Le temps passe, les évènements nous dépassent. Les finances sont à sec. Sans trop y croire, on tente de s’en sortir, le chat veut rentrer…
-… Tiens, c’est
bizarre… Oh, pardon! Je m’égare. Reprenons l’histoire.
1942, j’ai 14 ans, je suis un homme maintenant.
Ce jour, il pleut de grosses gouttes d’eaux qui
s’écrasent sur les carreaux de la fenêtre. Dans la rue, les gens courent pour
ne pas être mouillé. Un léger souffle d’air, caressant mes cheveux blonds, me
fait comprendre que quelqu’un vient d’entrer dans la pièce. Je me retourne…
-Bonzourr mone pétite garçoné, zésouis tone pappa…
-Non, pas ça, tu
l’as déjà dit il y a au moins dix pages. Tu ne vas pas me dire à chaque fois la
même chose…
-Mâ… zé né sais pas diré, moi fliolo, pèrquoi tou né
m’écris pas oune texte…
Désolé pour l’accent mais, on n’a rien sans rien…
-Ah, oui. Tu as
raison, je m’en occupe tout de suite.
Quand mon Pappa n’était pas là, j’appelais ça de
l’absentéisme. Maintenant qu’il est présent et qu’il parle, j’appelle ça de
l’accentéisme.
-Bon. Reprenons
notre histoire. Mon père me
regarde tel un pappa-réverbère sans ampoule, les yeux vitreux, encore resté
dans les profondeurs du nouveau monde ré-inventé, cette nuit encore, avec la
complicité de son pote Aldo le bistrot.
Tard le soir, tant bien que mal, il s’en va se coucher,
se cognant dans les encoignures des portes qui osent lui faire barrage…
-Bonne nuit, pappa,
et dors bien.
Ce matin, j’ai décidé d’aller au bassin de la Nation
tandis que quelqu’un frappe à la porte…
-Quelle
porte ? Ah, non… ça, c’est chez moi. Je vais aux nouvelles et je reviens
de suite.
C’était le facteur avec une lettre recommandée…
-Désolé de ce
contretemps. Je continue notre récit!
Donc, le bassin de la Nation… ah, oui. Magnifique avec
ses 252 mètres de diamètre, ses statues au centre et ses quatre crocodiles de
bronze.
Hier, je me suis fabriqué un petit bateau avec un vieux
mouchoir pour la voile et des chutes de bois ramassées par terre dans l’atelier
de pappa pour la coque. Aujourd’hui, nous voguons dans le grand bassin à crocos
et nous nous évadons en rêvant à des pays lointains.
Puis, un jour, des camions se sont arrêtés pour emmener
les quatre crocodiles en voyage. Les camions sont allemands, les crocos sont
français. Je ne comprends pas. Pappa qui est italien me dit que c’est pour
soutenir l’effort de guerre du Grand Reich allemand et son armement. Je suis
triste.
A part les crocos, moi, je m’amuse bien dans mon
quartier. Pappa s’occupe toujours bien de lui et délaisse quelque peu Aldo et
son bistrot pour tenir compagnie à la dame d’en face, au numéro 5. Tous deux
sont bizarre parce qu’ils n’arrêtent pas de rigoler comme des mioches. C’est
drôle mais, pappa serait-il enfin heureux?
La dame à mon Pappa s’appelle Denise, elle est très
gentille avec son petit visage tout rond et son corps dodu. Son appartement se
situe au rez-de-chaussée, avec une petite cour juste derrière. Elle nous
propose d’y habiter avec elle, ce à quoi mon père s’empresse de répondre par
l’affirmative. Et c’est tant mieux parce que j’aurai une chambre rien que pour
moi.
Alors, Pappa, la Dame et moi, nous sommes heureux.
Laissons-là cette joie passagère… qui lasse, à force, et
retournons à notre drame récurrent. Cette histoire que je vous conte
présentement intéressa vivement notre Victor HOGO national qui en fit un roman
à succès en 1866.
Eh, oui… parce que le bonheur sans manger cela ne se
peut. Mais, manger, qu’est-ce que cela peut bien signifier en ces années 40 si
ce n’est qu’il faut plus que penser au ravitaillement, et à Paris, à l’époque,
faire ses courses n’est pas évident. C’est pourquoi mon père décide de
m’envoyer chez une de ses nombreuses connaissances, un fermier à La Loupe,
petite ville à cent cinquante kilomètres de Paris.
Pendant ce temps-là dans le monde…
Le 12 août 1942, les représailles continuent en France
occupée, là ou les résistants sont les plus nombreux et les mieux organisés.
Le 19 août 1942, tentative de débarquement des
anglo-canadiens sur les galets des plages de Dieppe. Un échec sanglant.
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