Composition sur dessin de fond de Tardi |
Par un après minuit d’août mil neuf cent cinquante cinq, alors qu’il sortait de la caserne Clignancourt, dans le dix huitième arrondissement, là où il avait été hospitalisé depuis son retour d’Indochine, une chaleur suffocante l’étouffa, pesant sur son corps déjà affaibli par plusieurs mois de détention hospitalière et hostile aux légionnaires, dont la mentalité inhospitalière était flagrante.
Au dessus de
sa tête, de gros nuages chargés de pluie chaude qui ne voulait pas tomber sauf
au goutte à goutte, s’agglutinaient comme des moutons apeurés, au dessus d’une
agglomération absente de toute bergerie.
Conrad,
Conrad LAUGIER, c’était son nom que lui avait donné la Légion et qu’il avait
gardé, pour ne pas aller en prison après son matricide impromptu, se dirigeait vers le
dix neuvième arrondissement, pour louer une chambre dans un hôtel qu’un
camarade de chambrée lui avait conseillé.
Les rues de
la capitale étaient désertes à cette époque de congés et en cette heure matinale. La grande majorité du peuple parisien était parti en vacances, abandonnant
leur ville aux touristes assoiffés de curiosités.
L’ex
légionnaire préférait marcher pour aller à l’hôtel, malgré ses trois jambes, la
gauche forte en muscles, la droite tordue en os et une canne mince en bois tors.
Cette idée de ballade était moins rapide, mais il avait le temps de redécouvrir
sa ville natale. Elle était encore plus
charmante et plus belle que quand il l’avait quittée, pour ce conflit imbécile
décidé par quelques crétins en manque de célébrité et imbus de pouvoir.
Après une
dure et longue promenade à travers le nord de Paris, il arriva devant l’hôtel
restaurant qui était non loin des Buttes Chaumont, dans la rue des Dunes
(longueur cent vingt deux mètres, largeur douze mètres). Il entra dans cet
établissement délabré qui lui rappelait étrangement la maison où habitait son
amie Isabelle.
-Tiens, se dit-il, Isabelle! Et il rêva.
Derrière le
bar, recouvert de zinc, il y avait, accoudé au comptoir, un sexagénaire asexué
qui bavardait avec une femme débordant de sex appeal et tenant , négligemment dans sa main un
sexe à pile. Ce tenancier était dans le même état que l’endroit qu’il gérait.
Ses battoirs qui lui servaient de mains qui, comme une vieille paire de gants
de travail, étaient imprégnés de souillure collante due à une consommation
abusive de crème de cassis dont il était imbibé et qu’il renversait allègrement
sur le sol devenu collant, lui aussi.
Les
chaussures de Conrad y étaient accrochées, comme aspirées par un carrelage tyrannique
de qui elles n’étaient pas amoureuses. Une serpillère usagée se reposait
lamentablement sur une table qui avait dû probablement servir à la nettoyer. Et une odeur de vieux pipi qui devait provenir de ce vieux chiffon de
sol envahissait les lieux.
Ce couple
désassorti regardait, ébaubi, le jeune boiteux d’’indochine qui ne s’appelait
pas Bobby et qui les regardait, lui aussi, ébahi par leur comportement
singulier et qui, le soir, devenait incontestablement pluriel. Conrad voyait
bien qu’ils n’étaient pas riches mais qu’ils avaient un signe extérieur de
tendresse et qu’ils ne pouvaient pas faire autrement que de rester ensemble. A l'aune de ce couple improbable, étant donné
son signe intérieur de tristesse et inférieur de richesse, il se sentait un pauvre type.
Il leur dit,
dans un élan de sympathie d’une spontanéité réfléchie, oubliant la politesse
journalière et matinale:
-Je m’appelle Conrad LAUGIER, je suis un
ancien légionnaire libéré, revenu d’Indochine et voudrais vous louer une
chambre pour quelques mois.
Le vieux
pépère rabougri, qui s’appelait Gaston, lui fit un signe affirmatif de la tête,
tout en lui tendant une fiche de police à remplir, souriant si fort qu’il en
fit tomber son dentier jauni par des années de manque de brossage.
Conrad,
après avoir rempli la petite fiche demanda s’il pouvait monter voir la chambre
qui était au premier. Véronique, la jeune femme, le précéda dans l’escalier.
Ses petites fesses en forme de cœur, serrées dans une jupe moulée, se balançaient
de gauche à droite, et vice versa, provoquant un séisme intellectuel dans le
moral du jeune homme, dont l’organe générateur s’élevait à chaque fois qu’elle
levait une cuisse pour monter une marche (il n’avait pas fréquenté de femme
depuis plusieurs mois).
Arrivé sur
le palier, il vit les toilettes. Il y entra rapidement. Son cerveau s’ébranlait,
Conrad aussi. Une minute quarante six plus tard, il s’extirpa des vataires closettes,
rouge de honte.
La bombe
sexuelle, qui l’était devenue un peu moins aux yeux de Laugier, l’attendait
devant la porte de la chambre. Il s’approcha d'elle et vit une petite pièce
sombre et meublée d’un petit lit, d'un autre lit dans le reflet de la glace, d’une petite chaise et de sa jumelle encore dans le même reflet… etc. Des rideaux blancs,
noirs clair, foncés et froncés, accrochés à une petite fenêtre qui donnait dans
une petite cour, laissant entrer par des petits trous un soleil timide qui faisait
apparaître, sur les murs, un papier peint qui dépeignait les ébats amoureux de
couples dépeignés et dépareillés. Puis il faillit se retourner en découvrant la jumelle de Véronique qui le dévisageait dans dernier un reflet.
Conrad se
laissa tomber sur le lit, éprouvé par une matinée fatigante. La belle
Véronique, en-jolie d’un sourire narquois, referma la porte, le laissant à ses
pensées et redescendit rejoindre son vieux mari.
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