Toujours début juin 1940. Les allemands sont signalés partout.
Paris voulut se protéger mais sera déclarée ville ouverte. C’est mieux ainsi.
Mon père, Umberto décide de faire comme la Rouquine. Fuir
les hordes barbares fascistes. Il prend son vélo, une valise sur le
porte-bagage et moi par-dessus, le tout, en équilibre précaire. Très précaire.
Et, nous voilà partis, nous traînant cahin-caha, Pappa
debout sur les pédales, arque-bouté comme un travailleur de force pour faire
avancer la lourde machine, pendant que deux travelos tout excité, supputant
nos chances de nous en sortir indemnes, nous contemplent. Hilares. Les dix
premiers mètres resteront dans les annales du XVème arrondissement de
Paris: ce n’est qu’une longue et lente évolution sinueuse d’un vélo zigzagant
tel un fêtard sortant d’une beuverie bien arrosée.
Vingt mètres encore, encore quelques tours de roue,
encore et toujours avancer et, patatras… nous voilà par terre.
Au bout d’un troisième essai, nous décidons de tout rentrer
à la maison, du vélo inutile, passant par la valise à remiser et des bonhommes
défaits… chaque chose à sa place. Nous, chez-nous et les allemands au diable.
Nous verrons bien ce qu’il se passera.
Et puis, comme les allemands sont signalés près de partout,
autant rester à casa, comme dit Pappa.
Bravo, mon petit
Pappa!
Pendant ce temps encore dans le monde…
14 juin 1940, l’armée allemande investit une capitale
déserte, le gouvernement inutile se replie sur Bordeaux, des françaises et des
français pleurent de honte, de rage et de désespoir.
Bravo les gars.
Dans la nuit du 16 au 17, le Président de la République
Française Albert Lebrun charge le Maréchal Pérain, le vainqueur de Verdun de
former un nouveau gouvernement.
Maréchal, nous voilà!
Bravo, les pioupious!
Nous voilà, Maréchal, et le temps passe. Des gens,
rapaces, volent leurs voisins d’en face.
D’autres, en place, volent au secours des opprimés. En ses temps difficiles,
chacun ses ailes. D’anges ou de démon.
La vie s’organise tant bien que mal… plutôt mal, pour les
pauvres. Plus de pain, plus de viande, alors, elle demanda à la fourmi, sa
voisine… Heu… non, pardon, je me trompe d’histoire. Les allemands confisquent
tout. On les appelle les doryphores. La France est leur champ de patates qu’ils
dévastent à loisir, sans vergogne. Les allemands confisquent tout.
Nous habitons un petit hôtel à putes… disons plutôt, un
hôtel meuble… bien garni, quoi, avenue du Bel Air, à côté de la Nation.
L’atelier de mon père se trouve rue Picpus (au XIIème
siècle, ancienne rue Piquepusse), au numéro 22, à l’emplacement, jusqu’en 1860,
d’un hôpital militaire.
Tous les matins, je prends mon petit déjeuner au
mastroquet d’en face. Il y a, à l’intérieur, cinq tables rondes aux pieds
sculptés… ou en fonte moulée…, le dessus en marbre. Mais, quel luxe.
Derrière le bar, au dessus de la machine à café se dresse
la photo d’un vieux monsieur à la moustache blanche, coiffé d’un képi de
maréchal de France.
-Qui est-ce ?
Si vous répondez vite que c’est le défenseur de tous les Français, que le
Monsieur a fait don de son corps pour sauver la France, vous avez gagné!
Nous ne savions pas, alors, que la France offrait un séjour
en camp, en Pologne ou ailleurs pour toutes les familles des juifs français… les
femmes, les hommes, même les anciens combattants de la grande guerre et les
petits enfants.
Alors, la France leur mentait pour qu’ils se tiennent
bien tranquille jusqu’à leur départ. Comme s’il s’agissait d’un jeu national
ouvert à tous sauf aux aryens, aux membres de la Milice, de la Police, de la
Légion des Volontaires Français (LVF) contre le bolchévisme…
La Patronne de mon café-petit-déjeuner a un mari
prisonnier en Allemagne et des beaux seins, autant que je puisse en juger à mon
âge… oui, de gros seins épiés par deux baudruches clientes en mal d’amour qui
ne pensent qu’à s’envoyer en l’air.
Pour les repas du midi e t du soir, nous allons, Pappa et
moi «chez Bartoli», un restaurant italien sis avenue de Bouvines (victoire
française du 27 juillet 1214), toujours dans mon quartier.
«Chez Bartoli », tout est médiocre. Une dizaine de
tables rectangulaires aux pieds de bois, le dessus en tôle. Ce n’est vraiment
pas la classe.
Par contre, derrière le bar, au dessus de la machine à
capucino, se dresse une photo d’un gros monsieur, rasé de près, sans moustache
et coiffé d’un chapeau à poils.
-Mais, qui est-ce,
Pappa…
Pour en savoir plus, écoutez tous les matins de sept à
neuf heures, RADIO PARIS ment, Radio Paris est allemand…
Bartoli, le patron du restaurant «Chez Bartoli» est italien
comme vous n’êtes pas sans l’avoir deviné par son nom… et la Photo de Mussolini.
C’est le copain de mon père. Mais, non… Pas le Duce. Mais, oui, Bartoli. Ils se
sont connus pendant leurs études de doctorat (deux grosses têtes assurément).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire