mardi 17 décembre 2013

Adrienne, tu déconnes*! -2.


Anonyme - Paru dans Hulster (1976)
Je vous avais raconté Adrienne et le poulet. Vous la rappelez-vous cette belle blonde qui ne pense qu’à elle ? De vous à moi, ne fait-elle pas comme nous ? Est-elle égoïste ? Peut-être pas. 
A tout le moins désinvolte.

Ici, nous parlerons de l’héritage de la Grand’ tante, Honorine qui avait quelque bien et qui, n’ayant jamais convolé car jamais mariée, n’avait pas de progéniture et avait déclaré Adrienne sa légataire universelle.

En ces temps-là, notre petite Cévenne, très bigote avait toujours le nom de Dieu à la bouche. C’était l’époque bénie des Réveils dans les paroisses protestantes avec l’Armée du Salut qui s’était implantée dans notre petite ville. 
Honorine, plus proche de Dieu que des hommes, fit du bien à son prochain en donnant  beaucoup. Quand elle décida que, servante du Seigneur, l’œuvre de Dieu fut bien accomplie, elle ferma le robinet d’où coulait la grâce et on se détourna tout naturellement d’elle, oui, tout naturellement.

La vieille Honorine, délaissée des hommes et de Dieu se mit à se ratatiner de plus en plus. Était-elle complètement abandonnée de tous ? Non. Il lui restait sa petite cousine, la bonne Judith… 
Mais, oui vous vous souvenez de l’institutrice de l’école de filles du Vigan, la femme de Paul, qui s’occupera de sa parente.
La vieille tata se languissait de mourir. Près de cent ans déjà à se plaindre tous les jours, suppliant,

-Mon Dieu… rappelle-moi à toi. Je n’en puis plus de cette vie de solitude et d’ennui, 
tous, amis et connaissances s’en été allés au cimetière où elle avait sa place déjà réservée auprès de bonne maman, de bon papa et de ses sœurs mais Dieu, dans sa bonté la faisait languir plus qu’il ne fallait. Avait-il oublié la vielle dame qui priait notre Père qui est aux Cieux ?

Honorine trainait comme une âme en peine cet éternel sourire douloureux, posant sur vous ses beaux yeux bleus délavés par le blanc des nuages de l’ailleurs.
La vieille dame ne se plaignit jamais, pardonnant à ses femmes de ménage qui lui échangeaient des cachemires de prix contre de méchants lainages. 
Non, non, pardonne-nous comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé.

Adrienne accompagna Honorine chez le notaire et à la Caisse d’Epargne…
- Évidemment, mesdames. Nous changeons le nom du légataire. Signez ici, ici et là, Madame Honorine !
Tous les papiers conformes, Honorine pouvait mourir tranquille, son héritage serait entre de bonnes mains, les mains de celle qui s’était si bien occupée de la grand’ tante, notre bonne Judith.

Et, un jour triste et pluvieux, Honorine rendit son âme aux humains pour la confier à Dieu, son Père Éternel.
L’enterrement fut suivi, il fallut s’y attendre, par peu de monde car, comme le dit si bien le dicton populaire  (j’en profite pour saluer l’ami Bertrand qui voudra bien, ici, m’excuser) : 

- Donne à Bertrand, il te le rendra en arguant (*).
À la fin du deuil d’Honorine, à savoir l’après-midi même Judith alla se renseigner auprès du notaire qui, il l’affirmait, règlerait les affaires de la défunte en toute diligence.
(*) Le dicton hésite entre Bernard arguant et Bernard caguant. Que tous puristes rectifient !

Sans nouvelle de l’homme de loi, Judith s’inquiéta.
- Paul, fais moi une lettre, je t’en prie.
Paul était doué pour les lettres. Plus que sa femme, l’institutrice. Mais, la réponse fut inquiétante :
"Madame, je tiens à vous faire savoir que Madame Adrienne X, sise à Paris, département de la Seine est la légataire universelle de Madame Honorine X. Je vous suggère de vous rapprocher d’elle etc…"

- Paul ! c’est quoi cette histoire. Nous avons changé les papiers chez ce notaire !... Mais, bien évidemment que je suis décidée à ne pas me laisser spolier par Adrienne qui n’a rien fait pour Honorine. Ce ne serait pas juste…
C’était vrai. Seule Judith s’était occupée de sa grand’ tante. Pas Adrienne.
- Chérie, je te déconseille… nous sommes au Vigan et tout se sait !
Judith ne voulut pas en démordre et Paul dut faire la lettre au notaire qui, sèchement, par retour de courrier rappela que la légataire universelle était Adrienne. Elle, et elle seule.
Ce testament aigrit quelque peu le caractère enjoué de Judith. Mais, qu’y faire ?

À quelques temps de là, Paul et Judith furent invités à Paris à un mariage : celui d’Adrienne.
- On n’est pas obligé, trouvons un prétexte !
- Non, Paul. C’est ma cousine, ma parente. Et Paris…
- Mais, chérie, l’héritage, tu oublies ? 

Judith n’avait pas oublié. Mais quand la curiosité tient une femme, elle va au bout, et c’est ainsi qu’elle apprit qu’Honorine avait ajouté un codicille : Adrienne devait se marier dans l’année pour toucher l’héritage qui, autrement, reviendrait au temple.
Et puis, Judith était curieuse de voir l’homme que sa cousine Adrienne avait choisi, surtout pour savoir si les cornes lui siéraient. Elle en fit la remarque à Paul, on en rit beaucoup, ce qui fut grande consolation, pour notre gentille Judith, de l’héritage envolé.

- Paul, tu crois qu’il la battra ?
- M'enfin, Judith, ce n’est pas très charitable.
- Peut-être, mais ça fait du bien tout de même de rêver !

Et Paul se dit qu’il ne comprendrait jamais rien aux femmes, parce que se marier pour du pognon, et même si dans l’affaire, il y en avait beaucoup !
Qu’auriez-vous fait à la place d'Adrienne ?

PS : ayant fait lire ce texte à Americo, dont je fais grand cas, il s'est imaginé des choses :
- Mais, abruti*... si on transformait le Paul en Gilou, on aurait la même histoire de feue la grand' tante que j'ai bien connue, dis mon salaud !
*abruti et salaud, termes affectueux dont Américo abuse !
 

Le 17 décembre 2013. A Magdeleine.
                                 ____________
Le dessin proposé par René BOUSCHET (R&B) d'un anonyme paru en 1976 dans Hulster :
-Chérie, j'ai une confession à te faire : Y'a une autre femme dans ma vie ! 
Ndlr : René, j'aime cette blague. Mais, quel rapport avec mon texte ? 
 

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