mercredi 26 juin 2013

Marjory & George in love* !


Dessin de Webb Murray
Marjory and George. En ces temps-là, heureusement révolus, l’argent faisait les mariages d’amour... 

...en ces années d’insécurité pour toute jeune fille qui voulait s’établir et où il fallait tout faire pour ne pas être séduite. Alors, amour et séduction ne faisant pas bon ménage, Marjory... comprenez !
Et comme toutes histoires d’amour qui, fleurissant petite pâquerette viraient au bleuet pâlissant puis en coquelicot rougissant avant que de ne se réaliser, ou tel petit nuage disparaissant happé comme par l’enchantement des soleils d’étés si timides d’Angleterre quand la situation financière du prétendant n’autorisait pas l'établissement d'un bon mariage respectable, si possible, alors...
Alors, parfois, le temps passait à la pluie et aux pleurs, et personne n’y trouvait à redire.

George aimait d’amour tendre Marjorie. Oh d’un amour si platonique, en ces temps-là car on ne compromettait aucune jeune fille… et toutes étaient respectées, Monsieur, mais aucune rosière ne jouait son bruit, sa renommée en s’étendant dans les près avec le soleil pour témoin. Marjory, elle…
Délicat George aimait Marjory qui le lui rendait bien par de tout petits bisous au coins des lèvres, oui George, le gentil mécanicien de la Royal Navy qui trouvait sa tant belle Margy à croquer qu’il en montrait les photographies à tous ses copains matelots et les faisait rêver, là-bas, en fond de cale. Et, pourtant, elle avait convolé depuis bien longtemps avec un petit médecin de campagne. Mais, il l’aimait toujours sa Marjory, sa Marjory et la Navy.

Oui, mais… Oui, mais la vie étant, la situation des jeunes filles était difficile. Comprenez les hésitations de Marjory : Navy, Toubib ? Ah, si George avait opté pour la Royal Air Force et s’il avait été pilote de Spitfire, le prestige de l’uniforme aurait enlevé l’adhésion de la belle. 
Mais le bon garçon n’en voulait pas à sa Marjory. Il n’était que mécanicien en fond de cale d’un HMS et sentait fort le mazout. Aucun savon ni parfum n’était capable de le faire sentir meilleur.

Lorsque j’ai connu Marjory, elle venait de perdre son mari devenu médecin-major dans la Navy, suite à la guerre. S’étant remise du veuvage récent, elle commença à prendre quelques plaisirs… D’abord de petites balades en voiture dans le Devonshire, puis des bains de mer en Cornouaille, pour finir par hanter tous les vernissages des expositions et acheter quelque tableau laid à quelque peintre beau, uniquement pour avoir ce plaisir d’un jeune barbu qui vous détaille, et lui dire qu'il serait un grand artiste… Il rétorquait qu’elle était grande dame.
Hé, hé ! Marjory.
Mais, quel âge pouvait-elle bien avoir ? 85 ans, ce me semble, Mais, quelle grande dame.

Et, son plaisir, à mon amie, consistait à m’emmener en ville, dans une vaste limousine, voiture qu’elle s’obstinait à conduire malgré son âge, et sans lunettes, par coquetterie. J’ai toujours pensé que Marjory se complaisait à me faire les peurs de ma vie uniquement pour courir se contempler dans ces glaces de modistes ainsi offertes. De toutes façons, elle n’y voyait goutte et je me demande encore aujourd’hui quel était le reflet qu’elle pouvait bien y déceler. Une Marjory floue, mais toute de couleurs toute mise ? Sans doute.

Et, la Dame, sa vie bien remplie de luxe et de faste, ne s’ennuyait jamais. Fashion victim, elle aimait acheter, dépenser son argent. Pourquoi le garder à 85 ans ? Le réserver à ses héritiers ? Elle ne se voyait pas à cet effort. Pour ce faire, il lui eut fallu un déambulateur en or, trop lourd qu’elle leur lèguerait, et la chose n’existait pas, ce qui la faisait rigoler comme une folle. 
Marjory m’inquiétait grandement.

Et puis, Marjory aimait les grandes toilettes. En reine-mère. Avec des chapeaux tous plus farfelus les uns que les autres et des robes aux couleurs impossibles qui ne s’accordaient jamais avec sa coiffe, pour choquer, disait-elle. Elle aimait. Et rire par-dessus tout !

Un jour, à brûle pourpoint, elle m’annonce qu’un homme a des vues sur elle. Pour être honnête, elle y allait fort, mon amie Marjory. Des vues, disait-elle ? Mais, était-elle sûre qu’il avait des vues, lui ? Sur elle ? Il devait être miro !
- Dear Ann-Mary. It’s truth. George, my first lover !
J’ai failli lui demander de préciser car elle disait que c’était son premier amoureux ! Attendez... amoureux ? Mais, non. Ce n’est pas la même chose entre le premier amour et le premier amoureux. L’un se partage, fait vibrer, ne s’oublie jamais, l’autre peut s’éconduire. Suis-je assez claire ?

- Chère Anne-Marie. C’est vrai. George, mon premier amoureux. Celui qu’elle avait éconduit poliment, (on a le fair-play anglais) mais bien éconduit en ses vertes années. George n’avait pas la rancune tenace. Oh, bien évidemment, il avait fait sa vie, avait été heureux jusqu’à ce que sa femme n'ait eu la mauvaise idée de mourir avant lui, ce qui est cocasse, ne trouvez-vous pas ? sachant que les femmes sont réputées plus résistantes que les hommes !

Et voilà, la vie n’étant que la vie, et l’oubli de sa femme, et le souvenir de Marjory et des petites balades et des petits bisous tout mignons, mais pas plus, et de la jolie robe légère vert-pomme ou rouge-cerise de Marjory, en ces temps d’insouciance… plus fort était le souvenir.
George était redevenu aveugle par amour, et l’attente depuis plus de 65 ans que lui avait fait endurer la tant belle demoiselle, tout était oublié. Ah, George nageait dans la félicité comme aimait à le rappeler Marjory… et enflammer un bel homme comme George à 85 ans, mazette… Bonheur !

Nous faisions du lèche-vitrine… Cela tombait bien pour choisir une robe de mariée. Blanche ?
- M’enfin, Mary-Ann. Je n’aime que la couleur…
- Alors, celle-là bleu tendre, non ? Avec une écharpe orange fluo et un chapeau gris…
- Mais, non. La robe, on trouvera. Le chapeau, aussi. Et je veux que ce soit Tony qui me mène à l’autel !
- Mais, Marjory, Tony est trop jeune. Il a tout juste 60 ans. Tu ne trouves pas ?
- Ma chère Ann, serais-tu jalouse ? Je ne fais que te l’emprunter pour l’Eglise. Ressaisis-toi !
La future épousée avait décidé que ce serait Tony, le mari d’Anne-Marie qui la conduirait à l’autel et la donnerait à George.
- Enfin, Marjory… Tony a son mot à dire, penses-tu ?
-Ecoute, ma chère. Si mon père était de ce monde, c’est lui qui me donnerait à George. J’entrerais au bras de Tony dans l’église. S’il te plaît Ann ! Tony le fera par amour de toi. Voilà!

Anne-Marie trouvait la chose cocasse, intéressante. C’est Tony, son mari qui n’apprécierait pas la situation. Ridicule. Anne-Marie, la française imaginait son homme, son anglais, dans ses petits souliers et son rôle de père de la mariée ? A mourir de rire. Ils n’avaient pas le même sens de l’humour et du ridicule, elle et Tony.
Anne faisait semblant d’être catastrophée par toute l’histoire.
- Je trouve la demande de Marjory déplacée, chéri… A son âge ! Une vraie gamine.
Mais Tony connaissait trop son Ann pour être dupe de son jeu. C’est pourquoi, lui aussi s’amusa comme un petit fou, se déguisant en dandy des années 1800 pour en faire la surprise à sa dame et à la future épousée le jour des noces.

Ce fut un mariage extra. Et heureux. Et ce fut Tony qui s’amusa le plus. Dommage que le prêtre, au grand dam d’Anne-Marie et de Tony, et de Marjory, et de George… et de toute  l’assistance oublia de prononcer quelques phrases rituelles, comme croissez et prospérez. Et cela gâcha un tant soit peu la cérémonie qui se déroula un mois de mai pluvieux. Sauf, ce jour là.

Et George et Marjory vécurent heureux longtemps… enfin assez longtemps pour pouvoir rattraper le temps perdu. Qui peut se rattraper. Mais oui, quand on s’aime très fort.

Mais, dis-nous encore, Anne-Marie ?
- George avait mis son bel uniforme de mécanicien-chef de la Royal Navy avec ses décorations.
- Mais, la couleur de la robe de mariée… Blanc ? Et le chapeau ?... Un diadème ?... Mais alors !
- Tu aurais dit le mariage royal d’Elisabeth II et du Duc d’Edimbourg. Mais, que c’était beau ! Et puis, Marjory a fait un petit bisou sur les lèvres de Tony quand elle a passé au bras de George, devant l’autel. Vrai! 
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A Anne-Marie. J’ai essayé d’être le plus fidèle à l’histoire que tu m’as racontée. Je n’ai rajouté que les petites fleurs, pâquerettes, bleuet et coquelicot. Les robes légères vert-pomme ou rouge-cerise, aussi.  C’est plus mignon. 
Gilles Le 26 juin 2013. Pont d’Hérault & le Vigan.

PS: «Le dandy doit aspirer à être sublime sans interruption, il doit vivre et dormir devant un miroir». (Mon cœur mis à nu Baudelaire).

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