vendredi 17 juillet 2015

La Closque -3


Esther La Closque

Et voila donc que Gédéon passa, de nuit, sur la pointe des pieds, comme un voleur, pour ne pas déranger son monde, un début d’août et par une de ces chaleurs empêchant le hameau de se rendre au temple du canton, bien trop éloigné. 

Comme aux premiers temps de la Réforme, le pasteur fut absent excusé à l'ensevelissement. On chanta à l'unisson le psaume 57 choisi par La Boulange dans le petit jardinet attenant à sa maison natale. Dans le temps que la louange s'élevait, l'assemblée sanctifiait la Closque qui, perdant son statut d’empêcheur de tourner en rond, réintégrait la communauté villageoise pour redevenir Gédéon La Boulange par les bienfaits d’une mort lénifiante*.

*Ndlr : anachronisme. Le mot attendra d’être formé.

Psaume LVII de David (en rimes françoises du milieu du XVI siècle, paraphrasé par Théodore de Bèze) :
 - Aie pitié, aie pitié de moi
   Car, ô mon Dieu, mon cri s’adresse à toi.
   Et jusqu’à tant que ces méchants rebelles
   Soient tous passés, espérance ne foi,
   Jamais n’aurai qu’en l’ombre de tes ailes.

   Au Dieu très haut, mon cri s’adressera,
   Au Dieu lequel, tout mon cas perfera.
   Bonté ne foi, ce grand Dieu que j’implore
   A mon secours, du ciel venir fera,
   Rendant confus celui qui me dévore...

Rendant confus celui qui me dévore ! Ne trouvez-vous pas que Gédéon faisait preuve d’un humour tendre en amenant les habitants du Raynal à demander à Dieu, par leur chant, qu’ils soient tous passés ? 
Pardon ! Mais, passés signifie, ici, morts, trépassés. Passés par le fil de l’épée, à la rigueur. Etonnant personnage que ce La Closque, passé lui aussi.

Gédéon la Boulange ne fut pas regretté des contribuables, surtout des brûleurs de marc et petits viticulteurs, et pas même par ses porteurs, quatre forts gaillards du village dont deux, travaillant au Château purent emprunter une mule et sa carriole pour amener la bière au tombeau sur la vigne du Haut Perché, sur le serre.
A mi-pente de Saint-Jacques, il fallut se résoudre à transporter le corps mort à bras d’hommes. Et Dieu seul sait, ainsi que ses porteurs, que La Closque fut bien nourri sa vie durant par l’Etat, et qu'il aura fallu faire grimper la bière de ce bien nourri de traversier en traversier jusqu’à sa dernière demeure. Et l'on sua ferme pour amener la bière saine et sauve, si l'on peut dire !
On peut le dire, sans oublier de faire son trou, au père La Closque.

Le payement de leur peine ? Mais Pelous, Bousco, Bartas et Castanet l’attendent encore. Et, depuis ce fameux jour resté en toutes les mémoires du Raynal, Ester la Boulange, sa fille unique hérita bien, par ce manquement à la parole de feu son père, de son dernier sobriquet.
La mémoire villageoise étant à la rancune tenace jusqu’à extinction de la dette, tous les enfants de la Fille de la Closque risquent de transmettre à leurs propres enfants ce sobriquet de la Closque.

Petite consolation pour nos porteurs qui s'estimèrent, par là, grassement payés sur la bête*: Esther ne prendra jamais mari. Trop closque, personne n’en voulut, surtout pas Pelous, Bousco, et Bartas. Pourtant, Castanet soupirait et la trouvait gironde, mais les pressions villageoises furent les plus fortes.

*Ndlr. Ne cherchez pas : la bête est un terme de marins-pécheurs. Pelous, un pays qui me raconta l'histoire de la Closque fut, après son service militaire marin-pécheur en Normandie.

Fin de La Closque, ce sobriquet s'éteindra à jamais, faute d'héritier à Esther. Et c'est bien mieux ainsi pour le hameau du Raynal et le canton.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire