samedi 17 août 2013

Mers les Bains, la picarde*.


Mers les bains 1900 - Aquarelle d'Annie Desfrennes
Mers, sur la côte d’opale. Une des Trois Villes sœurs avec Eu et le Tréport, les normandes. Tu passes de l’une à l’autre sans t’en apercevoir. 

Ici, point de port mais galets en grève, falaises et une petite ville à qui les anglais, à la fin de la Grande Guerre (WW1) ont offert un char d’assaut !

Un peu plus bas sur la côte, le 19 août 1942, les anglo-canadiens ont essayé un débarquement d’engins chenillés, sur les plages de Puys et de Pourville. Avec le résultat catastrophique que l’on connaît de l’expérience de 1917 de ce char pataud sur les galets.

Mers les bains. Comme au Tréport, une église pour pécheurs, que dis-je, un bateau qui aurait à affronter toutes les tempêtes de la Manche, domine à peine la petite ville. Je n’ai pas eu le temps de la visiter, mais je suis convaincu que les ex-voto doivent être nombreux pour remercier saints et saintes de miracles ou de leur aide précieuse en nos vies difficiles, le pécheur normand étant friand de ces choses de la religion. Une chaire en beau bois sculpté, ne peut que trôner au milieu de la nef, sur le côté droit. Comme à Eu et au Tréport, les sœurs.

Il faut savoir qu’on ne sait pas toujours nager, en ces lieux. Parce que l’eau est très froide, et pour ce que cela sert sur un bateau de pêche et qu'il vaut mieux ne pas tomber à la mer, surtout de nuit. Entre savoir nager et confier ta vie à un bon bateau, un bon équipage, un capitaine avec la baraka (on parle aussi arabe depuis la venue des armées de Charles Quint en ces terres) et pourvu que sainte Rita, patronne des causes désespérées t’ait à la bonne, c’est mieux, parce qu’alors, tu es paré, fin prêt.

Près de la falaise, un panneau « Pèche aux moules interdite sous peine d’amende ». Sur un embarcadère de bois qui ne peut en aucun cas servir à cet usage, un petit panneau avec un plongeur en rouge barré. Effectivement, à marée basse, si tu plonges, tu te reçois 9 mètres plus bas. Sur les galets. 
Et quand la mer est haute ? Le résultat doit être identique.
La pèche aux moule est interdite à cause des falaises qui peuvent s’ébouler mais surtout parce que certains détruisent les « champs » de moules avec des racloirs en fer. La Normandie abrite autant d’imbéciles qu’ailleurs. Ce qui n’est pas pour nous rassurer sur l’humanité.

Mers les Bains, les galets, les petites cabanes-cabines pour les baigneurs peintes en blanc, son avenue front de mer bordée de petites maisons croquignolettes. Toutes les rues y abouchant sont enjolivées de petits immeubles étroits, enchâssés les uns dans les autres et sertis en rivière de diamants de toutes eaux, avec des colombages incroyables peints de toutes couleurs.

Ici, tout est identique et tout est différent, avec des toitures d’ardoise aussi étranges qu’improbables, de la brique, de la pierre, du bois, du bois en trompe-l’œil… 
Et impossible de déterminer la plus belle. Comme pour l’élection de Miss France, en robe du soir pour certaines et en maillot de bain pour d’autres. 

Et les plus belles ont des noms tellement communs que c’en est d'une désespérance, comme les plus belles femmes. Louise. J’entrevoyais  Barbarella la Haie ou encore Brigitte. 
Tu dirais qu’un peintre extraordinaire, doublé d’un architecte génial se soit amusé à tendre une toile immense pour faire un tableau et illustrer un conte de fées en imaginant  de petits immeubles  sur un style identique dans lequel tout est différent. La toile ainsi réalisée illumine les ciels souvent gris de cette côte pour irradier, inonder de soleil cette la cité balnéaire et sa sœur du Tréport.

Tu vois Mers les Bains et ses petits immeubles fardés, sublimes dans leurs voiles vaporeux ou chatoyants des plus belles femmes du Harem du Sultan de Bagdad ? C’est le château du Prince Charmant de toutes les petites filles qui en rêvent encore et toujours, de celui de la Belle au bois dormant. Ces sont des maisons de poupées, de baigneurs et de poupons-caractères en biscuit de fin XIXème siècle, des bluettes des années 30, des celluloïds des années 50. Et de Ken et Barbie...
                      ... des maisons pour ces enfants que nous sommes tous restés, avec ce plaisir des goûters, des anniversaires et de cette haine des siestes qui gâchaient nos vacances d’enfants heureux.

Des maisons aux noms de  rêve, qu’il suffit de lire : les Falaises, les Galets, les Epis d’Or, Entrenous, les Goélands. Marjolaine, la Pervenche, Bironda (a), Madjang (b), Fantan (c), Kermaria (d), Denise (10), le Poussin, le Tabellion (3), les Mimosas, les Liserons, la Joconde, Bontemps, les Bengalis (4), Villa Suzanne (10), Stella, Myosotis, villa Louise (10), Capria, Plaisance, Gracieuse, Beaurivage, la Frégate, Carmen (la Dame à Pierrot), Mignon (e), Gay Logis, les Algues. Et puis aussi…

Villa à Louer, la Bresle, Francillon (e), RIP, la Goélette, Mijarka, l’Embardée (5), Fou des mers, Cyrano, Miramar, L’eau vive, Bouton d’Or, Rayon de Soleil, Clair de Lune, le Tourbillon, Santa Maria, Santa Theresa, les Moussaillons, les Papillons, Pomme d’Api, Mes Vacances. Mais encore…
Villa à Vendre, la Normandie, la Cabane, les Charmilles (6). Mais aussi…Yvonne (7), la Sirène, la Trière (8), Monbijou (9)
Et ce 28 août, la Journée des Baigneurs, beaucoup de monde. Nous rencontrons un Monsieur tout de gris vêtu : costume trois-pièces, chapeau haut de forme assorti, canne à la main que j’entendais cliqueter. Un mersois heureux que je tiens à saluer encore une fois.
-Mais, c’est une canne-épée, Monsieur. C’est interdit !
-Ca ne l’était pas à l’époque. Et nous sommes avant 1900.
-Mais, il s’agit d’une journée costumée, Monsieur…
-Quand savez-vous, Mon cher ?

La Journée des Baigneur existe depuis plus de 140 ans, depuis l’arrivée des parisiens par le train, le Tréport déclaré port de Paris sur la Manche pendant que Mers les bains devenait le lieu des baignades de la capitale. 
Comme à l’époque, des baigneurs en maillot une pièce en coton, des femmes en crinoline, de curieuses tentes de plage, une jolie chanteuse des rues avec son orgue de barbarie portatif qui nous fait chanter, Christine, Rolando, moi et un autre touriste les chansons anciennes de nos grands-mères (les grands-pères préférant les chansons de corps de garde et le bistrot, comme à la Belle Epoque, ceci expliquant cela).
Mais pas beaucoup de baigneurs dans l’eau. Trop froide. Et toujours le même braillard au micro :
-S’il vous plaît, laissez passer les baigneurs… répété à l’infini, le tout pour occuper l’espace sonore car, Mers les Bains est bien française : on y a peur du vide, comme partout sur le territoire national. Alors on meuble avec du n’importe quoi par un n’importe qui qui capitalise le micro et vous empêche de jouir de l’instant présent.

Des Omnibus tirés par 3 chevaux de front transportant des touristes, pas tous parisiens, de la gare vers le front de mer, avec un système de grande poche accrochée à leur cul (des chevaux, cela s’entend) et à la carriole qui récupère le crottin (pas les touristes, comme de bien entendu !), un truc d’époque, ingénieux… Et puis un groupe de musicien lillois qui nous a donné du jazz Nouvelle-Orléans. De l’excellente musique.
Et l’autre qui gueule toujours dans son micro :
-S’il vous plaît, laissez passer les baigneurs…
-Et les hirondelles, les hirondelles. Et les mouettes ! s’il vous plaît hurle Rolando.

Ah, oui. J’oubliais le petit défilé de voitures anciennes. Dommage que j’ai du signaler à beaucoup de conducteurs que leurs pneus étaient souvent sous-gonflés. Et l’on m’a remercié de mon attitude citoyenne. Un conducteur m’a même lancé, rigolard :
-C’est parce que nous sommes en surcharge, voyez, cher monsieur.
Et si je ne l’ai pas compris, les trois dames qui l’accompagnaient dans la guimbarde ne l’ont pas entendu. Quel dommage pour moi !
-Vous êtes trop aimable, monsieur ! m’a lancé, joyeuse une de ces belles de la belle époque.

De chez-moi ce samedi 24 août de l’an de Grâce 2013. Bisous à Christine et Bruno. Et merci pour votre accueil normand. Rolando et Gilou.
(3) Le tabellion : officier public qui délivrait les grosses des actes notariés.
(4) Les bengalis : oiseaux et humains originaires du Bengale.
(5) L’embardée : écart brusque d’un véhicule. Ne pas confondre avec embarcadère. Ni avec débarcadère. Comme si tu disais à Paul que tu as une voiture plus belle que son auto qui en fait... des embarcadères.
(6) Les Charmilles : allée éventuellement couverte ou forte haie de charmes taillée en topiaire (sculpture végétale).
(7) Yvonne. Première dame de France du temps que Charles de Gaulle était à l’Elysée. Le propriétaire, de l’Yvonne, en 1880 était un inconditionnel du grand Baudelaire. Un visionnaire qui, reliant les deux Charles à Yvonne… Voili-voilà.
(8) La trière, galère. Dont l’expression bien française : « Et vogue la trière » quand on rame. Mais pas quand on va tranquille de ci, de là, cahin-caha...
(9) Monbijou. Parce que cela fait rigoler Rolando. On se demande bien pourquoi.
(10) Des connaissances. Doit-on dire des souvenances, des réminiscences? Ne savons mais…
Pour a, b, c, d… ne savons pas mieux.

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