mardi 16 juin 2015

Il était une fois Lobo - 4


Dès mes 11 printemps, je vivais normalement sans me rendre compte que, comme au Casino, rien n’allait plus dans ma vie : je ne savais pas qui je serais pour la simple raison que je ne savais pas qui j’étais, et la chose s'accentua à mes 14 ans.

Pardon, pardon encore, mais quelqu'un avait décidé, à ma naissance, que je serai un autre que celui que j’aurais dû devenir : on avait tout chamboulé, de mon nom à mon existence sans que moi-même, ou ma mère, n'en aient été valablement informés.
Réfugiée à Tizi-Ouzou, ma mère, Fatima fut chassée de son village et de sa maison par les gentils croyants de ma parentèle qui, par là, montraient tout l’amour et la compassion qu’ils ressentaient pour leur famille, le genre humain, la veuve et l'orphelin, en particulier.

Aussi, plus rien ne pouvait avancer dans ma vie d’adolescent et je ne pouvais m'autoriser aucun avenir tant que personne ne voulait se découvrir pour me raconter ma propre histoire personnelle : avais-je été apporté par une cigogne algérienne, né dans les courgettes, tombé du camion comme on le faisait pour pouvoir déguster les pastèques éclatées, abandonné malencontreusement ou déclaré à la Mairie en toute illégalité par un officier d'Etat-Civil faisant foi ?
Bien le bonjour, Madame la France, les choses commençaient bien pour moi !
 
Mais, nom de Dieu : qui étais-je ? Et qui serais-je ?

Aussi, pour commencer à pouvoir réaliser que j’étais mal-existant, et donc mal-étant, il me fallait découvrir le responsable de ce tour de salaud qui m'aura déclaré né de père et mère inconnus, incongruité que je révèlerai vers mes 11 ans à ma mère Fatima, Fatima qui ne se pouvait désormais plus jamais pouvoir prétendre être ma mère à la suite de cette déclaration plus qu'intempestive de missionnaires aimant son prochain comme soi-même.
Enfin, comme dit en toute charité chrétienne.

Et puis : quel était le but de la manœuvre ? Faire de moi un français à part entière en me sortant du statut de l’indigénat ? Parier sur les bienfaits d’un abâtardissement "légal" inéluctable préférable, en nôtre toujours « colonie » algérienne, pour ne pas tomber sous la loi « islamique » autorisée par l’Administration ?

Me voulait-on bâtard et français en espérant, ou en pariant, que ma mère ne pouvait pas ne pas m’abandonner ? Et pourquoi ne pouvait-elle pas ne pas m’abandonner ? Ah !
Et pourquoi ne l’a-t-elle pas fait ?
Me voulait-on voir sombrer dans la folie à élaborer tous scénarii plus qu’improbables, complètement dément… les élaborer seul, sans garde-fou à cette schizophrénie pas si anormale que cela, parce que ni heureux ni malheureux ?

Pardon... vous ne comprenez pas ? Mais c'est d'un simple : j'étais heureux d'être français, et malheureux d'avoir un nom-prénom français qui, en raison sociale, disait à tous que j'étais un bâtard.

Un fou, donc j'étais et qui ne le savait pas puisqu’il ne pouvait pas ressentir normalement la douleur des choses de la vie. Et n'en souffrait pas. Et ne se mesurait pas à l'aune de l'autre car il refusait de communiquer sa détresse, parce qu'il ne souffrait pas, ne pouvait la ressentir tant elle était immense.  
Etrange, me direz-vous ? Non : la vie n'est jamais folie, encore moins pour le fou qui ne le sait pas. Mais lorsque la douleur est trop grande, elle s'efface tout naturellement.

Lobo arriva à point pour m’empêcher de sombrer parano à toujours poser ces questions auxquelles personnes, et surtout pas ma mère ne voulaient ou pouvaient répondre, et où tous pariaient que je me lasserai dans ma quête de cette recherche de la vérité.
Lobo, mon chien fut-il mon remède à la folie ? Possible, mais pas que lui.

Même ma mère "illégale", Fatima, l'auteur de mes jours et de ma folie m'aura aidé, comme la lecture de tous philosophes, romanciers et historiens que je dévorais sur ma route, et mon ami Andros, et Marinette et de son restaurant, et Ahmed, le serveur à qui j’apprenais à lire et écrire, pendant mes vacances au Vigan, et le Collège Cévenol et mes correspondants Etienne et Suzanne, et mon prof de Math, Mr PARKER puis, plus tard, mon prof d’H-G de Daudet à Nîmes qui me poussera à l’alphabétisation des réfugiés espagnols… oui, dites : qui m’aura le plus et le mieux soigné à mon esprit défendant ? 

Et que dire des Missionnaires MANZ, Dora et surtout Berthe qui m'annonça que ma scolarité au Collège Cévenol avait coûté la bagatelle d’une Dauphine RENAULT, tout en me supportant, simplement ?

Et mon Lobo, à qui je n’ai jamais rien confié de ma vie, je vous le certifie, Lobo m’aimait et me consolait, Lobo toujours aussi abandonnique et qui s’attristait à m’attendre, ne supportant pas de ne pas être en contact permanent avec son papa, Lobo à qui, avec Andros, nous apprenions à « chanter » à la rivière, Lobo toujours à me suivre et me défendre, Lobo, mon pote, mon copain, mon alter-égo.

Oui, ce fut Lobo qui me sauva, à mes dix-sept ans. Et, de ma vie, l'embellit !

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