Un goût de luxe.
Les membres de la Section syndicale CGT et les salariés de la boîte devaient embarquer au Havre, avec escale à Dunkerque puis poursuivre leur croisière vers la Norvège, quand une grève surprise des dockers CGT les retarda, les contraignant à partir d’Ostende, un matin brumeux.- Tiens, regarde comme j’étais belle, en 80. Un jour, je te sortirai toutes les photos. Sur celles-ci, ce n’est que la famille. Et celle-là, ma jumelle. On se ressemblait tellement.
La ressemblance ? Je ne voyais pas, sauf peut-être en ce qui concernait la blondeur, la taille, la façon de s’habiller, de se tenir, l'éclat or-paille dans les yeux, à ce que j’ai pu en juger. Mais, dites, les jumelles pouvez-vous réellement vous ressembler comme deux gouttes d’eau ? Impossible, chère Rosemonde.
Enfin, croyez ce que voulez, moi ce que j'en dis...
Rosemonde, qui me racontait sa croisière et sa jeunesse était toujours aussi belle, et même, même que je la trouvais plus belle que sa jumelle. Oui, de par son regard si différent.
- Un jour, je te sortirai les photos des autres membres de la croisière. J’avais 40 ans de moins…. Et Rosemonde, soupira.
- Etais-je belle ? Je ne sais, et ne le pensais pas alors, même si je l'entendais dire, tu sais. Canon... Tu veux savoir si les femmes me trouvaient canon ? Oui, et là, j’en étais heureuse. Pourquoi ? Mais, parce que, contrairement à vous, les femmes ont du goût.
Belle ? Non, mais désirable, c'est certain sachant que les hommes confondent sans pouvoir dissocier la beauté du désir.
Pas bête, nôtre belle qui marquait le point.
- Le désir de beauté, c'est tout les hommes. Et puis, j'étais jeune, ce qui était bien meilleur. La beauté, tant que tu ne le sais pas, pour ce que cela te sert… La jeunesse, çà, oui, c'est bien utile !
- Moi, j’aurais été ton mari !...
- Oh toi alors, toi ! Tu me vois aussi belle qu'à vingt ans, Gilou.
- Ton mari en ces années 80 te sortait bien à la plage ? En bikini, non ? Une statue blonde intégralement bronzée !
- Tu me fais rougir. Mais, non, pas même. Ni dans la rue. Non ! Et puis, les vacances pour lui qui était commerçant, tu n'y penses pas ! Alors, la plage ? Les employés oui, pas les patrons.
- Pas possible ! Il te sortait, quand même, ton mari…
- Mais oui, mais à chacun son trottoir. C’était ainsi !
Mince. Une belle au mari étrange.
- Cette croisière, sans ton mari, çà a du te changer !
- Eh bien, ma jumelle aurait aimé que j'en profite, elle qui n’appréciait pas mon homme. Mais je n’étais pas libre à l’époque, et moins délurés que ma sœur. Et on me surveillait : mes tantes, tonton...
- Tu veux dire qu’au jour d’aujourd’hui tu serais plus légère ?
- Mais, qu’est-ce que vas chercher là !
- Mais, en croisière, comment résister à la tentation...
- Enfin, Gilles ! Tu connais un homme qui n’a pas envie de sauter sur tout ce qui porte jupon, à part toi ? S'il fallait tous les contenter, on n'aurait pas fini de sitôt !
Je reconnais que Rosemonde marquait encore le point.
- Oui, désirée sur un bateau où il y a peu de femmes, çà ne compte pas. Et partout de jeunes marins costauds, sains, sur la réserve qui n’ont pas le droit de te séduire, eux. Et puis note encore, attend… oh, ce pianiste et son chef d’orchestre. Je le savais qu’ils me voulaient, surtout le pianiste. Fortement ? Ben, faut croire !
- Comment le savais-tu ?
- Des passades des hommes et de leurs dangers associés ? Nos mères nous en ont prémunies toutes jeunes, crois-moi !
Admets, Pierrot que Rosemonde gagne encore le point et prend mon service.
- Pour quelqu'un qui avait été élevée dans une famille pauvres, cette croisière semblait le lieu de tous les possibles d'accession à la richesse, avec ces regards cajoleurs, ces sourires prometteurs, cette galanterie voluptueuse et ce charme vieillot des conversations mondaines. Tout sentait bon, et tous étaient habillés divinement, mais ces plaisirs de la croisière nous étaient offerts au mérite de nôtre jeunesse et de leurs désirs !
Rosemonde venait encore de gagner : jeu, set et match !
- Mais, tu avais des occasions pour rattraper le temps perdu !
- Mais, non ! Mes plaisirs n’étaient que frôlements de robe et mélanges de parfums sur les ponts-promenade, évitements dans les coursives, parades aux salles à manger, regards hésitants à la cafétéria, défilés de mode en tenue de soirée.
Et la danse, oh ! La danse pour faire valser cette robe légère, sans oublier la première manœuvre d’ensemble qui consistait à l’exercice d’évacuation du navire.
- Même à vouloir sauver sa vie, tout était fait pour donner envie de se perdre dans les bras d'un homme. Comme c’était amusant de rencontrer des gens que tu n’aurais jamais osé regarder, ni aborder, ni saluer en étant heureuse, à vouloir hurler :
- Au secours, elle sombre dans vos yeux. Elle a peur. Harponnez, arrimez et sauvez-la, cette belle inconnue ! Et qu'elle soit toute à ses vouloirs !
Mais, tu ne vas pas au bout de cette chose divine et tu sais que tes cavaliers, tout en te souriant, enragent de ne point parvenir à conclure. Que du plaisir !
- Oui, les exercices d’incendie n'ont d'utilité qu'en vue de la rencontre, ne penses-tu pas ? Pour la sécurité, aussi ? Si on veut ! Et puis, faut croire que, vous les hommes, dès qu’une occasion se présente… eh, hop ! Mais, que vous nous accablez de vos lourdeurs !
- Les plaisirs de la croisière étaient aussi dans le froid brouillard, le sombre de la mer, nôtre frêle esquif s'encastrant tout au fond de fjords encaissés, oppressants, les craquements dans le bercement du bateau, et encore cet espoir de la possible rencontre. Et l'orchestre et sa musique à l’apéritif, avec en soirée ces bals de la débutante que j'étais alors, et toujours ce spleen dans les couchers de soleil et la tristesse des mi-nuits avant que de regagner sa cabine, accompagnée sans oublier de laisser ton galant servant frustré à la porte, gros Jean comme devant.
Oui, je me répète, Gilou... mais quel plaisir de se repasser le film !
Et danser, imagine, moi qui adorais danser !...
Oui, la croisière, c'est romantique, sauf à partager ta cabine avec ta sœur. Et accompagné de tata-marraine, tata Renée et tonton. Surtout tonton.
- Mais la croisière ne peut se concevoir sans ces jeux de société incroyables avec un partenaire inconnu qu'on t'attribuait au sort, des jeux tant surprenants, si nunuches que cela en devenait une véritable diablerie.
Un soir, comme par un fait exprès, on m'offre en partenariat un homme dont la femme crevait d’une jalousie folle. Il y avait de quoi.
Mon grand bébé au regard fiévreux d'espagnol, à la volubilité italienne, au maintien allemand, cet étalon anglo-arabe à la longue crinière possédait un physique tel qu'on pouvait craindre le pire pour sa bonne femme qui, par malheur avait tiré le gros lot. Et, que Dieu veuille bien protéger cet étalon du désir de possession de tous hommes et autres femmes !
Donc, par tirage au sort, le monsieur de la dame au noir regard devint mon partenaire d'un jeu de salon où il fallait dire comment manger une pomme. Moi, le bonhomme je ne le connaissais pas, mais je l'avais déjà remarqué, tu comprends, Gilou ? Je lui dis :
- Piquons la pomme d'une fourchette, pelons-la, puis partageons…
- Et si, Madame, cette pomme...
Aie, Rosemonde, attention à ne pas te perdre à ce jeu et avec ce type-là !
Rosemonde, en sa blondeur ne risque-t-elle pas de damner l'Adam ? Mais, que fera-t-on d'Eve, la jalouse, en cette galère ?
Vous le saurez dans le prochain épisode.
*Ndlr : Mais quel était le nom du bateau, Rosemonde ? Vous en souvenez-vous, la belle ?
A suivre…
PS : and Happy birthday to you, Rico !
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