-Je te trouve bien dépendant
du Net ; et de l’ordinateur, me dit Paulus revenu d’Afrique.
-La parole est une des caractéristiques du peuple berbère.
Se gargariser de mots…
-Mais, tu parles
beaucoup. Trop même. Attention aux
psychanalystes…
-Oh, tu sais
que plus tu donnes d’informations, plus tu la tues, cette information ? Alors,
les psy. Et à mon âge, on s’en fout d’être analysé. Nous aimons les contes, les
histoires d’amour, les chants et la poésie et tu sais qu’il existe des berbères
muets. Même dans ce cas, ils font tout pour parler ou se faire voir, en grand
communicants.
-Oui, mais les berbères sont pudiques, alors que toi...
-Oui, mais moi, je ne suis pudique que pour les autres. Je ne parle pas de leur intimité. Voili-voilà !...
La parole de nos mères nous poursuit même à l’âge adulte
et tard dans nos vies. Les histoires, les épopées des conquérants arabes, les
combats et les malheurs de Sid Ali, les guerriers et les bandits d’honneur,
le fantastique poétique, les berceuses et, si je n’en ai plus le souvenir, il
m’en reste le goût avec toujours cette impression d’être bercé par ma mère à la
Mission Rolland de Yakouren.
J’eus aimé que Imma Fat’Imma (Imma=Maman en kabyle) ait
eu la bonne idée de raconter ma famille, notre environnement, nos voisins, mon village,
la vie, la fontaine et le rire des filles, ses espoirs, ses rêves. Tout, quoi. J’aurais
certainement tout oublié aujourd’hui, mais, ce pan de mon histoire personnelle
est perdu à jamais.
De 14 à 20 ans passés, j’ai essayé de me raccrocher à
quelques faits, certitudes ou déductions logiques pour connaître de ma vie et
ma naissance mais tout fuyait comme du sable. Rien pour tenter de comprendre.
C’était à se taper la tête contre les murs, n’avoir personne avec qui en
parler, rester dans une solitude folle, désespérante.
Longtemps, je n’ai pas pu progresser dans ma vie. Je
cherchais la vérité et ne rencontrais jamais le mensonge mais toujours la
parole en parade. Jamais le mutisme mais toujours l’évacuation, vers des
ailleurs qui ne m’intéressaient pas, de mes inquiétantes demandes perçues comme
dangereuses par ma mère.
Ma mère ne mentait jamais, et c’est dommage. Je l’aurais
facilement débusquée, elle qui pratiquait l’art de l’esquive dans sa guerre
d’usure avec moi pendant que je pratiquais le terrorisme intellectuel et
affectif avec elle. Disons à la gloire de ma mère qu’elle a toujours gagné le
combat contre son fils surtout parce qu’elle me fatiguait à toujours tout nier.
Ou plutôt, à me balader en rond jusqu’à ce que je me perde… Disons encore que
ma mère a toujours répondu honnêtement à mes questions par:
-C’est comme ça, mon fils.
-C’est comme ça, mon fils.
-C’est qui mon père, maman ?
-C’est ton père,
mon fils…
-Ca, je le sais, mais c’est qui mon père ?
-Si tu le sais,
pourquoi tu demandes ?
-Merde, maman. Mon papa à moi, c’est qui ?
-C’était mon mari.
-D’accord, maman. Ton mari Amar, c’est mon père. C’est
çà ?
-Tu vois bien que
tu sais qui est ton père. Alors, pourquoi tu demandes. Va te promener, va !
Un maître en dialectique, ma mère. Elle m’a tout appris
sur le mensonge, sur la façon de promener le menteur dans son mensonge,
l’escroc affectif à éviter, le copain opportuniste, mais copain quand même.
J’étais devenu doué. Très. Et c’est peut-être pour cela que j’aime raconter des
histoires. Toutes vraies, je vous le garantis. Merci Maman.
Ah, ma mère. Un monstre de diableries dialectiques.
Personne ne lui résistait. Et plus tu lui racontais une menterie, et plus elle
se régalait. Et plus les choses étaient grossières et grossies, plus elle
aimait. Elle était tellement coquine que, parfois, elle donnait au menteur des
arguments auxquels il n’avait pas pensé sur des dates, des témoins, des
détails…
Je crois que c’était son amour de l’autre et de la vie qui lui donnait ce bonheur à entendre des histoires abracadabrantesques (Chirac dixit) et de parfois les compléter pour son plus grand bonheur.
Non. Elle n’écoutait pas. Elle semblait boire à la régalade toutes les conneries qu’on lui débitait. Elle participait aux menteries de tout son être… et on la savait heureuse à se mouvoir dans l’histoire qu’on lui servait, à la vivre.
Je crois que c’était son amour de l’autre et de la vie qui lui donnait ce bonheur à entendre des histoires abracadabrantesques (Chirac dixit) et de parfois les compléter pour son plus grand bonheur.
Non. Elle n’écoutait pas. Elle semblait boire à la régalade toutes les conneries qu’on lui débitait. Elle participait aux menteries de tout son être… et on la savait heureuse à se mouvoir dans l’histoire qu’on lui servait, à la vivre.
Elle aimait le mensonge, ma mère. Pas par perversité mais par
bonté d’âme. C’est vrai. Je le jure. Ou, alors, elle aimait pour des raisons
que je ne m’explique pas! Ou qui ne nous concernent pas.
Fallait la voir quand elle poussait dans ses derniers
retranchements ce hâbleur, ce plaisantin, ce gros menteur qui tentait de la
manipuler. Elle aurait fait un juge d’instruction redoutable. Mais un juge
débonnaire qui aurait aimé les gens qui se confiaient à elle mais n’était pas
dupe de la nature humaine.
Elle ne jugeait personne. Elle n’était qu’amusée par la
comédie humaine. Alors…
Alors, elle vous regardait droit dans les yeux avec cette
tendresse non feinte et ce contact physique qui lui faisait vous toucher le
bras familièrement, froisser l’étoffe pour en sentir toute la douceur. Mais, à
bien l’observer, ma vieille était redoutable car, par son attitude toute pendue
aux lèvres du causeur, elle lui faisait croire qu’elle adhérait à son histoire.
Mais moi, j’étais le seul à savoir que ma coquine de mère se régalait dans ses
manœuvres. Un maître diabolique, je vous disais, une araignée avec sa toile
toute prête. Et une seule phrase lui suffisait pour enclencher le piège à con :
-C’est tra
possible, mon fils ! (Trad.: -Ce n’est
pas possible, mon fils !) et elle vous poussait le menteur à s’enferrer de
plus en plus dans son mensonge.
Dès que je voyais ma mère user de son artifice, je
m’éloignais n’aimant pas cette sorte de longue estocade. Redoutable, elle
gagnait à tous les coups. Elle gagnait parce qu’elle savait que la vie nous
oblige tous à jouer des rôles, à faire le beau, à mentir pour sauvegarder les
apparences. Son génie à elle était de faire croire au menteur qu’il l’avait
convaincue. Et que son honneur était sauf.
Je dois reconnaître, à sa décharge, que jamais elle n’a
confondu un menteur de honte. Cela ne se fait pas.
-Pourquoi tu ne lui dit pas qu’il ment ?
-Matchi grave !
J’m’a fous ! (trad.: -Ce n’est grave !
Je m’en fous !). Mais, elle ne s’en foutait pas. Elle en était toute
attristée que l’autre l’ait prise pour une imbécile. Mais Matchi grave !
Avec moi, quand je la poussais dans ses derniers
retranchements, elle savait qu’elle ne pouvait pas me manipuler. Je la
connaissais comme si je l’avais faite et je pense que l’élève avait dépassé le
maître. Alors, pour se désengager, en stratège génial, elle se mettait à
pleurer, comme ces pleureuses de l’antiquité. A volonté.
-Arrête de pleurer, maman. S’il te plaît, arrête maman.
Et je la consolais. Pour lui faire croire qu’elle avait
gagné la partie contre moi.
A tout le moins, en définitive, je n’ai jamais gagné une
joute oratoire contre ma vieille. Jamais. Je préférais rompre. Elle m’usait, me
fatiguant à ne jamais répondre. Même placée devant le fait accompli, à toujours
nier ou vous promener sur des chemins de traverse qui ne menaient nulle part.
Ma mère ne m’a jamais menti. C’est tout à son honneur.
Mais elle ne m’a jamais dit la vérité, ne l’a jamais concédée. C’est tout à
mettre au crédit de sa combativité. Et de sa constance.
Mais, nous jouions à qui perd gagne et elle ne le savait
pas.
Et Berthe MANZ, la deuxième des trois mères de ma vie qui
me disait :
-Tu cherches la
Vérité, Gilles. Elle est d’essence divine. Il n’y a pas de vérité humaine. On
ne tente pas de la connaître sans risquer jusqu’à sa vie parce que, lorsque tu
l’auras trouvée, que feras-tu ? Que deviendras-tu ?
J’avais alors 20 ans et j’en fus attristé très longtemps.
Mais, aujourd’hui, je sais que je suis le fils de mon vieux père Amar qui a
aimé, oh oui, tant aimé ma mère Fatima qui n’était sans nul doute encore qu’adolescente, peut-être même préadolescente.
Et je sais aussi que mon père Amar n’a jamais violenté sa
petite femme-enfant qu’il aimait parce qu’il lui achetait des bonbons pour
l’amener dans la couche nuptiale. Et ce n’était pas gagné, me disait ma mère
avec ses petits yeux riants de malice.
-Ah, ton père… il m’en a acheté des douceurs.Tu sais, je jouais encore à la poupée, moi. Je rêvais au prince charmant. C’était un vieux, ton père. Je ne l’aimais pas. Un vieux. Mais, quand il est mort, je l’ai regretté parce qu’il a été le seul homme qui m’ait aimé tendrement.
-Ah, ton père… il m’en a acheté des douceurs.Tu sais, je jouais encore à la poupée, moi. Je rêvais au prince charmant. C’était un vieux, ton père. Je ne l’aimais pas. Un vieux. Mais, quand il est mort, je l’ai regretté parce qu’il a été le seul homme qui m’ait aimé tendrement.
Mais, ma mère aimait parler. Et cacher par sa parole tout
ce qui touche à mon origine. Ben, faut faire avec. Et depuis qu’elle est
partie, la seule vérité qui me manque ? C’est elle. Elle seule. Et sa
parole en cachoteries.
Parce que la parole n’est faite que pour déguiser, cacher
ses désirs et ses pulsions profondes. La parole descellée ne donne jamais
beaucoup d’informations sur son moi. C’était la leçon de notre mère Fatima.
De le Vigan, le 10 août de l’an de Grâce
2013. Les Cévennes. Le Vigan.
PS: Message à l’intention de la
SUISSE et pour ne pas oublier. Puisque j’ai cité la Mission Rolland de Yakouren
en Kabylie, j’aimerais remercier tous ces suisses-allemands d’une communauté
protestante, les grands parents, puis les parents et leurs enfants qui, par
leur généreuse contribution en argent, colis, cadeaux et soutien affectueux ont
tenu à bout de bras un orphelinat de petits garçons et filles berbères. 50 ans
durant. Existe-t-il un mieux disant?
Et, si j’ai pu bénéficier d’une
excellente scolarité au Collège Cévenol, c’est grâce à tous ces dons.
Pensez ce que vous voulez de l’existence
de Dieu. Pour moi, cette bonté en est la preuve. Merci.
Tous mes frères et sœurs recueillis par
la Mission Rolland de Yakouren. Gilles P-K.
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