Allô ! Docteur?... C’est Simone!
Par un après midi de mil neuf cent trente quatre, alors que Lucien, assis sur son fauteuil de style Chippendale, écoutant sur son gramophone à pavillon (inventé par l’allemand Emile BERLINER en mil huit cent quatre vingt sept) la Symphonie du Nouveau Monde composée en mil huit cent quatre vingt treize par Antôn DVORAK, la sonnerie du téléphone retentit dans la maison assombrie par la fumée odorante de mauvais cigare à prix bon marché. Il décrocha le combiné.
-Allô, fit il d’une voix d’outre tombe tombant de sommeil.
-Allô Lucien, demandait une voix affolée qui était à l’autre bout du fil…
… Docteur Lucien CALMELS? Reprit-elle…
-Oui, c’est lui-même, affirma-t’il d’une voix étonnée et pâteuse.
-C’est ta sœur Simone CALMELS, tu te rappelles de moi?
Il ne se souvenait plus d’elle. Ils s’étaient vus pour la dernière fois dans la maison de leurs parents. Ils habitaient à l’époque au cinq de la rue Victor HUGO, à SAINT MANDE (là où avait demeuré Armand CARREL, journaliste et homme politique français, en mil huit cent trente six).
Ses parents, aisés, avaient aidé financièrement Lucien à partir aux Indes améliorer ses connaissances médicales pour, plus tard, ouvrir un cabinet à Paris. Il partit pendant dix ans et ne les revit jamais.
En mil neuf cent treize, dix ans plus tard, revenu à Paris, il ouvrit son cabinet dans la rue que nous connaissons déjà.
Tout se passait bien pour lui, son carnet d’ordonnances s’effeuillait de jour en jour jusqu’au départ précipité de sa femme où il tomba dans l’alcool et la déchéance.
Plusieurs fois, Simone avait essayé de le revoir mais en vain. Elle était persuadée qu’il était resté un bon médecin. Arriva le jour où elle lui téléphona.
-Oui, je t’affirme, je suis bien ta sœur Simone, je t’appelle pour te demander de venir chez ma voisine, elle est enceinte de plusieurs mois et a des contractions de plus en plus rapprochées, viens au plus vite, je te donne l’adresse.
La voix de Lucien était murmure, comme un mur étouffé de mûres mures. Ses mains, augmentant leur tremblement, laissa échapper le combiné du téléphone. Au bout d’un long moment, reprenant son sang froid, il se pencha pour ramasser cet objet de Bakélite. Il le porta à son visage, et dit dans un élan d’amour propre, alors que Simone s’inquiétait:
-J’arrive!
Il prit sa trousse d’accoucheur, ajusta son gibus, dévala l’escalier cinq à sept (il n’aimait pas faire comme tout le monde) pour aboutir dans la rue, après avoir ouvert la porte. Il referma cette lourde façade en chêne massif et se dirigea vers le boulevard de Clichy, qu’il emprunta pour rejoindre la place Pigalle.
Il faisait très froid en ce mois de février. Arrivé au lieu dit, il monta dans le bus 67 «Place Pigalle-Porte de Gentilly» pour descendre à la station «Richelieu-Quatre Septembre» pour prendre le 52 qui l’amenait jusqu’à Place de l’Etoile.
Arrivé non loin de l’obélisque de la Concorde, obélisque de Louqsor, en Egypte, offert en mil huit cent trente six par le vice roi MEHEMET Ali au roi Louis Philippe. Son poids est de deux cent vingt tonnes (pas de roi, mais d’obélisque). Des manifestants en colère obligèrent le chauffeur du bus à faire demi-tour, mais le machiniste, un peu perturbé, franchit le barrage. C’est alors qu’un cocktail Molotov, jeté par un illuminé, éclata sous le bus. Les flammes prirent très vite le dessus car ce véhicule de transports urbains était fabriqué en majeur partie avec du bois.
Ses occupant s’emparèrent d’une panique qui aurait fait rougir de jalousie le réalisateur américain d’effets spéciaux, Willis O’BRIEN (1886-1962), créateur du monstre King Kong pour le film du même nom sorti en salle à New York, et en avant première, cette année là.
Ils se dirigèrent vers l’arrière du bus. C’est à cet endroit qu’habituellement les sorties et entrées se faisaient. Une bousculade s’en suivit. Ces futurs grands brûlés se piétinaient collectivement, comme ces cafards qui tapissaient, à l’époque, les murs graisseux des cuisines du grand et célèbre hôtel Georges V à Paris, pour rejoindre exténués, exultant leur colère, de cette situation périlleuse (judicieusement périphrasée… On dit paraphrasé?... je vous remercie), d’où ils sortirent indemnes, indemnitaires, mais sûrement pas indemnisés.
Lucien, lui était blessé, moralement et physiquement. Son nez avait reçu violemment le pommeau de la chaîne qui était accrochée à l’arrière du bus, servant au contrôleur à actionner un câble relié à la cabine de conduite, et qui servait aussi à déclencher une sonnerie avertissant le machiniste d’un arrêt ou d’un problème quelconque, et avait quelque peu assommé le toubib. Son parking à crottes de nez gonflait à vue d’œil, formant une poire bleutée et rouge, à la fois d’un alcoolique invétéré. Il virevoltait, tel un patineur hésitant, voulant exécuter une figure exigée, ne sachant où aller.
Un cortège d’anciens combattants, calme et digne, se dirigeait vers la rue dans le huitième arrondissement, (elle commence place de la Concorde et elle finit place de la Madeleine, sa longueur est de deux cent quatre vingt deux mètres et sa largeur de vingt deux mètres quatre vingt), qui se dirigeait donc vers la rue Royale (j’ai omis de signaler un peu plus haut… désolé) passait par là, ils l’aperçurent et le prirent pour l’un des leurs.
Deux hommes sortirent du groupe et le portèrent pour l’emmener avec eux.
-Lâchez-moi, lâchez-moi! leur dit-il d’un ton exaspéré et exubérant…
… je dois aller accoucher une femme qui est au terme de sa grossesse, c’est très urgent!
Empotés dans leurs comportements primitifs et prohibés (c’est normal pour d’anciens militaires), ils le lâchèrent simultanément sans se préoccuper de son coccyx qui allait atterrir sur le sol pavé. Il se releva, regardant s’éloigner le cortège, et fit un quart de tour à gauche pour se diriger vers les Champs Elysées. Il s’arrêta un long moment devant un tas de cendres dont les contours faisaient penser bizarrement à l’autobus qu’il avait quitté précipitamment.
Il remontait l’avenue et s’aperçut tout à coup qu’il n’avait plus sa trousse de médecin. Dans la panique, il avait dû la perdre quelque part dans le bus, ou dans la confusion, mais elle n’était sûrement pas perdue pour tout le monde. Il partit la mort dans l’âme.
Là, et las, il marchait dans ce qui restait de la plus belle avenue du monde. A cet endroit, large de soixante dix mètres, des pompiers entourés du service d’ordre luttaient pour éteindre des incendies allumés, par ci, par là et par d’autres. Il continuait, dégoutant, dégouttant et dégouté par ce sinistre décor provoqué par les extrémistes de droite.
Arrivé dans la rue Arsène HOUSSAYE, commençant au cent cinquante deux avenue des Champs Elysées et finissant au trois rue Beaujon, (sa longueur est de deux cent soixante mètres et sa largeur de onze mètre soixante dix), là où habitait sa sœur et Germaine, la femme enceinte. Il s’arrêta devant le vingt et un (numéro où personne de célèbre à ce jour n’a habité… désolé!). C’était un immeuble cossu, édifié au milieu du dix neuvième siècle, au bord du huitième arrondissement et au quart des deux tiers de la rue où une jeune et belle femme l’attendait.
-Simone? Demanda t il d’une voix interrogative, C’est toi?
-Oui, fit elle! d’une voix et d’un regard réjoui et reconnaissant de la reconnaître.
Son visage lui rappelait celui de leur mère. Elle avait des pommettes saillantes, comme elle, un petit nez en trompette, comme elle, des …………., comme elle, une ……………, comme elle, et aussi longues étaient ses jambes, comme elle, bref, elle lui ressemblait comme un sœur jumelle.
-Vite, reprit elle, montons par l’escalier, l’ascenseur est en panne. Germaine habite au deuxième.
Ils montèrent les marches, elle quatre à quatre, lui, une à une car il était très fatigué et toujours imprégné d’une substance éthylique. Il ne dessoulait jamais.
La température affichait moins deux ; à sa montre il était moins cinq. L’ascension fut lente et laborieuse. Il arriva devant la porte, là où Simone l’attendait. Tout au fond d’une pièce, allongée sur un lit, une femme hurlait de douleur. Il s’approcha et ne sachant que faire, attendit, s’appuyant contre le cadre verdi, n’ayant pas connu VERDI (1813 à 1901).
Un cri se fit entendre, le bébé était là, sur des draps sales, sortant du lieu chaud où des prétendants aimaient y entrer.
Lucien était revenu dans le monde des vivants. Il s’exécuta méthodiquement et attrapa deux pinces à linge qui se trouvaient à côté de lui, les accrocha sur le cordon ombilical et coupa au centre de l’espace qu’elles formaient avec son Laguiole qui en avait vu d’autres.
Simone porta le petit dans la salle de bains pour le laver. Pendant ce temps, Lucien aidait Germaine, fatiguée par son travail, à se remettre assise.
-Avez-vous bien regardé mon enfant? Demanda t elle angoissée…
-Oui, il est beau et il vous ressemble chère madame, répondit il de son air moqueur.
Soulagée, elle se calma et lui dit:
-Mon bébé est le fils d’un nain connu, lui-même né de père inconnu et qui ressemblait à s’y méprendre aux caractères et aux physiques des sept compagnons réunis de Blanche Neige, et, en plus, il était vicieux. J’ai peur que mon fils ne lui ressemble.
Après avoir lavé et habillé le nouveau-né, Simone le posa lentement dans son couffin installé prés du lit de sa mère, craignant de le briser. Il était chétif, comme un vieillard, maigre et maladif mais Lucien ne s’inquiétait pas. Il avait déjà participé à des accouchements à l’époque où il ne buvait pas encore.
Regardant une dernière fois l’enfant et saluant la jeune mère, le frère et la sœur se dirigèrent vers la porte soulagés et heureux de s’être revus après tant d’années de séparation. Ils partirent et Germaine ne les revit plus jamais.
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Philosophie
«Rien ne sert de penser, il faut réfléchir avant». Pierre DAC
«Pour vivre bien dans sa peau, il faudrait d’abord vivre dans celles des autres».
«Notre tête est ronde pour permettre à la pensée de changer de direction». Francis PICABIA.
«L’amour infidèle n’est pas l’amour libre, c’est l’amour oublieux, l’amour qui oublie ou déteste ce qu’il a aimé et qui, dès lors, s’oublie ou se déteste lui-même». André CONTE-SPONVILLE.
Fin du deuxième.
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