samedi 1 septembre 2012

Qui a tué mon Dieu*?


Dessin de René BOUSCHET (R&B).
 
1er septembre. La Saint Gilles. En-fil-de-fer-barbelé, je suis.

Djamel de la vêture :
-Tu m’aurais dit que c’était vrai, je t’aurais cru aussi.
-Qu’est-ce que cela changerai, vrai-pas vrai ?
-Ce que cela changerait ? Rien bien sûr. Mais vois-tu, c’est le texte le plus violent que j’ai lu sur la détention, sur la saloperie des Maisons d’Arrêt. Tu comprends ?

Djamel est prof de philo. Moi, je n’ai fait qu’inventer, imaginer. Point barre !
-Les Maisons d’Arrêt devraient être interdites. Imagine : tu fais une connerie seul. Tu dois être puni seul. Mais non. On t’impose la détresse d’un autre malheureux. Pourquoi ? Pour t’enlever ton intimité profonde, on gomme ton âme !
-...
-Par contre, ce texte, il n’est pas parfait. Dis-moi, et c’est d’importance : et de la jouissance dans tout cet écrit ? Djamel essayait de comprendre.
-Ben, sa coquette l’était toujours molle. Donc…
-Tu vois bien qu’il s’agit d’autre chose que d’une branlette.
Pour Djamel, ce texte, faut l’envoyer à l’Ecole de la Magistrature. Il parle admirablement de notre animalité, policée durant des millénaires, qui aboutira à l'Humanité.

-Réfléchis : l’intimité, ce qui te fonde, ce que tu ne dis jamais même à ta femme, à ton amour, tes déprimes et tes caresses les plus intimes, ce que tu caches à tous dans le secret de "l’isoloir". Compris ? 
Ici, il s’agit de la minute philosophique. Un sujet qu’il faudra bien, à un moment ou un autre se saisir à bras le corps. Un mano à mano salvateur de notre humanité.
En prison, le fondement de l’être se dérègle car tu te trouves à disposition de la Justice de très longs mois avec, en Maison d’Arrêts, des conditions extrêmement difficiles.

Tu n’es jamais seul mais tu es enfermé pendant 21h30 à 22 heures par jour. Avec au moins un détenu et plus lorsque ta cellule est en surcharge. Jamais en solitude. 
Le fondement de tout ton être en est donc mutilé. Plus aucune intimité "avec toi-même". Ni avec personne. Tu ne peux te fier à personne. Le manque de femme dans la taule fait que tous les mâles se féminisent à l’extrême. 

Dis-moi ton schéma érectile et je te dirai qui tu es. Et ton schéma ne peut te faire bander. Ni jouir ! Car tu es en prison, mains liées !
En prison, la bandaison de Brassens, que ce soit Fernande, Félicie ou Léonore ne sert plus de rien. Nous en sommes à Lulu : nous ne bandons plus durant des mois, et des mois tant que nous ne sommes pas jugés ou rejugé. L’inquiétude de notre sort nous tue toute possibilité de durcissement.

Le texte qui suit n’est pas quelque chose en moquerie. Non. Moi aussi. Durant de longues semaines, moi-même, je n’arrivais pas à bander dur.
Et, chaque fois que j’essayais d’aborder le sujet sexe, la réponse était toujours :
-Tu es obsédé. Ce n’est pas possible ! Ou encore :
-Tous les matins, je me réveille sur la béquille. Et c’est pénible.
Mon pote, qui se réveillait tous les matins sur sa béquille me confiera, bien plus tard, qu’il n’a pas eu une seule érection durant 8 mois, jusqu’après son procès.

Sééégaaaaïïïôôôôôlooooo !
Chère Carmen et Pierre chéri. Je suis toujours là où je suis. C'est-à-dire pas à la droite de Dieu le père. Mais pas loin du Trône. A chier !
Tout d’abord, sachez que mon langage plus que cavalier n’est fait que pour masquer une âme fleur-bleue : la mienne. Alors, ne m’en veuillez pas si je suis un peu (beaucoup) pipi-caca, l’Administration Pénitentiaire ayant tout fait pour que je retombe en enfance, en ma couche ! Culotte !
Par ailleurs, dire des cochonneries ne signifie pas que je sois un porc. N’est-il pas ? Même Victor Hugo a écrit de belles chienneries.

Dans ma maison vous viendrez. Ma maison n’est pas à moi… Début d’une poésie de Prévert.

Donc, j’ai hérité, dans ma maison d’un type gentil, un peu pété, ambidextre (le veinard !), qui arrive à se chatouner plusieurs fois par jour (à 11h25 et à 14h30 ce jour. Mais nous ne contrôlons pas tout).

Depuis son arrivée, nous faisons une consommation de PQ hallucinante. Un rouleau par jour pour 2 détenus ! Comment tiendrons-nous à ce rythme ? Mes rouleaux vont tous y passer… Misère ! Je me vois, torche-cul du doigt faire mes virgules sur le mur de notre résidence principale. En artiste. Mon Dieu !

Première branlette, 11h25, dans les "toilettes" qui ne ferment pas (avec, en plus, un regard mal placé dans le mur)… En se brossant les dents de la main droite, on astique le manche de la main gauche et, de temps à autre on crache le dentifrice dans sa main branlante pour lubrifier le dit manche.

Et moi qui suis à moins d’un mètre de lui. Il se regarde dans la glace, tout en se branlant. Il lui suffirait de tourner son regard de 2 à 3° pour savoir que je le vois, je l’observe à la dérobée, estomaqué.
Mais, lui est dans un rapport direct avec son Créateur. Et il fait abstraction de moi.

Tout le monde suit la manœuvre ? Bien! On y est, Carmen ? Pierrot ?
Et il la regarde avec amour, sa guilleri. Son regard passe de la glace et de son image renvoyée à sa réalité dans un jeu en perpétuel mouvement !

Parfois il vise mal sa main astiquante et son crachat tombe sur son ventre qu’il a proéminent, misère de misère. Alors, d’un délicat revers du pouce il nettoie, la main gauche toujours en léger et doux branslement.
Faut… faut le faire, et il y arrive : le Guiness-book. Je le proposerai. Faudrait que je m’entraîne un jour mais je ne pense pas être aussi adroit, équilibré ! Cette sègue particulière s’appelle la branlette-tout-à-gauche//brossage-tout-à-droite//Salive!//tête basse!//Crache!//Salive manque cible main sègante… tombe sur ventre… essuie-du-pouce... Droit !
Im-pres-si-on-nante !

Dieu, que je t’envie, Ségaïolo. J’essaye parfois et n’y arrive pas. C’est désespérant.
Quant à ses dents, elles sont tant frottées que les poils de sa brosse en sont tout retournés, comme écrasés. Par une main de géant ! Du jamais vu.

La deuxième de 14h30 de style assis sur Gargantua (c’est ainsi que je nomme le trône qui bouffe plus que nous tous les restes de rata et qui ne grossit jamais)…
-La deuxième quoi ?
-Oh, Pierrot, tu suis ou quoi! Ben la deuxième branlette… Dans les chiottes.
Ben, tu le vois, les pieds légèrement tendus comme sur les starting-blocks, le short baissé sur les mollets qui remuent en cadence (le short tu devines, donc mains-mollets, évidemment !).

Dieu a abandonné mon copain ! Qui n'arrive pas à jouir.
Et le papier-chiotte qui défile et disparaît à grand train. Un train d’enfer ! 
Ai vu sa belette par le regard du mur de la "salle" d’eau. Molle, petite, peu gaillarde. Comme cela ne sent pas, je pense qu’il n’arrive pas à éjaculer. 
NDLR : le stress normal de l’incarcération. Certains ne bandent plus pendant des mois !
Un autre de mes copains détenu astiquait coquette à chaque fois que j’étais en promenade ou à l’infirmerie. Et je sortais deux fois par jour. Lui, sentait fort. Deux fois par… Mon Dieu !

Connaissait-il les effets désodorisants du souffre de l’allumette ?
Nous disons qu’une petite allumette, telle une bougie de bienvenue doit toujours accueillir les retours-promenade.

Bon, Carmen, quand tu auras fini de raconter toutes ces cochonneries qui ne nous concernent pas, tu nous feras plaisir. On n’est pas obligé d’entendre toutes ces divagations. Pierre est-il au courant ? Il grondera, je le sais.

Le titre Qui a tué mon Dieu est de Rolando. A part cela, tout va bien. Même moi. Il me reste deux mois à me farcir.

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