Il arriva dans la rue et descendit les Champs Elysées pour rejoindre la place de la Concorde. Il continua jusqu’au pont du même nom, pour finir sa course sur les quais de la Seine là où il serait plus tranquille, et pour ne pas se faire repérer.
Il marcha longuement, sans destination préétablie, se
laissant aller le long de ce fleuve, errant sous les ponts «et rond et rond
petit patapon», rencontrant quelques vagabonds emplis de solutions
pataphysiques et vinicoles, pour arriver à la hauteur du jardin des Tuileries.
Il se souvenait de son enfance, avec Isabelle, son amie, où ils passaient des
après-midi à s’amuser, de son école, de la classe où il était assis, au fond à
droite en entrant à gauche, à côté du radiateur et de la baie vitrée.
Il était mauvais élève, mais non dépourvu d’intelligence,
toujours dernier de la classe, toujours premier à sortir. Ce n’était pas lui qui ne voulait pas apprendre, c’était la
maîtresse qui lui apprenait sans le vouloir vraiment. Son physique était à l’intérieur, mais son esprit était au
dehors avec les oiseaux et la nature environnante. Il était rêveur.
Pour le punir de ses absences de sens à son égard, ce
laideron psychodysleptique et non psychologue, se l'enfournait à quatre
pattes sous son bureau de chêne ciré vieilli de style enseignement, où il avait
le nez et les yeux face aux genoux de cette affreuse femme, et où il
apercevait, sans le vouloir, entre ces derniers, cet affreux spectacle
d’une culotte pas toujours propre.
Cette dernière pensée le remit dans la triste réalité de
l’instant.
Parfait continuait son chemin, longeant cette eau polluée,
déjà à l’époque, par un égout en amont appelé du nom de Bièvre, à l’emplacement
de la rue du même nom, dans le cinquième arrondissement et d’une longueur de
cent cinquante mètres, sur une largeur de six mètres.
Il regardait
cette Seine, fixement, inventant une scène peuplée de poissons fantasmagoriques
immangeables, quand, tout à coup une pression sur son épaule le fit réagir
brutalement. Il tourna la tête d’un quart de tour et, posant ses yeux sur
celle-ci vit une main pourvue de quatre doigts. Ce n’était pas Mickey, ni un
autre personnage de Walt DISNEY mais, «je te le donne en mille, Emile»… c’était
Lucien, Lucien CAMELS, le médecin qui était venu accoucher sa mère (eh, oui!
Comme le monde est petit… mon bouquin, aussi!!!).
Cette main
était toujours aussi tremblante, un peu vieillie et très sale. Les ongles, qui
étaient à l’extrémité de ses deux paires de doigts, étaient chargés de
souillures sans nom et sans âges.
-Ne fais pas ça, mon garçon! hurla Lucien
d’un ton grave et gravement ivre, à ton
âge, ce serait triste! pensant que
Parfait allait se jeter à l’eau.
Mais, si
Parfait n’était pas bien dans sa peau, ni dans sa tête, il savait ne pas se sentir bien mieux dans l'eau car il n’était pas assez
fou pour se baigner par cette température hivernale.
Pour le
distraire, le docteur Lucien CAMELS engagea la conversation.
-Quel âge as-tu, jeune homme? Lui demanda
le docteur, qui ne l’était plus depuis deux ans, après une erreur médicale
assez grave, surtout pour la patiente… car, par un après midi du premier
novembre mil neuf cent cinquante, complètement saoul, il marchait dans la
rue et fut attiré par un attroupement de badauds. Il s’approcha et vit une femme,
allongée sur le sol, à la suite d’une mauvaise chute. Elle était blessée à la
tête et, pour stopper le sang qui coulait abondamment, il lui fit un garrot
autour du cou et cela lui fut fatal.
La dame,
fort heureusement assommée, ne ressentit aucune douleur. Lui, en revanche, reçut
des coups de parapluies donnés par des curieux qui avaient vu ce qu’il venait de
commettre. Lucien courut à toute jambes pour éviter un lynchage odieux et se
réfugia au bord de la Seine, à l’abri de cette foule excitée et y resta
plusieurs années, le menant à une clochardisation rapide et inéluctable.
-J’ai dix huit ans, monsieur, répondit
Parfait, intimidé et curieux à la fois. Je
viens de faire une chose affreuse et je ne sais quoi faire… et il expliqua
son drame à son interlocuteur interloqué.
Après une petite heure de monologue, Lucien conclut.
Après une petite heure de monologue, Lucien conclut.
-Pour ce soir tu vas rester dormir ici, si
tu veux. Je t’invite dans mes appartements qui n'étaient qu'un tas de cartons
étalés au sol, servant à se protéger du froid dur de l’hiver.
Ils
passèrent une bonne partie de la nuit à parler de tout et de rien, du pont où
ils étaient stationnés, le pont Neuf (cinquième plus vieux pont de Paris, dont
la construction s’était terminée en décembre mil six cent sept, grâce à Henri IV et à des
fonds perçus d’une taxe sur les vins, ce qui ne lui a pas porté chance, au Roi).
Parfait y demeura là plusieurs mois.
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