Il aperçut deux enfants d’une dizaine
d’années, à côté d’une 2CV renversée. Le plus jeune pleurait, envahi de pleur,
le plus grand n’était pas plus fier. Les yeux rêveurs du cauchemardeux
commençaient à le piquer. Les gaz lui troublaient la vue, lui qui était déjà en
état d’inquiétude, quand tout à coup, il sentit une main pourvue de cinq doigts
et dépourvue de poils, se poser sur son épaule.
Il suivit du regard le bras qui était attaché à cette
main, et arriva sur un visage qui était celui d’Isabelle, sa petite amie
d’enfance et qui avait bien mûri. Elle était encore plus belle que quand elle
l’avait quitté. Sa capeline avait laissé placé à un béret noir, genre Che
Guevara. Sa robe à fleurs s’était transformée en tenue kaki, comme chez les
paras. Ses petites espadrilles étaient devenues des Pataugas, cool chez les
babas. Ses jolis yeux verts et rouges étaient cachés par des lunettes à la
Lennon.
Le jour de leur séparation, elle avait été casse
couilles, avec l’âge, elle était devenue presbyte.
Leur rencontre les rendait seuls au monde, ne
s’apercevant pas de la cohue qu’il y avait autour d’eux. Ils n’entendirent pas
les explosions des voitures en feu qui les entouraient.
Conrad proposa à Isabelle de se rendre au bar de Gaston,
pour aller boire un verre et discuter un peu, se rappeler leurs souvenirs
d’enfance et d’autres moments passés l’un et l’autre.
Arrivés dans l’ancienne demeure du bienheureux, le vieux
pépère était toujours derrière son comptoir et cherchait son dentier qu’il
avait égaré la veille au soir dans une beuverie sans nom. Il postillonnait, tel
un lave glace de voiture, se léchant allègrement le dessous du nez avec sa
lèvre inférieure.
- Je fuis content de te voir mon fer Conrad, crachota le vieil édenté. Vous allez resfter manver avec nous.
- Je fuis content de te voir mon fer Conrad, crachota le vieil édenté. Vous allez resfter manver avec nous.
- Oui, avec plaisir, répondit Conrad s’éloignant de
quelques pas de crainte de se faire mouiller par les éclaboussures alcoolisées. Je te présente une vieille amie :
Isabelle.
- Oh, qu’est-ce
qu’elle est belle s’exclama le vieux vicieux, la regardant des pieds à la
tête, s’arrêtant un court moment au dessous du niveau de la ceinture, et un
autre au rayon pare chocs. Ve fuis
vraiment content de vous voir.
Ils allèrent s’asseoir dans la salle tranquille à côté du
restaurant. Elle lui parla d’elle, il lui parla de lui, ils finirent par se
parler tout simplement d’eux.
Quand elle était adolescente, elle voulait jouer dans un
ballet à Bali. Plus tard elle se retrouva à jouer du balai à Bally, un petit
village en Seine et Marne, où elle était femme de chambre dans un petit hôtel
de passes d’une rue passante.
Ils se regardèrent, œil contre œil, nez contre nez,
bouche contre bouche… quand tout à coup, le tintement d’une cuillère à soupe
vide contre une bouteille de vin pleine, les fit sursauter.
- Le déjeuner est servi criait Véronique, la femme de Gaston, À table !!!
- Le déjeuner est servi criait Véronique, la femme de Gaston, À table !!!
Ils avaient faim de leur amour, faim de leurs atours,
mais enfin il fallait bien qu’ils se nourrissent.
Dans la salle du restaurant les attendaient leurs
couverts sur une nappe de lino à fleurs. Étaient assis autour de la table les
restaurateurs, le belle et la bête, la femme en noir accompagnée d’un homme en
blanc habillé d’un costume croisé, de chaussures noires et blanches et d’un
borsalino.
Il y avait aussi la femme du routier sympa, accompagnée
d’un travesti, sympa lui aussi.
Monsieur et Madame Trumin, les jeunes retraités, étaient
partis en stage, à la Centrale de Melun.
Le repas se passa dans la joie et la bonne humeur. Gaston
s’écroula, ivre de sa boisson préférée, le mêlécasse. Sa tête tomba dans le
plateau à dessert, anéantissant la tarte aux pommes de son visage flasque et
baveux.
Il était seize heures et les deux tourtereaux
s’éclipsaient pour aller dans l’appartement de Conrad, où ils passèrent tout
l’après midi et toute la nuit, où ils assouvirent sans s’assoupir leur passion
réciproque.
Il l’a aimé toue la nuit, son légionnaire, ils vont
s’aimer toute la vie, comme l’écrit Baudelaire.
Quelques mois plus tard, ils se marièrent et vécurent
heureux pendant plusieurs années.
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