Tata Georgette, c’est une marrante qui chaparde des
bricoles en passant près des étals des magasins. L’autre jour, grande gueule comme à
l’accoutumée, elle s’est battue à grands coups de maquereau avec la marchande
de poissons. Après cet épisode de grand déferlement féminin, elle sentait la
marée basse. Mais, ma tata, moi, je me l’aime comme elle est.
Souvent, on se met à courir pour aller se réfugier dans
des abris qui sont des caves obscures où on est entassés avec d’autres gens. Ma
tante me dit que c’est plus prudent d’y aller, mais moi, j’aime pas.
Quand je la surprends à penser, et qu’elle ne me voit
pas, son regard est loin et triste, l’amour et l’argent ne sont pas ses points
forts. Alors, un jour, au bout du rouleau, elle se décide à partir comme
travailleuse volontaire en Allemagne d’où elle ne reviendra pas, rongée par les
produits toxiques manipulés sans protection…
Bravo les gars!
Mais avant que de partir, elle me confit… pardon !
Elle me confie à un monsieur tout frisé au fort accent italien, que je n’avais
jamais vu et qui me dit :
-Bonzourr mone
pétite garçone. Zé souis tone pappa!
Deux P à papa, je vous en prie! Merci bien!
Poussé par un élan affectif incoercible, Pappa allume une
clope… Oh, comme c’est beau l’amour paternel.
Bravissimo Pappa!
En ces temps-là, nous habitons encore un immeuble
bourgeois! Eh, oui. Nous sommes dans le
XVème. Six étages sans ascenseur, rue de la Croix Vivert, chez une «vieille»
dame de 50 ans qui s’occupe bien de moi. Les gens l’appellent la
Rouquine. Elle a une grande fille et une petite fille, Nicole, qui sera ma
copine. Nous avons le même âge, elle est très gentille et on joue bien
ensemble. Elle m’apprend la marelle, mais je n’aime pas çà, c’est pour les
filles. Mois, je préfère les billes et les osselets. Mais, elle aussi.
Ah, oui… aussi, le fait de jouer au toubib m’apprend
beaucoup de choses sur la vie et je prendrai de l’avance, par ces leçons d’anatomie
féminine, sur la compréhension du genre humain.
Je vais à l’école de mon quartier à pieds. Au loin,
j’aperçois le métro aérien et c’est bien ainsi. J’ai mon cartable rempli de
livres porté à bout de bras et c’est lourd. Mes camarades de classe, ceux-là
qu’ont des blouses grises, ne me traitent plus de bâtard, mon père n’ayant
jamais été boulanger…
Non… ils m’appellent le sale rital, mon père étant
italien… alors, ils s’amusent de moi.
C’est pourquoi, à la récrée, ils ne jouent pas avec moi,
je reste seul dans un coin avec mes pensées.
Bravo, les p’tits
gars.
Ouf ! Le soir venu, je suis content de rentrer à la
maison. La moitié de la nuit est déjà passée depuis 6 heures. L’aurore
s’éveille. Des étourneaux sur les arbres perchés s’égosillent de leur chant
mélodieux… Heu… Non… disons plutôt : dans un vacarme assourdissant, qu’à
force çà vous gonfle. Puis, fort heureusement, le soleil pointe le bout de son
nez…, mon père allume une cigarette pour bien me signifier qu’il aime son fils,
c’est l’heure de sortir du nid. Allez, les étourneaux… ouste, à l’école!
La vie aurait pu se prolonger dans cette quiétude
apparente, et bien, non! La guerre s’en était déjà mêlée, la saleté…
-Excusez-moi, je
m’énerve!
Les allemands se rapprochent de Paris, tout le monde à
peur, on dit des tas de chose à leur sujet. Non sans raison… Des tueries, des
viols, des civils massacrés. 14-18 revient à la surface… les gaz…
La Rouquine décide de fuir en exode avec sa fille et sa
petite fille Nicole. Adieu... Je ne savais pas encore que je ne les reverrai
plus jamais, perdues toutes trois dans la tourmente. Que sont-elles devenues?
Nul ne le sait.
Pendant ce temps, dans le monde…
Le 12 juin 1940. Sur les routes les populations fuyant
les villes sont bombardées par l’aviation italienne de Pappa.
Bravo les gars.
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