mercredi 6 mars 2013

La sapience de Rolando* !


A mon grand âge, je voudrais comprendre pourquoi, entre l’école et moi, c’était le désamour. Rolando se questionnait :

-L’école ne m’aimait pas et je ne l’aimais pas. La haine, même.
Et, qui fabrique les cancres ? C’est l’école : personne ne m’enlèvera cette idée de la tête.
Gaucher, j'étais un gaucher franco-italien durant la mauvaise période. 1928-1945… ouais, et j'en ai bavé à l'école !

-Si on te suit bien, Rolando, l’école est la seule cause de… Supprimons l’école et il n’y aura plus d’analphabètes.
-Ce n’est pas ce que je dis: supprimons l’école de la « réussite » et on y arrivera. A la réussite !
-Rolando, trouve moi l’argumentaire, et j’adopte, Rolando ! J’adopte !

Pour lui, l’école dite de la réussite est un piège à con. Réussite va de pair avec ne pas réussir. En effet, le pari se pose dès le départ : si tu acceptes de parler de réussite, alors, il faudra bien accepter la réussite de l’échec.
-Les mots produisent donc toujours leurs antagonistes. Et tu penses qu’on pourrait améliorer le système uniquement en ne parlant pas de réussite ?
-Pourquoi pas ? Parce que l'échec se sous-entend dans la réussite !
-De ton temps, Rolando, on ne parlait pas d’école de la réussite, non ? Et tu étais…
-Un cancre. Oui, mais là, j’ai raison !

Rolando explique : -J’ai perdu ma mère tout jeune, mon père parti en Italie, l’avait oublié de revenir, mon beau-père me traitait à la dure, les instits ne m’aimaient pas. Et puis, j’ai passé trop de temps à l’école italienne.
-Pas d’accord, Rolando. Ce qui était handicap pour toi devenait un plus pour d’autres.
-Tu as des chiffres ? Non ? Alors, tu t’avances bien imprudemment.
-Moi, j’affirme que la misère, le désamour ou le manque d’affection aussi bien des parents que des instits est cause du tout. Mais, ce n'est pas le système, à proprement parler...

-Raconte, moi. Donc, tu étais gaucher. 
-Oui. Et une instit m’a attaché la main gauche avec du papier collant et montré à toutes les classes :
-Monsieur Rolando. Dernier de la classe qui se permet d’écrire de la main gauche.
-Ce n’est pas une question de désamour, pour un gosse. Mais d'une instit pas futée qui croyait bien faire !

-Maintenant, je me sers de la main droite pour écrire. Mais la gauche, celle de mon enfance, elle me sert pour tout.
Tu me diras, qu’avec ces conneries de l’éducation nationale, le vissage ou le dévissage à gauche, à droite, les tire-bouchons… je ne sais plus. Merci bien. Parfois, je me dis que c’est peut-être ce qui m’a protégé et mené plus loin que d’autres, cette inquiétude de savoir quelle main j’avais. Peut-être, deux mains gauches. Ou droites ? Je ne sais.

-Visser à droite ? Réfléchissons !
-Quand ta mère se trouvait en soins à Berck-Plage tu étais placé dans une famille fermière du Sud-ouest.
-Oui. Chez des paysans. Qui m’aimaient. J’avais peut-être 7 ans. Le père avait mis le joug aux bœufs et me disait…
-Mon Roland, tiens l’attelage. Conduit les bœufs à l’étable !
Et, j’étais heureux. Et puis… et puis, le môme a fait la rencontre de sa vie avec l’éducation nationale (depuis 1932).

Un petit instituteur en pays basque. Petit. Avec un fin collier de barbe.
-Panezi… 10 en rédaction. Zéro en orthographe. Bon ! Allez, 1 pour l’effort.
-C’était la première fois que j’étais cité. Si tu savais le bonheur. Enfin : je n’étais plus un âne !

Et, à l’école italienne, une maîtresse qui constatait que je n’étais pas doué m'avait reconnu un certain talent et demandé de dessiner le Duce sur son cheval, le bras levé, avec sa moue. 
J’étais toujours aussi peu doué, mais reconnu comme quelqu’un par mes copains. Parce qu’il faut savoir que les copains, c’est méchant. Très méchants !

Mais moi, j’avais reproduit en grand le Duce pour devenir la coqueluche de l’école par ce dessin. Et même, on l’avait reproduit et passé dans l’Italie de Vittor-Emmanuel. La maîtresse me l’avait dit.

Pour Rolando, il faut être porté par un projet familial, social, scolaire. Si le désir des uns et des autres te concernant est absent ou peu important, si ton environnement ne te permet pas de t’exprimer et de te développer harmonieusement, alors, tu as tous les malheurs de finir cancre. Comme lui.

On ne peut pas dire qu'il ait tort. Mais son discours est quand même simpliste :
-Tu parles du désir de l’autre. J'entends, et donc, quand l’Education Nationale parle d’école de la réussite, elle porte un désir fort. C’est évident. Tu n’en disconviens pas.
-Oui, mais non ! Car on en revient au début de notre dispute : réussite implique l'échec même. Et la réciproque est vraie.



Peut-on éviter l’échec scolaire, maladie inéluctable de tout système éducatif et le pallier, l'amender ce système en ne parlant pas de réussite ? 
Rolando ne propose pas de solution mais, condamner l'enfant à réussir alors qu'il suffirait de lui permettre de grandir et de se développer harmonieusement sans l'obliger à atteindre des objectifs fixés pour "la majorité" visant à la seule réussite scolaire.

Pour Rolando, tout s’enchaînera difficilement par l’apprentissage à l'école Boule, puis la vie professionnelle et familiale. Pourtant, il se trouve bien de sa vie. 
Certainement, des instits devraient se poser quelques questions, enfin ceux qui auraient une centaine d’année, les Maîtres de Rolando. Ceux d’aujourd’hui aussi !

-Gilou, quand je vois ma vie. Et qu’elle est si belle à octantante quatre ans et demi. Merde… je me dis : tu es heureux. Et merci à toi, mon instit du Pays basque. Je t’aime.

Rolando. Le 6 mars 2013. Le Vigan.

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