Elle s’appelait Sofia
Castillo. (Entretien recueilli auprès d’Anne-Marie, 79 ans, la Nanny
d’Alexander).
- Tu sais, Anne-Marie, que s’exprimer sur mon blog n’est pas anodin et que tu devras signer.
- Tu sais, Anne-Marie, que s’exprimer sur mon blog n’est pas anodin et que tu devras signer.
- C’est vrai qu’à mon âge, mon garçon... eh bien, tu
m’apprendras à signer !
- Tu veux rendre
hommage à une grande dame, c’est cela ?
- Oui. Une bonne
personne que j’ai découverte et qui a fait un bien fou à ma vie. J’ai envie
d’écrire sur elle quelque chose qui pourrait redire ce chant à la vie qu'elle
était.
- Le genre d’écrit
que tu te proposes est un des plus délicat : d’abord, parce que l’hommage ne se
rend qu’aux vivants. Il te faudra parler de toi, de ta relation affective à
cette dame. Tu comprends, et de bien nous faire saisir qu’elle demeure toujours
vivante par-delà sa mort. C’est cela l’hommage.
- Oui. Je
comprends que tu vas m’aider… à signer aussi.
- Je suis née espagnole en 34, à Ripoll, petite ville de
Catalogne, une vraiment très, très mauvaise année pour tout enfant née républicaine
parce que ses parents étaient légalistes.
1939, à 4 ans et ½, j’arrivais en France, la pire des années pour se présenter à la frontière, avec papa, maman et mon frère. Tu peux t’imaginer, Gilles, ces années-malheur ?
1939, à 4 ans et ½, j’arrivais en France, la pire des années pour se présenter à la frontière, avec papa, maman et mon frère. Tu peux t’imaginer, Gilles, ces années-malheur ?
- Oui. Mais as-tu
des souvenirs de ta ville natale ?
- Non. Si… de
Ripoll, je n’avais que les souvenirs de mes parents qui en parlaient souvent,
de notre maison laissée au pays, des jours heureux, avec cette impression
d’avoir toujours vécu à Ripoll, ma ville, et que j’y reviendrai. J’avais
endossé les souvenirs de mes parents, les chants de ma mère et puis…
- ... Notre accueil en France a été disons, mauvais. On ne
peut comprendre cette réception sans considérer la masse énorme et l’afflux
continuel de réfugiés que la France n’était pas en capacité d’absorber.
Nous sommes arrivés démunis et longtemps le sommes demeurés. Il nous fallait survivre, tout recréer en cette période très difficile pour mes parents qui faisaient tout pour que mon frère et moi n’ayons jamais à en souffrir.
Mon intégration en tant que fillette française d’origine espagnole, et j’insiste là-dessus, s’est bien passée à l’école primaire, et je me considérais au même titre que mes copines de classe, française. Mais, toute cette misère de la famille c’est bien plus tard que je l’ai ressentie et intégrée.
Nous sommes arrivés démunis et longtemps le sommes demeurés. Il nous fallait survivre, tout recréer en cette période très difficile pour mes parents qui faisaient tout pour que mon frère et moi n’ayons jamais à en souffrir.
Mon intégration en tant que fillette française d’origine espagnole, et j’insiste là-dessus, s’est bien passée à l’école primaire, et je me considérais au même titre que mes copines de classe, française. Mais, toute cette misère de la famille c’est bien plus tard que je l’ai ressentie et intégrée.
Peut-être qu’un jour, je te raconterai, si ça
t’intéresse.
- Donc, Ripoll tu y
es retournée. Non ? Et tes « souvenirs », si je puis dire étaient intacts ?
- Oui. En… comme,
je te le disais si tu avais cette
impression de n’avoir jamais quitté ta ville natale alors que tu n’y avais
jamais remis les pieds et que tu ne pouvais avoir aucun souvenir.
Ma première visite pour l’Espagne fut en 92 où j’y rencontrais des cousins, et
j’avais alors 58 ans.
- J’ai rencontré Sofia à ma deuxième visite. Elle m’a été
présentée par Madame le Maire de Ripoll dont je cherche le nom... Non,
Je ne le retrouverai pas.
Sofia, professeur d’Histoire à Ripoll avait fait une
thèse, éditée ensuite sur la Guerre civile dans ma ville, et qui fait référence. Tu
peux comprendre tout l’intérêt que j’y portais.
- As-tu pu
rencontrer ta famille restée en Espagne, à part tes cousins ?
- Attends, mais
oui, et pas que des gens de ma famille. J’ai pu aussi revoir ma maison natale,
actuellement habitée par un vieux monsieur qui nous a fait faire le tour du
propriétaire et qui, voyant mon intérêt, m’a raconté plein d’anecdotes sur l’histoire
de cette maison de la fin de la guerre à aujourd’hui. C’en était hallucinant
cette maison d’avant la diaspora : j’aurais pu m’y déplacer les yeux fermés. Incroyable, ne trouves-tu pas ?
- Je comprends,
Anne.
- Quand tu retournes au pays natal, quel choc. Près de la frontière, avant d’arriver, bien avant même, oui et quelque chose se passe au creux de l’estomac dès que tu te sens l’Espagne. C’est à la fois délicieux et tendrement douloureux. Tu comprends ?
- Quand tu retournes au pays natal, quel choc. Près de la frontière, avant d’arriver, bien avant même, oui et quelque chose se passe au creux de l’estomac dès que tu te sens l’Espagne. C’est à la fois délicieux et tendrement douloureux. Tu comprends ?
- Une sorte de
douleur lancinante ?
- Oui, comme un
coup de foudre, la toute première fois, qui ira s’atténuant mais que
tu ressentiras toujours. C’est ton histoire d’amour avec ton pays d’origine,
oui.
Tu te sens l'Espagne, et c'est intraduisible. Je te dis ça pour que tu comprennes que l’Espagne ne se conçoit qu’en rencontres, amitiés, et amours toujours vécues en drames. En France, j’avais oublié le flamenco et toute cette beauté flamboyante du chant et de la danse. Et la violence du sang et de la mort des corridas. D’Espagne.
Tu te sens l'Espagne, et c'est intraduisible. Je te dis ça pour que tu comprennes que l’Espagne ne se conçoit qu’en rencontres, amitiés, et amours toujours vécues en drames. En France, j’avais oublié le flamenco et toute cette beauté flamboyante du chant et de la danse. Et la violence du sang et de la mort des corridas. D’Espagne.
Dès que j’ai vu Sofia, nous sommes tombés dans les bras
l’une de l’autre, comme deux parentes séparées depuis trop longtemps par une
frontière, comme si je retrouvais la petite sœur que j’aurais tant aimée avoir et
qui était restée au pays. Et elle a eu le même élan vers moi.
Nous avons, ensemble, participé à beaucoup de réunions,
rencontré énormément de gens. Lorsque je disais que j’étais née à Ripoll
pendant la guerre d’Espagne, réfugiée en France gamine, toutes les portes se
sont ouvertes. Fallait voir.
Une très vieille espagnole, restée au pays, me disait :
- Si vous avez
souffert en France, imaginez ce que nous avons vécu ici. Il est vrai que l’Espagne
était un devenu un pays extrêmement pauvre, à reconstruire suite à trop de
destructions, trop de haines, de deuils, de ruptures familiales, d’émigration.
- Dès que l’Espagne s’ouvrit, vers 1975, mon amie
s’investit dans la région de Toulouse, organisant chaque année une rencontre
d’anciens réfugiés. Il faut savoir que beaucoup d’espagnols, apatrides parce
que déchus de leur nationalité par Franco, se considéraient toujours espagnols
et refusaient la naturalisation française dans le même temps qu’ils ne se
voyaient pas retourner au pays pour ne pas être déçus ou pour éviter d’entrer
dans des rancœurs d’histoires qu’ils avaient fuies à l’époque. Ou parce qu’ils
avaient fondé leur famille en France.
- Pourquoi vouloir honorer
ton amie, Anne-Marie ?
- Oh, tout
bonnement parce qu’elle a été, jusqu’au bout, ce soleil militant de la dignité
humaine qui se dépensait sans compter pour organiser des rencontres entre les
espagnols des deux côtés des Pyrénées.
-C’était une grande d’Espagne bien vivante, avec un de ces
amours pour le genre humain que tu ne peux pas savoir. Un amour, oui.
Elle avait un cancer du sein et croyait toujours en la
vie, se battant pour elle et pour les autres. Quand son compagnon m’a annoncé
sa mort, le 29 décembre 2013, une grande tristesse m’a envahie puis je l’ai
revue, lorsqu’elle visitait mon petit coin de France qu’elle aimait
particulièrement.
- Anna, le Vigan,
c’est aussi beau que Rispoll, mais il te manque une rivière, et c’est dommage.
- Sofia,
qu’est-ce que tu me chantes. J’habite auprès de l’Arre, regarde la rivière.
- Oui, mais nous
avons deux rivières à Ripoll. Deux…
Oh, comme tout grand personnage, elle avait bien quelques
petits travers. Par exemple celui d’apprécier la liqueur de Châtaignes des
Cévennes qu’elle me demandait de lui rapporter à chacune de mes visites en
Espagne, liqueur que j’achetais au petit restaurant-magasin du Cirque de
Navacelles malheureusement remplacé par un grand machin moutonnier pour
la tonte de nos visiteurs.
A chacune de ses visites, Sofia disait :
- Ton pays des
Cévennes, c’est comme mon Espagne. Il est parfait ! Parfaitement, ma chère.
- Non ma chérie, parfait, le mot est inadapté. Beau,
magnifique, merveilleux seraient…
- Anna, parfait est
bien mieux, je trouve moi, que ce soit en français ou en espagnol.
Par cet entretien, je voulais remercier Sofia Castillo
Garcia et son Angel de m’avoir fait aimer ma parfaite Espagne. Et surtout dire à
tous que ma petite sœur de Catalogne reste toujours en nos cœurs.
- Comment pourrait-on
signer cet entretien, Gilles ?
- Et si on signait :
Anna-Maria Rascon Martinez de Maber Dama de Francia et Gilles, tout simplement ?
- Et si on y
rattachait aussi l’Espagne, en hommage à Sofia, tout simplement ?
- Je crois bien
qu’on peut ! Et qu’on doit.
Coordonnées du livre : « La Guerra Civil
à Ripoll (1936-1939) » par Sofia Castillo Garcia et Olga Camps Fernandez –
Mairie de Ripoll.
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