jeudi 23 juillet 2015

Croisière en Norvège - 2.


Ma pomme : -Adam, croque ma pomme !
-Tu me prends pour une poire ! Y'a un serpent dedans ! (R&B)

Imagine le bateau voguant lentement dans la nuit vers la Norvège. Ce soir-là on forma des couples pour un jeu de salon consistant à trouver différentes façons de manger une pomme. C'était à nôtre tour de dire :
- Pourrions-nous suggérer... Veuillez m'excuser, Madame, mais vous, comment vous-y prendriez-vous, demandait l'autre pomme ?
 - Piquons la pomme d'une fourchette, pelons-la, puis partageons... je réponds tout en redoutant une gaminerie de sa part. Je ne fus pas déçue par sa tournure d'esprit, espiègle au possible.

- Madame, que diriez-vous de la becquée ?...Oh, oui ! Et cette becquée, la voudriez-vous faire sans les mains, finit-il par chuchoter dans un souffle ? Drôle de façon de présenter la chose. Et sans les mains, se donner la becquée comme feraient les oiseaux avec leurs petits ? De bouche à bouche ? Mais alors...
- Je vous demande pardon ? 
- Voyez, à mon imitation, dit-il et, prenant la pomme de mes mains, il la frotta sur sa manche, ouvrit grand sa bouche et, après y avoir mordu, l'y maintint accrochée puis, mains derrière le dos il approcha son visage de travers afin que je puisse y mordre à mon tour. Mais, quelle affaire que cette affaire-là : Pierrot, on m'avait choisi un cinglé pour partenaire ! Au fou, lâchez les chiens !

Cette invite à croquer ainsi la pomme me stupéfia. Je m'inquiétais de l'Eve officielle tout en redoutant sa réaction. J'observais de biais l'un et l'autre puis fis un signe discret à mon partenaire pour lui remettre en mémoire son mariage. Mais lui semblait l'avoir oublié. 
Qui, ma femme ? Quelle femme ?
Mon Adam d'un soir haussa les épaules, puis opina du bec pour m'inviter à le suivre. Ah, bon ! C'était ce qu'il voulait ? Et sa femme quantité négligeable ? Soit ! Je me lançais et tout en fermant les yeux comme le font toujours les amoureuse, je croquais à pleines dents cette foutue pomme. Mon Dieu, qu'elle était verte, au goût. 
Dans la salle, un "Oh" admiratif s'éleva, comme un soulagement après tant de tension puis retomba lourdement en silence.

Avant qu'il ne finisse par réussir à me baiser les lèvres, je rentrais le menton, lui abandonnant le reste de pomme. Mince, alors : il m'aurait bien fait mon affaire comme font les amoureux. Et sur la bouche avant même que d'avoir croqué toute la pomme. Et devant sa femme. Gonflé, l'Adam !
Tu peux  imaginer le franc succès et les applaudissements qui suivirent nôtre prestation et qui couvrirent parfaitement les quelques sifflets de déception.

Pourtant, nous avions perdu, un comble pour lui qui était restaurateur mais gageons qu'il aura gagné les faveurs de sa femme ce soir-là, elle qui veillait au grain. Et puis, y avait-il eu un soupçon de complicité entre-nous ? Absolument pas, je l'affirme et ce n'était qu'un jeu. Et même encore, ne lui avait-il pas prouvé qu'il demeurait toujours aussi séduisant ? Elle pouvait en être fière ! Et fidèle ? Aussi.
Et, était-ce de ma faute si j'avais pris plaisir à amuser la galerie ?

- Perdu. Et, pourquoi aviez-vous perdu ?
- Pierrot, tu te rends compte : il était absolument interdit de croquer la pomme. Tu m'entends bien : nous avions croqué la pomme, comme Adam et Eve. Et, devant une assistance nombreuse, avec des gens que je croiserai dans les moindres recoins du bateau, sans pouvoir les éviter. Aussi, je me sentais nue telle Eve au premier soir de la création.
Même aujourd'hui, je trouve que la chose était plus qu'osée.

- Ce qu'il fallait répondre pour éviter l'élimination ? Ne surtout pas dire la même chose que les autres couples et choisir entre : la déguster entière ou coupée en quartiers, en tranches fines, en dés, cuisinée avec du boudin, en compote ou compotée, passée à la moulinette, sucrée, au sirop, au four, en dessert avec du lait et du sucre, en sorbets, cuite en tarte normande ou tatin, en beignets, en apple-crumble, en jus, en cidre, en calva… je ne sais quoi encore. 

J'avais perdu au jeu de la pomme, et lui avait gagné à voir la tronche que tirait sa femme. Sacré partenaire malicieux d’un soir que cet homme-là qui me trouvait à son goût et avait failli me becqueter toute crue, mais quel plaisir de reine pour ma pomme. De reine des reinettes.

Après avoir pris bon plaisir, Rosemonde vous présentera, dans le dernier épisode de nôtre croisière, le tonton préféré, le tonton aux seins lourds.

A suivre...

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