samedi 10 août 2013

La parole en cachoterie* - 2.


Huile de Rahmouna Boudjellal
Nous, berbère aimons la parole. Parler pour le plaisir de parler.
-Je te trouve bien dépendant du Net ; et de l’ordinateur, me dit Paulus revenu d’Afrique.
-La parole est une des caractéristiques du peuple berbère. Se gargariser de mots…
-Mais, tu parles beaucoup. Trop même.  Attention aux psychanalystes…
-Oh, tu sais que plus tu donnes d’informations, plus tu la tues, cette information ? Alors, les psy. Et à mon âge, on s’en fout d’être analysé. Nous aimons les contes, les histoires d’amour, les chants et la poésie et tu sais qu’il existe des berbères muets. Même dans ce cas, ils font tout pour parler ou se faire voir, en grand communicants.
-Oui, mais les berbères sont pudiques, alors que toi...
-Oui, mais moi, je ne suis pudique que pour les autres. Je ne parle pas de leur intimité. Voili-voilà !...

La parole de nos mères nous poursuit même à l’âge adulte et tard dans nos vies. Les histoires, les épopées des conquérants arabes, les combats et les malheurs de Sid Ali, les guerriers et les bandits d’honneur, le fantastique poétique, les berceuses et, si je n’en ai plus le souvenir, il m’en reste le goût avec toujours cette impression d’être bercé par ma mère à la Mission Rolland de Yakouren.

J’eus aimé que Imma Fat’Imma (Imma=Maman en kabyle) ait eu la bonne idée de raconter ma famille, notre environnement, nos voisins, mon village, la vie, la fontaine et le rire des filles, ses espoirs, ses rêves. Tout, quoi. J’aurais certainement tout oublié aujourd’hui, mais, ce pan de mon histoire personnelle est perdu à jamais.
De 14 à 20 ans passés, j’ai essayé de me raccrocher à quelques faits, certitudes ou déductions logiques pour connaître de ma vie et ma naissance mais tout fuyait comme du sable. Rien pour tenter de comprendre. C’était à se taper la tête contre les murs, n’avoir personne avec qui en parler, rester dans une solitude folle, désespérante.

Longtemps, je n’ai pas pu progresser dans ma vie. Je cherchais la vérité et ne rencontrais jamais le mensonge mais toujours la parole en parade. Jamais le mutisme mais toujours l’évacuation, vers des ailleurs qui ne m’intéressaient pas, de mes inquiétantes demandes perçues comme dangereuses par ma mère.
Ma mère ne mentait jamais, et c’est dommage. Je l’aurais facilement débusquée, elle qui pratiquait l’art de l’esquive dans sa guerre d’usure avec moi pendant que je pratiquais le terrorisme intellectuel et affectif avec elle. Disons à la gloire de ma mère qu’elle a toujours gagné le combat contre son fils surtout parce qu’elle me fatiguait à toujours tout nier. Ou plutôt, à me balader en rond jusqu’à ce que je me perde… Disons encore que ma mère a toujours répondu honnêtement à mes questions par:
-C’est comme ça, mon fils.

-C’est qui mon père, maman ?
-C’est ton père, mon fils…
-Ca, je le sais, mais c’est qui mon père ?
-Si tu le sais, pourquoi tu demandes ?
-Merde, maman. Mon papa à moi, c’est qui ?
-C’était mon mari.
-D’accord, maman. Ton mari Amar, c’est mon père. C’est çà ?
-Tu vois bien que tu sais qui est ton père. Alors, pourquoi tu demandes. Va te promener, va !

Un maître en dialectique, ma mère. Elle m’a tout appris sur le mensonge, sur la façon de promener le menteur dans son mensonge, l’escroc affectif à éviter, le copain opportuniste, mais copain quand même. J’étais devenu doué. Très. Et c’est peut-être pour cela que j’aime raconter des histoires. Toutes vraies, je vous le garantis. Merci Maman.

Ah, ma mère. Un monstre de diableries dialectiques. Personne ne lui résistait. Et plus tu lui racontais une menterie, et plus elle se régalait. Et plus les choses étaient grossières et grossies, plus elle aimait. Elle était tellement coquine que, parfois, elle donnait au menteur des arguments auxquels il n’avait pas pensé sur des dates, des témoins, des détails… 

Je crois que c’était son amour de l’autre et de la vie qui lui donnait ce bonheur à entendre des histoires abracadabrantesques (Chirac dixit) et de parfois les compléter pour son plus grand bonheur. 
Non. Elle n’écoutait pas. Elle semblait boire à la régalade toutes les conneries qu’on lui débitait. Elle participait aux menteries de tout son être… et on la savait heureuse à se mouvoir dans l’histoire qu’on lui servait, à la vivre.
Elle aimait le mensonge, ma mère. Pas par perversité mais par bonté d’âme. C’est vrai. Je le jure. Ou, alors, elle aimait pour des raisons que je ne m’explique pas! Ou qui ne nous concernent pas.

Fallait la voir quand elle poussait dans ses derniers retranchements ce hâbleur, ce plaisantin, ce gros menteur qui tentait de la manipuler. Elle aurait fait un juge d’instruction redoutable. Mais un juge débonnaire qui aurait aimé les gens qui se confiaient à elle mais n’était pas dupe de la nature humaine.
Elle ne jugeait personne. Elle n’était qu’amusée par la comédie humaine. Alors…
Alors, elle vous regardait droit dans les yeux avec cette tendresse non feinte et ce contact physique qui lui faisait vous toucher le bras familièrement, froisser l’étoffe pour en sentir toute la douceur. Mais, à bien l’observer, ma vieille était redoutable car, par son attitude toute pendue aux lèvres du causeur, elle lui faisait croire qu’elle adhérait à son histoire. Mais moi, j’étais le seul à savoir que ma coquine de mère se régalait dans ses manœuvres. Un maître diabolique, je vous disais, une araignée avec sa toile toute prête. Et une seule phrase lui suffisait pour enclencher le piège à con :

-C’est tra possible, mon fils ! (Trad.: -Ce n’est pas possible, mon fils !) et elle vous poussait le menteur à s’enferrer de plus en plus dans son mensonge. 
Dès que je voyais ma mère user de son artifice, je m’éloignais n’aimant pas cette sorte de longue estocade. Redoutable, elle gagnait à tous les coups. Elle gagnait parce qu’elle savait que la vie nous oblige tous à jouer des rôles, à faire le beau, à mentir pour sauvegarder les apparences. Son génie à elle était de faire croire au menteur qu’il l’avait convaincue. Et que son honneur était sauf.
Je dois reconnaître, à sa décharge, que jamais elle n’a confondu un menteur de honte. Cela ne se fait pas.
-Pourquoi tu ne lui dit pas qu’il ment ?
-Matchi grave ! J’m’a fous ! (trad.: -Ce n’est grave ! Je m’en fous !). Mais, elle ne s’en foutait pas. Elle en était toute attristée que l’autre l’ait prise pour une imbécile. Mais Matchi grave !
 
Avec moi, quand je la poussais dans ses derniers retranchements, elle savait qu’elle ne pouvait pas me manipuler. Je la connaissais comme si je l’avais faite et je pense que l’élève avait dépassé le maître. Alors, pour se désengager, en stratège génial, elle se mettait à pleurer, comme ces pleureuses de l’antiquité. A volonté.
-Arrête de pleurer, maman. S’il te plaît, arrête maman.
Et je la consolais. Pour lui faire croire qu’elle avait gagné la partie contre moi.

A tout le moins, en définitive, je n’ai jamais gagné une joute oratoire contre ma vieille. Jamais. Je préférais rompre. Elle m’usait, me fatiguant à ne jamais répondre. Même placée devant le fait accompli, à toujours nier ou vous promener sur des chemins de traverse qui ne menaient nulle part.
Ma mère ne m’a jamais menti. C’est tout à son honneur. Mais elle ne m’a jamais dit la vérité, ne l’a jamais concédée. C’est tout à mettre au crédit de sa combativité. Et de sa constance.
Mais, nous jouions à qui perd gagne et elle ne le savait pas.

Et Berthe MANZ, la deuxième des trois mères de ma vie qui me disait :
-Tu cherches la Vérité, Gilles. Elle est d’essence divine. Il n’y a pas de vérité humaine. On ne tente pas de la connaître sans risquer jusqu’à sa vie parce que, lorsque tu l’auras trouvée, que feras-tu ? Que deviendras-tu ?

J’avais alors 20 ans et j’en fus attristé très longtemps. Mais, aujourd’hui, je sais que je suis le fils de mon vieux père Amar qui a aimé, oh oui, tant aimé ma mère Fatima qui n’était sans nul doute encore qu’adolescente, peut-être même préadolescente.
Et je sais aussi que mon père Amar n’a jamais violenté sa petite femme-enfant qu’il aimait parce qu’il lui achetait des bonbons pour l’amener dans la couche nuptiale. Et ce n’était pas gagné, me disait ma mère avec ses petits yeux riants de malice. 
-Ah, ton père… il m’en a acheté des douceurs.Tu sais, je jouais encore à la poupée, moi. Je rêvais au prince charmant. C’était un vieux, ton père. Je ne l’aimais pas. Un vieux. Mais, quand il est mort, je l’ai regretté parce qu’il a été le seul homme qui m’ait aimé tendrement.

Mais, ma mère aimait parler. Et cacher par sa parole tout ce qui touche à mon origine. Ben, faut faire avec. Et depuis qu’elle est partie, la seule vérité qui me manque ? C’est elle. Elle seule. Et sa parole en cachoteries.
Parce que la parole n’est faite que pour déguiser, cacher ses désirs et ses pulsions profondes. La parole descellée ne donne jamais beaucoup d’informations sur son moi. C’était la leçon de notre mère Fatima.

De le Vigan, le 10 août de l’an de Grâce 2013. Les Cévennes. Le Vigan.

PS: Message à l’intention de la SUISSE et pour ne pas oublier. Puisque j’ai cité la Mission Rolland de Yakouren en Kabylie, j’aimerais remercier tous ces suisses-allemands d’une communauté protestante, les grands parents, puis les parents et leurs enfants qui, par leur généreuse contribution en argent, colis, cadeaux et soutien affectueux ont tenu à bout de bras un orphelinat de petits garçons et filles berbères. 50 ans durant. Existe-t-il un mieux disant?
Et, si j’ai pu bénéficier d’une excellente scolarité au Collège Cévenol, c’est grâce à tous ces dons. 
Pensez ce que vous voulez de l’existence de Dieu. Pour moi, cette bonté en est la preuve. Merci.
      Tous mes frères et sœurs recueillis par la Mission Rolland de Yakouren. Gilles P-K.

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