny me reprocherait demain mon laxisme, euphémisme pour parler de
lâcheté, je sautais dans mon jean et, torse nu et sans chaussures je me faisais
fort de me faire comprendre des organisateurs.
Me voila dans la cour
pratiquement déserte et plongée dans le noir, tout un couple dansant, pensez,
la seule femme du lot, une tournante, va savoir plus une poignée de jeunes gens discutant près de la
grande table du fond, un type plus âgé assis à ses platines, tous semblant
s’ennuyer fermement. Pas de parents ni d’enfants à l’horizon. Mince alors,
c’est devenu quoi, cette fête de l’école ? Une boite de nuit de 21 heures à cinq heures du mat’ avec plus de
décibels que de danseurs et tous déprimés en constatant soudain que la vie
marche de pair avec la solitude de la nuit dans un monde qui voudrait bien leur
offrir le bonheur par l’oubli du quotidien ?
Le type assis, je ne l’ai
pas reconnu mais, quoique étonné, sans plus, de constater qu’on se permettait de
mettre autant de musique à fond pour un seul couple de danseurs, je l’interpellais
calmement par-dessus la table :
-J’habite à côté. Ma femme revient d’Afrique après un long voyage. Si
vous pouviez baisser un peu la musique, ce serait aimable.
Je croyais ma demande
raisonnable. Réponse du responsable que tous, sauf moi auront reconnu
aujourd’hui à la tablée du bistrot :
-Monsieur, on a l’autorisation de la Mairie.
-D’accord. Mais, jusqu’à qu’elle heure ?
-Jusqu’à minuit.
Je consultais ma
montre :
-Il est plus d’une heure du matin. Alors vous allez m’arrêter tout
ce machin.
-D’accord, juste un dernier disque et j'arrête.
Sans nul doute pour me
signifier son contentement suite à notre accord, le monsieur lança La danse des canards un morceau
d’anthologie qui ne dure que 7 minutes, la musique toujours à fond. Mais, qu’est-ce que sept minutes dans toute une nuit même si elle était raccourcie ? Rien. Moi, sorti de la cour, je
m’accoudais au garde-fou du pont qui enjambe la Pénétrante, attendant en fumant une cigarette, rasséréné par les
bonnes volontés communes. Le DJ, me voyant partir pensait que, tranquillisé
j’étais rentré chez-moi.
Curieux qu’aujourd’hui, je
me demande encore pourquoi je n’étais pas rentré me coucher.
Chouette, la musique cessa
enfin. Je ne fis pas cinq mètres en direction de la maison quand Procol Aroum
hurla son A Wader shade of pale. Un
hurlement alors qu’on aurait du s’attendre au silence promis par l'autre abruti ou à une musique plus
douce, comprenez, comme pour un slow langoureux. Mais, non ! Je t’en
foutrai, moi, de la musique à fond.
L’avait pas bien compris
cet animal de responsable de ce qui risquait de lui arriver sur son vilain museau.
Ni une ni deux, dans l’état que sans doute il espérait, je me dirigeais vers sa
table, cette fois entourée de toute sa Jeune
Garde, pensez la Solidarité était
proche du Parti Communiste viganais, de mon temps.
Je me bloquais devant lui, le pied droit armé à pouvoir le projeter par dessus la table et voilà pourquoi je le regardais de biais pour ne pas l'inquiéter. Quel salopard !
-Je ne crois pas que tu m’as bien compris. Ton foutoir, tu me l’arrêtes
tout de suite si tu ne veux pas que je te plante quelques bons coups de pieds
dans ton ampli, à commencer par les enceintes. Compris ?
Faut dire que l’autre a eu
une réaction incroyable :
-Je ne croyais pas que vous soyez comme ça !
-Ah, ouais ! Vous soyez comme ça... j'ai pas bien entendu ! T’as raison, je
suis pire parce qu’après ton matériel, je te pète la gueule, espèce d’abruti.
Et ne pense pas que tes copains me font peur. Alors, arrête de me gonfler. Je m'en vais, et gare à toi si je reviens.
Voyez-vous, cet épisode je
l’avais oublié. Et je ne savais même pas la tête de l’abruti de service dans mon histoire.
Mais, comme c’est humain il a dû renverser les rôles pour me faire passer pour
un beau salaud, agressif en contant à sa façon cette histoire à mes copains qui, eux pas
futés pour un sou l’ont gobée. Et, hop ! Merci les mecs, on se paiera encore des pots
ensemble !
Comme j’aurais bien aimé
que les Jean-Pierre, les Claude et les Jean-Foutre montrent un peu de courage pour me demander ma version, j’en tire la
conclusion qu’il me faudra leur refuser, à dater de ce jour mon bonjour et les
dispenser de ma charmante présence.
Comme je l’affirmais plus
haut, la rancune ne me tenaille plus et si, à l’occasion ils voulaient quelques
explications sur les choses à ne jamais faire lorsqu’on se pense être un
honnête homme alors, sans doute reverrais-je ma position. Pas avant.
Mais, cette
histoire importe-t-elle ? Pas le moins du monde, mais les
bons comptes font les bons amis.
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