samedi 15 octobre 2016

La balle est au prisonnier

Les juges usent trop souvent de la privation de liberté avec une moyenne des peines de 9 mois ferme. C'est long. A leur sortie, tous les détenus seront réinsérés, normal puisqu'il réintègrent la société. Dans quel état ? Pas le problème des juges alors, les plus fragiles, les plus fous et les plus pauvres seront remis dans le circuit bien clochardisés, la Justice leur ayant tout pris.
Bien réinsérés, certes car un clochard sera rarement un voleur qui a besoin de votre obole et ne peut donner un coup de pied à sa gamelle, encore moins un receleur, déjà qu'il ne sait où planquer ses propres affaires dans la journée. Par contre, il pourra tuer son copain de la cloche pour une bouteille de vin. Et, hop : en prison définitivement, la société enfin débarrassée de son ordure. On parle donc bien ici de réinsertion parfaitement réussie. Par Justice interposée.

Et de la privation de liberté ? En prison personne n'en parle et, comme ce vieux lion pouilleux du Cirque Médrano il se demandera toujours pour quelle raison on aura mis tous ses visiteurs de la Cour B de la Maison d'arrêt de Nîmes derrière les barreaux alors qu'il se sent libre derrière les siens. Cocasse ? Non, parce qu'une seule chose importe au lion : une bonne nourriture apportés à heures fixes. Tout comme le détenu, il n'a pas à chercher sa pitance dans un monde de libertés qu'il appréhenderait après trop de mois de détention.

- Fanny, les juges m'avaient privé de liberté totale, et pourtant mon incarcération n'a réduit que mes mouvements. Pas cette liberté de m'imposer, me confronter, m'exprimer. Et même, l'adversité renforçait mon humanité ayant été pas si mal élevé par ma mère Fatima et la Mission Rolland dans les valeurs de la République française. Je ne sais mieux dire, mais tu me comprends.

Fanny, les mains posées sur mes épaules, lisant à cet instant ce que j'écrivais sur ma Bébête, tout en me faisant un petit bison dans le cou :

- Chéri, Américo a encore raison. Comme Madame Irma, la voyante qui arrive à tomber juste à force de sortir n'importe quoi tout en corrigeant son tir par les réactions de ses clients, toi aussi... Mais je t'aime ainsi, et même ton lion, ta cage, tes visiteurs, je les aime parce que la liberté se trouve toujours du côté où l'on se place, le bon de préférence, celui de la justice. Et que toi, tu sais toujours te placer humainement.
- Vois-tu, enfermé je me sentais plus libre que les gardiens, eux qui vivaient mal d'être en prison. Notre différence tenait à ce que je pouvait agir sur ma vie, ne serait-ce qu'en chérissant ma liberté, et ainsi je possédais toutes les clefs du bonheur pour m'extraire de la prison par le rêve... Pas vrai ?

Un bien bel été, le premier sans mes repères. Etais-je malheureux ? Non car je ne perdais pas mon temps : j'aimais découvrir ce nouveau monde qu'en tant que spécialiste de la relation j'aurais dû appréhender bien avant pour pouvoir apporter des réponses mieux adaptées dans mon travail.
Et puis, en prison j'écrivais librement mes pensées intimes, pas si secrètes que cela car je savais que, dès le dos tourné, mes premiers lecteurs clandestins, mes codétenus les avaient découvertes. J'écrivais donc pour eux et pour mes amis de l'extérieur. Et aussi et surtout pour les surveillants et l'administration qui s'en régalaient. On me l'a souvent dit.
Je me sentais dans la peau d'un écrivain et, plus que des lecteurs, je me faisais des copains aussi libre que moi car, si j'écrivais, ils me lisaient en toute liberté, cette liberté inaliénable de prendre le droit de fouiller en cachette les affaires de ses partenaires de prison.
Pour ma part, je jure sur mes grands dieux que, jamais, au grand jamais je ne me suis laissé aller à de tels agissements si humains, mon imagination palliant ma curiosité. 


En prison, je me sentais à l'aise dans ma tête quand bien même la privation de liberté se ressent toujours comme une immense peine car tout ce qui faisait ma vie me manquait, depuis Noémie, ma petite chienne, mon ordinateur, ma musique, mes trop nombreuses guitares électriques, des pelles pour certaines. Et mes amis, et Julie, et Marie, et ma sœur préférée, et mon beau-frère, et surtout Fanny
Curieusement, si beaucoup de choses me manquaient pour me sentir exister j'arrivais parfaitement à me passer de tout, sauf de paroles et d'amitiés. Et de mes partitions. Et d'un stylo pour noter mes pensées en écrivant pour moi et pour les autres et cela suffisait à mon bonheur d'homme libre. 

Pourtant, j'ai toujours aimé vivre simplement, en toute liberté prisant plus la solitude que le monde qui l'aliène. En prison, je me retrouvais donc dans mes marques et cela ne changeait rien à mon humeur et à mes capacités. Heureusement que mon environnement, mes sentiers cévenols familiers, les champignons, la rivière du Vigan, tout était dans ma tête. Sans oublier ma fidèle petite Panda et ce sentiment incroyable de liberté qu'elle m'offrait.

- Voilà, Fanny. La liberté pour moi c'est encore et surtout ma vieille voiture

Curieusement, je ne rappelle pas avoir rêvé mes nuits en prison, sauf de Fanny. Et de notre psychiatre, rassurez-vous, une femme et de ma belle geôlière nîmoise. Des crève-cœur ! Mais, d'elles, ce n'était qu'en rêve-éveillé. De doux rêves.

Derrière les barreaux, rien de ludique sauf la télévision jour et nuit et le Scrabble d'après déjeuner. Qui ne sait que sans la parole, et l'écriture l'homme ne peut que s'ennuyer ferme ? Seule activité, la promenade avec le deal de médicaments et la fumette d'un mauvais chichon, les deux tolérés. Plus un téléphone extérieur, mais faut y être autorisé et attendre son tour. Et pas de téléphone portable dans mes différentes cellules. Dommage.
En promenade, nous nous sentions libres dans nos lentes déambulations propices à partager des "secrets" avec toujours les mêmes détenus, une marche alternée par des repos le cul par terre, votre Brassens ayant réclamé en vain des bancs. Normal : nous pouvions choisir de nous asseoir par terre ou de rester debout mais nous demeurions parfaitement libres de nous en moquer tant cet été fut ensoleillé.
N'avoir rien libère l'âme et vous rend philosophe humoriste. Les plus atteints finissaient ermites et, proches de Dieu négligeaient leur hygiène avec cette odeur de sainteté caractéristique, danger à long terme pour la santé mentale.

Des promenades toujours organisées par petits groupes de copains de cellule qui font bloc et ne se mélangent que rarement, comme à contrôler réciproquement leurs propos. 
Que je vous présente les seuls trois à courir, chacun à son allure : le jeune Washington, le plus rapide, pour s'entraîner, un autre américain, le plus lent, pour éviter de communiquer et moi le dératé, ce coureur de fond pieds-nus sur le macadam débarrassé du pied de tous gravillons, les chaussures fournies par l'Administration s'abrasant tellement vite qu'on se demandait dans quelle partie de la Chine la France pouvait bien se fournir. 
Ajoutons la douche froide au fond de la cour à prendre en slip avant que les gardiens ne vous coupent l'eau sans prévenir. Plus une barre fixe. Et la parlote. Et quelques parties de belote ou de 8 Américain. Ou de dames sur des damiers fabriqués à l'atelier de maintenance.
Curieusement, encore et toujours aucun surveillant en vue. Mais, à quoi jouent-ils ? 

Une jour, un gardien nous a lancé une ba-balle pour la cour A. On a pu jouer à la passe durant quelques minutes jusqu'à ce que les Animaux du B nous jalousassent méchamment. Salah, cet abruti fini, par peur des grands singes catapulta ce ballon par dessus les grilles. 
Nous étions catastrophés. Je sais que "catastrophés" ne se dit pas, mais nous l'étions réellement. Du côté de la ménagerie du B, tous les Zidane... non pas lui, tous les Benzéma et autres Nashri se démenèrent à dribbler, à gueuler. Des fous ! Problème il y avait en oubliant les barbelés coupants comme des rasoirs.
Leur plaisir animal ne dura que l'espace d'un instant à cause du lob trop haut d'un maladroit piqué au jeu. Notre ballon rencontra les barbelés pour y rester prisonnier. Et, bêtement hors de portée. Un ballon prisonnier, comme nous. Pas croyable ! Nous avions perdu notre ba-balle, ils avaient crevé la leur, ils firent la gueule, nous appréciâmes. Réellement. Quels cons, mais quels cons !

Depuis toujours, les petits animaux on joué. Mais, les grands savent que le jeu s'arrête lorsqu'il faut assurer sa pitance. Impérativement, car la survie ne supporte pas le jeu. En prison, des lascars de plus de 25 ans avaient régressé au stade du petit bourricot. Que je vous raconte !
Comme j’étais pratiquement le seul à courir toujours dans le sens inverse des aiguilles de la montre comme tout être valablement constitué le ferait, je servais de cible mouvante aux Animaux du 3ème encagés dans la cour B, l’amusement consistant à me lancer de gros galets, ce lest des colis envoyés par delà les murs et bien capables de tuer un bœuf assortis de bouteilles en plastique de 1,5 litre pleines d’eau qui, lorsque vous n’avez pu les éviter vous occasionnaient un bleu énorme. Heureusement que le plus souvent tout ces projectiles finissaient leur course sur les tôles du petit auvent central en roulant  dans un bruit de tonnerre ou sur la cour, les bouteilles, elles éclatant dans une gerbe d'eau fusante. 

Une bouteille pleine d'eau frappa douloureusement mon mollet m'arrêtant dans ma course ce qui mit une ambiance du tonnerre dans la cour B. Applaudissements pour l’heureux tireur qui salua bien bas son public. Ceux du A s'éloignaient de moi pour ne pas servir de cible et m'en voulaient de devoir éviter les projectiles. 
Certains du B bissèrent et les bouteilles tombaient en pluie drue. Faut dire que nos gaillards, bien nourris et s’ennuyant à ne rien faire de leurs journées et de leurs nuits accros à la télé et au shit avaient besoin d’exercice. On peut le dire ?
Résultat ? Un bleu énorme et une belle claudication basse. Et je m'en voulais de n'avoir pas vu venir cette bombe d'eau. Et tout honteux d'être la risée de tous ces abrutis qui se moquaient de moi.

Passons sur cette petite blessure d'amour propre et considérons l'affaire au niveau du sport de haut niveau : aux jeux olympiques des prisons, mes salopards, ces empêcheurs de tourner en rond rafleraient toutes les médailles. J'imaginais le drapeau tricolore hissé le premier au mât d'honneur, suivi de deux autres et trois "arabes français" chantant la Marseillaise, fiers de leur hymne national. Et, ceci étant un anachronisme, rassurez-vous avec le Benzéma dans les tribunes les accompagnant en s'époumonant après avoir craché par terre en tout signe de respect dû à la patrie.

Cette image d'un Benzéma, enfin réconcilié avec la mère patrie me plaisait et me poussait à persévérer à servir de cible mobile tout en gardant l’œil, et le bon pour corser leur entraînement en repérant les tireurs qui se relayaient ou qui, vicieusement balançaient leurs envois conjointement, ce qui était formellement interdit par le règlement olympique.
Le plus difficile consistait à prévoir le moment du tir, la trajectoire et l'impact pour éviter de me faire défoncer le crâne par un galet, tout en courant, une gageure que je ne vous raconte pas surtout que des tricheurs cachaient cet engin derrière le dos avant que de distribuer judicieusement leur envoi. Sur moi.

Les gardiens supputant mes chances et comptant sur cette veine de cocu qui m'avait mené droit en prison, confiants en ma perspicacité, mon agilité et la maladresse des sélectionnés de l'équipe de France laissaient le jeu se poursuivre. Même la statistique les confortait. Mais, pour ce coup-là, ils avaient tout faux, quoique un coup au but sur vingt ou trente dans l'après midi, n'était-ce pas négligeable que tout cela ?

Je rappelle ici, aux surveillants que ce jeu risquait de mal finir. La passivité du mirador et des caméras excitait ma curiosité. Pendant quatre mois, je regardais dans leur direction pour savoir si on s'intéressait à ces bouteilles et ces galets qui me rataient de peu à chaque fois. Je leur faisais même des signes en écartant les bras du corps pour leur demander ce qu'il pouvaient bien branler la haut. De fausses caméras nous faisaient-elles croire que nous étions en sécurité ? Soit, mais à quoi bon pouvait bien servir le surveillant du mirador qu'on n'apercevait même pas mais qui devait bien y être posté ? A lire les périodiques cochons qu'il m'empruntait, et ceux de la salle de garde à taper le carton accompagné d'une bonne mousse, une Kro de préférence, la boisson du légionnaire ? 

Les gardiens ne servait-ils qu'à nous fouiller, nous faire entrer et sortir de promenade ? Certainement car ils ont toujours laissé faire, sauf une seule fois sans doute parce que tant que la prison s'amusait, elle ne risquait pas d'autre tumulte. Et puis, la cible se plaignait-elle ? Non. Et si le joueur qui sert de lièvre trouve la chasse amusante, à quoi bon la faire cesser, et n'avait-il pas cherché son coup de fusil ? Enfin, comme disait si bien ma mère Fatima :

-Gilino, tant qu'on ne te les coupe pas, mon fils ce n'est pas grave. (En bon français, pour une fois dans le texte).

T'as raison, maman, j'avais toujours le z'boub et ses clochettes bien chevillés au corps, tu peux me croire. Et, à rester un homme entier... 

Joueurs acharnés dans le jeu de société du galet et de la bouteille, nos Animaux mettaient une de ces ambiance festive que je ne vous raconte pas. La prison en fête, hors d'émeutes d'été. Et nos gardiens qui suivaient, de leur mirador ou de la salle de contrôle vidéo ces joutes bon enfant à sens unique devaient sans doute rapporter au débriefing du soir au directeur, aux cadres de la prison et même au procureur... pardon, pas à ceux-là puisqu'ils se trouvaient aux sports d'été à Palavas-les-Flots, à la mer puis en boîte de nuit, donc à l'officier resté seul de permanence pour les quatre étages que, pour le bien-être de tous et de la prison le laisser-faire évitait tout laisser-aller. Toutefois, certains gardiens compatissaient :

- Patrice, voulez-vous que j'intervienne ? 
- Non. Au Capitaine de bouger. Après ses vacances à la mer. Il n'y a pas mort d'homme, alors, rien à battre et que chacun se démerde. Normal, et on peut comprendre.
- Mais non, mais non. Il ne s'en fout pas, Patrice !
- A chacun son lot : aux animaux leur bouc-émissaire, au capitaine ses vacances, à la prison la tranquillité et à moi, votre abruti de serviteur, la bouteille servie bien fraîche, service compris.
- Ne soyez pas parano, Patrice !

Bi-polaire, parano... Tiens, en parlant du Capitaine que nous ne voyions pratiquement jamais mais qui ne me démentira pas... Donc, voilà qu'un jour qu'il inspectait la cour A alors que les détenus sortaient de promenade, moi-même étant toujours à la traîne, je lui fis remarquer les barbelés enguirlandés de yoyo et que, s'il me payais je voulais bien nettoyer tout ce noir. Bien évidemment, il me fournirait une échelle... non, non, mon Capitaine, pas pour m'évader. Continuant à l'entretenir, je filais un grand coup de pied à cette bombe d'eau qui avait fait long feu. Direct dans la grille. Boum !

- Ramassez-moi votre bouteille, Patrice.
- Ce n'est pas ma bouteille, Mon Capitaine.
- Ramassez-là quand même ! Eh, bien dis donc. Quel ton ! 
- Je veux bien si vous m'aidez à enlever toutes les autres bouteilles abandonnées dans la cour. Allez, Mon Capitaine, à deux on aura vite fini. 

Ayant refusé ma proposition citoyenne, ce qui me chagrina j'ignorais la bouteille en ne m'abaissant pas. Pas même à la ramasser, pas question et comme la fillette se trouvait du bon côté, cour A il n'y avait pas de risque que je la reçoive à nouveau. A moins que Sallah, à la demande des Animaux du B...

Voilà qu'après avoir pris cette bouteille pleine sur le mollet, un lieutenant me fit sortir de la cour et, à la salle de garde me demanda si je voulais porter plainte, ce que j’acceptais uniquement pour permettre que le jeu aille au bout. Ce lieutenant était une femme. Un des gardiens du 3ème étage, un de ceux des Animaux voulut me faire retirer ma plainte. Elle s’y opposa en lui rétorquant que l'heureux tireur et les autres pointeurs* du troisième prendraient du mitard ce qui ferait réfléchir la cour B sur le but du jeu qui consistait à m’éviter, car toucher n'est pas jouer.  Voilà, gardien, c'est dit !

- Et si vous voulez consulter la bande vidéo, libre à vous s'entêta ce petit lieutenant, une femme qui avait des couilles bien accrochées, elle au moins, pas comme un autre lieutenant de notre connaissance.
Dommage, pensais-je car la guerre cessera faute de combattant du 3ème. J’aurais dû réfléchir à deux fois avant que de porter plainte.

*Je vous disais bien qu'on trouvait aussi des pointeurs au troisième étage, celui des gros cochons.
 
Après cela, on évita de me lancer des projectiles, oh pendant seulement deux ou trois jours, rassurez-vous mais les petits mots d’amour se faisaient maintenant discrets, chuchotés :

- Passe dans le couloir et je te fais la peau, espèce d’enculé de pointeur.

Heureusement que le jeu reprit de plus belle, et ce fut un soulagement, surtout pour moi qui redevenait cet indien Pied-Noir qui évitait l'embuscade et, à bon chien de chasse, bon lièvre et bon chasseur. 

En Berbérie, savez-vous qu'on cultive un amour et une peur viscérale des chiens considérés comme impurs et nourris par tous les enfants à coups de pierres ? Habitués au bâton et au caillou, ces grands chiens jaunes, gardiens de la maison et des troupeaux, entretenus dans la crainte de l'homme ont développé un sens aigu pour éviter le plus possible les hommes. Devenus vicieux, ils ne se risqueront à l'attaque que par derrière pour vous mordre cruellement, puis par battre en retraite le plus vite et le plus loin possible.

En prison, j'étais devenu un de ces chiens berbères qu'on appréciait mais qu'il fallait apeurer avec des galets. Une bonne tradition berbère importée en France et qui se maintient dans nos prisons : attention car, si on me haïssait gratuitement, c'était en toute forme de respect dû à un vieux koufar (un mécréant), un grand chien jaune. Un impur.
Je me demanderai toujours si un ami sincère, gardien ou détenu n'aura pas laissé courir le bruit que j'étais au premier étage comme "pointeur", ce qui accentuait la haine.  
Mais, pourquoi ? Va savoir !

La loi du talion, celle de la vengeance préconise qu'à la violence réponde la violence. Bravo, mais il en restera toujours quelque chose à la sortie de prison. Faut croire que Dame Justice a de ces idées lumineuses. Et de bien bonnes !

mardi 11 octobre 2016

Le détenu deshumanisé

Pression... toute ! Prison... droit au mur ! "Chaque étés, nous risquons l'ébullition... Que pouvons-nous faire, si ce n'est prier sainte Rita ? (Un maton syndicaliste).

Tôt le matin d'un bel été, prison de Nîmes. Plus rien ne bouge, seul le silence. Choquant, inquiétant. Irréel ! Les cris, hurlements démentiels, insultes, grossièretés et tambourinements répétés et violents sur les portes d'une journée ordinaire attendent sagement le lever. J'ai relevé mon matelas du sol pour le glisser entre le mur et une armoire. Lentement, sans bruit. Par dessus nos barbelés, murs et bâtiments, le ciel à viré depuis longtemps du bleu-nuit sombre au pâle-rose du matin. Du premier, je m'étonne encore du macadam des deux cours toujours jonchées de papiers des jours d'avant, m'inquiétant surtout des bouteilles en plastique qui y traînent. Une pie se pose près du mur du fond, silencieuse, cherche sa nourriture. Sans penser à rien, je l'observe à travers le grillage de ma fenêtre. Une autre la rejoint en sautillant. Mes codétenus dorment encore. 

Une zone de non-droit tolérée. Un beau pastagas que cette maison d'arrêt, mais bien organisé pour que rien n'en trouble la tranquillité apparente. Mes deux colocataires se réveillent et se lèvent sans bruit. Salut ! Salut. Nous sommes un samedi. C'est l'heure. On entend le roulement feutré du chariot. Clac ! Clac ! Le gardien ouvre la porte, "Courrier ?" Il récupère nos lettres. Ralenti sur le couloir avec le surveillant et son aide près du chariot des petits déjeuners. Clac ! Clac ! La porte se referme sur nos rations de beurre, de lait et de café en poudre.  
Au lointain, sur le boulevard extérieur un moto folle rompt le silence de la cellule et moi je rêve à l'animation du marché hebdomadaire du Vigan, à la foule, à la terrasse des Cévennes, au Midi-Libre. Au pastis. Tiens, mon pastis ne me manque même pas.
Ici, rien ne bouge et la vie ne s'accélère jamais. En prison, tout est étale avec la marée toujours basse. Rien ne viendra ce jour. Ni jamais. Pas de douche. Les détenus n'attendent rien jusqu'à lundi, sauf la popote et que ce samedi ne s'éternise pas trop.
Et le dimanche sera pareil avec encore rien à faire et on sait qu'au lundi, de la Justice rien ne viendra, ce qui nous surprendra, comme toujours. 

Instructions, convocations, audiences pour le tribunal, mais pour quand ? On s'énerve. On ne sait plus. On craint. De petits groupes d'amis s'isoleront en promenade pour  tourner en rond, toujours dans le même sens qui ne mène qu'à revenir à son point de départ. Et à recommencer sa marche lente en ressassant ses problèmes. On s'inquiète, on suppose, on scénarise l'audience attendue mais on ne sera pas prêt. Jamais. On le sait. Des dossiers manquent. L'avocat ne répond pas. Difficile de préparer sa défense dans ces conditions. On sait que ce combat perdu d'avance sera violent mais on espère tomber sur un juge intelligent, humain si ce n'est pas trop demander. On verra à la rentrée de septembre que l'on redoute un peu plus tous les jours. Curiosité dans les discussions de promenade :

- Je dois voir mon juge.

Mon juge ! Je t'en foutrai ! Pourquoi pas mon papa ?

La prison, un espace de violences tolérées. Que les services aux détenus se trouvent réduits en été, passe encore. Une prison bondée serait-elle cause de tous désordres, d'émeutes ? La belle affaire car on pourrait, sans risque la surcharger de pauvres, de paumés mieux nourris en prison que chez eux, reconnaissons-le mais ces pauvres acceptant tout en mangeant leur pain blanc avec une mauvaise dentition pourraient causer bien du souci sauf que le ventre plein n'incite pas à la révolution. 
Et mon bridge qui venait de se briser. La poisse. De la super-glu ? Je n'en possédais pas. J'attendrai patiemment mon tour après les vacances. 400 détenus, un dentiste en congés ? On s'y fait. 

En prison ? On y devient fataliste : toute démarche en été est inutile. On peut toujours réclamer mais rien n'arrivera jamais. C'est ainsi. Apprendre à ne rien espérer suffit à sa peine et tant que nous pourrons manger correctement notre pain blanc sans nous casser une autre dent, pourquoi mettre le feu à la prison ? Et faut bien se tenir pour ne pas retarder sa sortie.
Le service psi d'été tourne au ralenti et ne peut plus répondre à la demande ce qui ne devrait gêner que les juges qui réclament un suivi ou un rapport psychiatrique mais qui ne met en transe que les détenus. Pas de rapport ? On renvoie l'audience, tant pis.

Le pire de la prison on le rencontrait au service de santé, par ailleurs souvent excellent si ce n'est qu'il ne me donnera jamais les résultats d'une analyse de PSA alors que j'avais un cancer de la prostate développé. Lorsque je l'ai réclamé à ma sortie, toujours pas de réponse. Le procureur à qui je m'en étais inquiété, n'y voyant aucun mal à cela refusera ma plainte en me demandant de me mettre en rapport avec la prison, comme si il n'y avait pas un manquement grave condamnable par la Justice. Pourquoi ne pas se saisir lui-même, la loi l'y obligeait ?

- Je vous suggère de vous rapprocher de Monsieur le Directeur de la Prison !

Monsieur le Procureur, je regretterai toujours de n'avoir pas été ce père qui vous aurait appris le respect de la loi, des personnes âgées et à venir visiter les détenus pour les défendre au besoin. Mais, je n'ai jamais entendu parler d'une de vos visites en quatre mois de détention. Et cela est une violence que vous faisiez aux détenus.  

Passons sur ces manquements à la loi et à la déontologie médicale et judiciaire et revenons à ce qui est tout aussi inacceptable en prison, la façon de quelques surveillants de s'adresser aux détenus en peu de mots qui me mettait dans une de ces colères. Que je sache, dans leurs jugements, les juges n'ont jamais accordé à l'Administration pénitentiaire le droit de nous traiter comme des bambins de la maternelle ou des chiens.

- Patrice, au piquet ! Patrice, à l'infirmerie ! Médor, au pied 

Le pire, dans l'indignité de l'été revient au surveillant remplaçant le préposé à l'infirmerie, un mal-aimable, un rouleur des mécaniques d'une grossièreté maladive bien installée, un incompétent notoire qui mettait en rage tous les patients. Fier comme l'étaient les soldats allemands de 40 dans leur uniforme mais qui, eux au moins savaient rester "Korrects". En faisant leurs saloperies, quand même. Lui n'était pas en reste.
Nous avions hérité d'un gardien grande gueule qui se savait bien protégé par les murs de la prison, un lâche qui déshonorait toute sa corporation à insulter les détenus qui n'osaient lui répondre. Et moi qui rêvais de rencontrer cet animal dans une rue du Cœur de Ville à Nîmes pour lui apprendre la politesse.

Ce maton insignifiant se vantait d'avoir une licence en psychologie. Il est vrai que le bel oiseau avait un don : celui de me mettre en rogne lorsque je devais consulter pendant ma grève de la faim. En ouvrant la cage d'attente :

- Patrice ! On se dépêche !
- Non. On dit :"Monsieur Patrice, c'est à vous". J'ai 67 ans et je vous donne du Monsieur. Continuez, et je vous donnerai du "maton". Cela vous irait-il ?
- Patrice, allez !
- Non ! Monsieur Patrice.
- Patrice !
- Monsieur Patrice...  
- Patrice ! 

Et ça pouvait durer jusqu'à ce que j'entre à l'infirmerie.
Cette ignoble petitesse cherchait toujours à me pousser dans le dos. Je faisais tout pour éviter son contact, exigeant qu'elle ne pose pas ses mains sur moi et, à chaque fois que j'avais à subir cette insignifiance, d'un gentil sourire je la saluais correctement :

- Bonjour, maton ! Pas trop rêvé de moi ?

Vingt matons comme cet oiseau-là, et la Maison d'arrêt de Nîmes entrait en ébulition. Sûr.

Le week-end et jours fériés, plus aucun gardien ne pourra s'occuper de vous. Et, ça c'est violent. On se croirait entre les morts du cimetière. On s'ennuie plus qu'en semaine. Pas de courrier, les repas du samedis soir et du dimanche toujours froids avec des plats parfois inversés entre le midi et le soir. Une salade dure comme du bois, trop sèche, trop essorée. Pas de cochon mais du saucisson hallal. Seule douche le samedi pour les parloirs. 
Et encore et toujours du "Patrice" et pas de "Monsieur" dans le langage des surveillants.

Le dimanche matin, messe pour les détenus qui le souhaitent. Mais faut s'y inscrire, comme pour tout. Pas de vin pour communier sous les deux espèces, ce que je réclamerai un jour sans aucun résultat, vous pouvez vous en douter car ici, la république laïque fait des différences entre les religions avec hallal pour tous. Je suis protestant, rappelez-vous et j'avais déjà protesté contre le saucisson hallal et réclamé le vin de la communion dominicale. Autant pisser dans un violon pour le faire chanter. Personne ne vous répond, l'Administration montrant ainsi son pouvoir de nuisance par la non-réponse en toute forme de silence respectueux. Une façon d'appliquer le Code de déontologie : pas de relation personnelle avec les détenus.
Parfois les cours respectives sont inversées et on ne sait pourquoi. Sans doute pour que les Animaux du 3ème étage puissent recevoir directement dans la cour A les colis de shit, les téléphones et la viande hallal catapultés par dessus les murs aux heures prévues par certains détenus. Y aurait-il des complicités chez les gardiens ?
Mais, non, Monsieur le Garde des Sceaux : je plaisantais, que je vous rassure !

Encore et toujours pas de réponses. C'est gonflant... mais, on peut comprendre qu'à s'abaisser pour entendre les détenus, on ne veut pas risquer un pied au cul.
J'avais demandé à pouvoir alphabétiser, donner des cours, faire l'écrivain public. Réponse ? Aucune.
La prison possède bien un service scolaire lié à l'éducation nationale suffisant, à ce qu'on dit. Foutaises que tout cela car encore faudrait-il faire émerger la demande des détenus en difficulté scolaire, et ils sont légion. Foutaises encore car on ne s'occupe pas de la scolarité des préventives et des courtes peines. Foutaises toujours car, pour pallier aux besoins cela nécessiterait un service scolaire extrêmement étoffé et structuré qui s'appuierait sur les détenus lettrés. Foutaises enfin car la prison est un grand foutoir avec trop d'entrants et peu de sortants, sans compter la surcharge des cellules. On se demande encore comment les gardiens arrivent à gérer toute cette population fluctuante.  
Donc aucun suivi des trajectoires individuelles, aucune aide. Un beau gâchis !
Maigre consolation car existe un journal de prison bien conçu mais qui ne concerne que peu de détenus et que les plus cultivés.

Les accrochages avec les chefs. J'avais fêté mes 67 ans en prison et, comme vous pouvez vous en douter, un bon détenu est un détenu tranquille. Donc, un jour, en descendant pour la promenade je chantais gaiement... tiens, comme c'est curieux, c'était du Ray Charles : Unchain my hart. Je me sentais joyeux, réellement et sans malice aucune, vous me connaissez bien. Et j'étais tranquille, un modèle de détenu.
Gai, mais pas pour longtemps car mon vilain lieutenant qui ne gagne surtout pas à être cité, l'admirateur de Spiman, son héros alors que je passais mezzo-voce au deuxième couplet ("Unchain my hart, Baby let me free ), mon lieutenant y aurait vu, à ce qu'il m'a semblé après coup une allusion homosexuelle le concernant et, me bloquant par le colback en me prenant ma "carte d'identité de détenu" hurla pour être entendu de tous :

- Patrice, vous êtes content d'être en prison, ça vous fait chanter ?
- Non, monsieur. Je suis naturellement heureux. C'est comme ça. Et lâchez-moi !
- Attendez que je vous monte au troisième. On verra si vous chanterez toujours. Et je vous lâche si je veux !
- Je vous interdis de me toucher. Maintenant, vous me lâchez ! Tout de suite ! Merde !

J'étais furieux contre cet "offizier" qui me malmenait en me bousculant et en me menaçant. Ce moins que rien, et je le pense encore aujourd'hui qui permettait à un détenu de me cracher dessus sans intervenir, ferait-il encore à ce jour autant honneur à son uniforme et à l'humanité, ce type grassement payé par la République ? Je subodore que monsieur le petit officier, syndicaliste sans nul doute avait signé des deux mains, mais comme un pied ce fameux Code de déontologie qui le dépassera toujours.
A part de prendre du galon, on ne sais toujours pas à quoi on pourrait l'utiliser, n'est-ce pas, Mon Capitaine ? A part de gueuler, dites, Mon Capitaine ! 

Voilà la prison : tu n'existes plus comme citoyen. On est mal poli avec toi, tu vis dans l'évitement et la méfiance mais, si tu es faible, on t'agresse. Tu fais semblant pour tout, et tu la fermes. C'est mieux. Mais la colère bout en toi en permanence si tu ne sais pas faire preuve d'humour et d'auto-dérision.
Il faut quand même ne pas trop pousser les affrontement car un lieutenant de la pénitentiaire, omnipotent, bel homme au demeurant peut vouloir te faire péter les plombs pour te filer un rapport et t'occasionner quinze jours de mitard pour convenance personnelle et t'apprendre à filer doux devant "l'autorité", tel ce gorille gris-argenté qui reçoit l'hommage des gorilles subalternes qui lui présentent aimablement leur arrière-train.

Les seules formes extérieures du respect, en prison. Si, dans la cour B des Animaux les seconds couteaux montraient leurs muscles par trois ou quatre tractions à la barre fixe, les hommes respectables ne s'abaissaient pas à froisser leurs tenues dernier cri. Ils ne faisaient que déambuler lentement, écoutaient, s'arrêtaient entourés de leurs admirateurs, expliquaient doucement, lentement avec peu de gestes comme seuls savent le faire les hommes qui se veulent être respectables.

Contrairement à ce que voudrait croire ce  gardien syndicaliste qui prie Sainte Rita, je ne vois pas dans l'été le  moteur premier de possibles émeutes, mais dans ce comportement "humain", "déontologique" que l'administration leur demande de tenir avec les détenus et qui n'a que l'apparence du respect de la dignité du détenu, quantité humaine et sociale négligeable.

-Patrice, à l'infirmerie. Patrice, du courrier. Patrice, au greffe. Patrice grouillez-vous.
 
Ne respectez pas la personne et elle vous le rendra bien.
Pour notre part, considérant que la politesse, début du respect de soi et des autres permettrait, à elle seule la convivialité en remettant chaque détenu dans son humanité et sa citoyenneté honorable, nous avions convenu qu'au début de chaque promenade, avant que de se tutoyer républicainement l'on daignât se saluer d'un royal et bien civil :

- Bonjour, Monsieur. Comment allez-vous ?
- Très bien, Monsieur. Et, vous même ?
- Au fait, ton juge, tu l'as vu ? Non ?

Et nul ne pouvait déroger à cette règle de politesse qui, je le pressentais énerva plus le lieutenant que mon gai refrain. 
 

-Bitte schön, mein Oberleutnant... "baby let me free"
-Was ? Ein Fluchtversuch ?

jeudi 6 octobre 2016

La prison ? Bof, à éviter !

- Tu ne devrais pas dire que tu as été en prison. Tu passes pour un con !
- Exact. On peut dire ainsi mais toi, mon pote ne te vantes plus de tes relations qui te l'on évitée ! L'ami, tu m'insultes ! 

Voilà, c'est dit. Quelques chiffres : 70.000 détenus. Durée moyenne en détention 8 mois. En 30 ans, 2.800.000 citoyens français auraient écopé d'une peine de prison.
Autre conclusion, en prenant un an de prison ferme, cela signifiait que le juge me considérais comme particulièrement dangereux. Le substitut qui réclamait deux ans me trouvait extrêmement dangereux, entre vol à main armée et terrorisme. Les juges de l'appel, avec 4 mois estimaient que le premier juge s'était trompé mais que j'étais plus dangereux qu'un chauffard de bonne famille qui aurait tué toute une famille avec sa Ferrari. 

Regardez autour de vous, dans votre entourage, dans votre quartier tous ces dangereux emmerdeurs qui, eux ne risquent rien... Quant au taux de récidive, plus que négligeable, il tendrait à prouver que la détention serait d'utilité publique. Enfin, si on le pense, moi ce que j'en dis...
 
Ici, nous ne parlerons que de l'intérieur de la prison, une société qui possède sa propre prison : le cachot affectueusement appelé le mitard. Certains rêvent même d'un mitard des mitards. Aberration des aberrations ? Non, ça existerait : l'isolement.
En prison, vous y rencontrerez la seule personne en qui vous devrez vous fier entièrement : vous-même et vous avez intérêt à ne pas vous tromper dans vos "allants".

En ces lieux protégés de tous jugements, seul le temps s'allonge et tout le reste se réduit : une cour de 400 mètres carrés à ciel ouvert, deux heures par jour avec une dizaine de copains sur la vingtaine de détenus dans votre cour de promenade, le reste du temps vous occuperez une cellule de 9 mètres carrés conçue pour claustrophobes, asociaux, débiles et fous avec un ou deux codétenus pour seule compagnie 22 à 23 heures par jour.
Pour vous amuser, vous aurez deux heures à côtoyer les Animaux cracheurs, hurleurs du troisième étage de la ménagerie du zoo de la cour B, heureusement dans leur cage plus un directeur du cirque invisible, un capitaine peu disponible, des lieutenants et des surveillants. Et les services de santé. 

Il faudra déplaire ni au gardien ni au détenu car il leur suffirait de faire courir le bruit que vous êtes au premier étage, celui des "à protéger", les "pointeurs" et rien ne pourra arrêter la vindicte des autres détenus.
On apprend vite à respecter le gardien maître absolu du jeu ainsi que ses codétenus qui pourraient vous pourrir la vie. Tous contrôlent tout votre temps, perturbent votre intimité et pourtant, certains qui vous semblaient bizarre au début pourraient devenir des amis sincères et en peu de temps. Rappelez-vous : nous sommes tous un peu étranges en ces lieux, des détenus aux surveillants.

Votre cellule pourrait bien hériter d'un malade mental trop atteint, la Justice vous condamnant ainsi à la double peine. Dans ce cas, il vous faudra vous montrer attentif aux prises et au deal de médicaments ou gare à vous, surtout le week-end.

- J'ai oublié d'aller à l'infirmerie. Je peux pas attendre lundi.
- Un tranquillisant, ça t'irait ? Je vais demander au service des repas de te dépanner. 

En prison, point de demi-teinte : ici tout est extraordinaire car votre vie est anormale et, comme à l'armée on peut se respecter entre détenus et gardiens et j'appréciais les excuses de l'un d'entre-eux désolé d'avoir oublié de laisser téléphoner un de mes codétenus un soir à sa famille. Reconnaissons que la plupart des surveillants sont attentifs et prévenants malgré la servitude difficile. Et gentils.

- Vous n'allez pas sortir en promenade en pyjamas. Enfin, regardez-vous ! Et puis, vous devriez vous raser.
- Mais, madame, c'est un pantalon. La preuve, il a des poches.  

La gardienne avait raison. Un clown. Je ressemblait à un clown avec ce pantalon de toile légère marron-caca trop grand pour moi mais qui avait l'avantage de sécher dans la nuit, vous comprenez ? Avant d'aller en promenade, je me trouvais moche et m'étais bien tiré la langue dans la glace mais ça n'y suffisait.  
Pour le rasage, je ferai un effort. Promis, et j'étais aux ordre de la dame !

Beaucoup de gardiens font montre de gentillesse et d'humour. Un jour, revenant de promenade :

- Patrice, vous aller nous faire mourir... Je croyais qu'il se moquait de moi. Non, mais !
- C'est plutôt vous qui allez me faire mourir en cellule.
- Mais, non ! Mourir de rire. Votre lettre d'hier pour acheter de l'eau de Cologne pour boire de l'alcool en cellule, et celle quand le directeur n'a pas répondu à votre demande d'un ventilateur pour, à défaut obtenir un thermomètre cassé bloqué sur 25 degrés pour vous rafraîchir. Ça, ce sont des lettres ! Où trouvez-vous vos idées ?

Des requêtes, j'en avais transmises des loufoques à l'administration ou à l'aumônier, et toutes plus croquignolettes les unes que les autres, faut bien rigoler, quoi ! Et mes copains de détention qui me demandaient, parfois de les aider dans leur courrier suivaient avec bonheur le cours de mes conneries épistolaires. Les gardiens aussi et, comme j'écrivais en lettres ouvertes à Madame Taubira, Ministre de la Justice, au Directeur de la Maison d'arrêt, aux procureurs et à l'aumônier, qui n'était pas le dernier à priser mes amusements, imaginez la rigolade. Pour ce qui est des officiers, je n'ai pas eu de retour mais je crois qu'ils n'appréciaient pas, surtout un certain lieutenant. Pas vrai, mon Capitaine ?

En prison, tous se disent victimes mais, jusqu'à la fin de sa peine le seul souci qui tiendra éveillé le détenu ne sera pas de savoir pourquoi mais comment il aura pu être aussi bête pour s'être fait coincer si connement. Et pourquoi pas, vu qu'en prison, tous se foutent de la réinsertion et n'espèrent qu'une chose : sortir très rapidement de cet asile d'aliénés, de cette parenthèse à votre vie.
Victimes aussi, non par la privation de liberté, on s'y fait mais par ce malaise permanent lié à la privation d'intimité, au fait qu'on ne peut jamais s'isoler en s'extrayant du regard de l'autre, de ses discours, du bruit permanent de la télé ou des vociférations. Pas moyen de se ressourcer, d'espérer. Et très difficile d'imposer des moments de silence. Pour ma part, j'avais obtenu que, dès quatre heure du matin jusqu'au lever la cellule soit dans un silence total.

Par ailleurs, la prison est conçue à seule fin de vous désarçonner pour casser toute amitié ou tentative d'organisation. Déboussoler pour contrôler en vue de contraindre à la docilité car, seule la tranquillité de la prison importe. Aussi, vous saisissez d'emblée tout l'intérêt à vous poser comme individu valable pour l'ensemble des membres de la cellule et des gardiens en apportant votre savoir faire, votre intelligence mais surtout en vous montrant sociable, discret, sans aucune dangerosité pour l'autre et pourtant il vous faudra vous efforcer de faire montre de caractère, de charisme et c'est pourquoi j'avais fait une grève de la faim de 17 jours. 
Votre atout ultime, votre seule force sera de rester discret en faisant respecter votre intimité par tous. 

Ne croyez surtout pas que la prison ne sera qu'une parenthèse dans votre vie. Vous n'en parlerez jamais comme ces femmes qui ont été violentées et qui se disent que c'est de leur faute. 
Si sous portez plainte contre vos conditions d'incarcération, le Procureur vous rassurera : les délais sont dépassés. Violés en bien baisés par la Justice.

dimanche 2 octobre 2016

Justice : nouvelles frontières.

En prison, nul ne se vante de ses crimes ou délits ignobles : je n'ai connu aucun violeur, ni home-jacker, ni assassins sauf ceux qui ne pouvaient le nier. Serait-ce le début d'une prise de conscience du détenu ? Pas si sûr !
Un seul arrivant, Gérard, un grand balèze, un homme des bois aux yeux inquiets de parano-schizophrène complètement shooté d'alcool, de médicaments et de drogues dures se glorifiait d'avoir commis un crime de sang, une autre loque nous rejoignait.

- Montre ton papier d'incarcération. Peut-être que tu es un pointeur ? Moi, j'ai tué un salopard.

Sauf que le salopard était son copain de boisson et de drogue avec qui il vivait dans leur caravane placée dans les bois, qu'ils s'étaient pris la tête pour une bêtise pour aussitôt se réconcilier. Continuant à s'arsouiller en bons camarades, ce même Gérard exigeant quand même des excuses qui, ne venant pas aurait plongé un Opinel dans la gorge de l'autre sans l'estourbir avant comme l'aurait fait ma mère Fatima pour ses poules, s'était assis dessus pendant qu'il se vidait tranquillement de son sang puis l'aurait chrétiennement balancé dans un trou recouvert de branches pour le brûler en indien des bois qu'ils étaient mais, comme nous subissions un été de canicule et les feux étant interdits, il fallut attendre l'automne pour parachever l'affaire. Un crime parfait, ignoble mais parfait.

Sauf que, la fille du copain zigouillé par Gérard s'inquiéta en se rendit à la gendarmerie :

- Votre pote, vous l'avez vu quand ? Même pas le mois dernier... vous êtes certain ? Ah, bon !

Certain ! L'avait pas vu son pote de boisson, le Gérard, oh depuis belle lurette. Nos pandores, pas si bêtes, rassurez-vous sont revenus avec le chien qui a filé tout droit vers le trou. Et, voilà notre Gérard avec une inculpation de meurtre. Prémédité ? Ben, fallait voir, étudier les tenants et aboutissants et on avait le temps de l'instruction, rappelez-vous que nous étions en été.

Notre bon Gérard se retrouva dans ma nouvelle domiciliation, la 130 il me semble, la Peacemaker, une cellule à six lits dont on avait cassé le mur de deux cellules mitoyennes pour la rendre plus conviviale avec deux télévisions allumées à longueur de journée et de nuit sur deux programmes différents, deux frigos table-top pour bouffer de l'espace, et un seul chiotte pour gagner de la place et des détenus insomniaques qui ne sortaient jamais en promenade. Normal car, si tu t'absentes on te fouille ton armoire... et, comme tu ne sors pas, c'est que tu avais commis des horreurs mais, comme on était entre gens honables, ça ne risquait rien. 
Croyez-moi, tout un poème que cette turne propice à l'oisiveté et à vous rendre dingue pondue par un architecte d'intérieur plus dément que les détenus. L'enfer sur terre.

En promenade, notre Gégé faisait son dur en tentant de se faire ami avec les plus costauds sauf que, rien qu'à sa démarche et ses discours répétitifs on se rendait compte qu'il avait pris un choc au casque à force d'alcool et de drogues. Et de solitude. Heureusement que le Gérard put se sevrer et, celui qui faisait le fier, le matamore, le truand, l'initié, lorsque ses mains commencèrent à enfler et qu'il dut chausser des pantoufles grande taille et que ses yeux se firent plus normaux, la grande bestiole dangereuse s'effondra en réalisant ce qu'il avait fait et ce qu'il risquait. Cette loque finit par déserter les promenades comme tous ceux qui avaient commis des crimes ou autres délits ignobles.
Comment le jugera-ton si on ne l'a pas vu arriver en prison dans un tel état d'abrutissement ? Pour ma part, ses conditions de vie l'ont poussé vers la folie et rien ne l'en guérira. Gérard nécessiterait d'un enfermenent psychiatrique. Pas de la prison. 

Où commence et où finit la folie. Et du discernement ? On ne sait, car en prison on rencontre tant de gens "frappés", désespérés, tous "border-line".   
Le législateur cherche toujours à coller à l'évolution de la société et le juge à tenter de ramener la paix sociale. Ce qui était intolérable dans la France paysanne tels les trop nombreux incendies de fermes par vengeance était puni de la peine de mort. Les violences conjugales qui paraissaient peccadilles lorsque la famille unie était le socle même de la société, ces violences sont aujourd'hui lourdement sanctionnées. Pour le feu, on estime le mec aliéné et on l'enferme en asile. Surtout si c'est un ancien pompier.

La société évolue en fonction de ses niveaux de tolérance. Aujourd'hui, elle se fait particulièrement attentive aux violences qui défraient la chronique : affaires sexuelles, violence intra-conjugales, home et car-jackings, cambriolages assimilés à un "viol" de l'intimité, gros trafics de drogue, hold-up et vols avec violence et armes, vol de câbles de cuivre à la SNCF, terrorisme etc. Demain, ce sera autre chose.
De même que les juges commencent à se montrer particulièrement attentifs à la délinquance routière en plaçant en détention des chauffards, la loi leur permet de donner de lourdes peines de prison, aussi les procureurs ont trop tendance à faire plus confiance aux juges qu'aux jurés afin d'en obtenir toute la sévérité qu'ils requièrent. 

Beaucoup de détenus sont incarcérés pour des délits "sexuels" souvent commis dans les familles, qu'elles soit recomposées ou non. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le niveau de conscience ayant augmenté, la société ne tolère plus aucune violence, qu'elle soit sexuelle ou non et le législateur en voulant protéger à tout prix les catégories sociales ou d'âges par des lois trop coercitives dans un fourre-tout, ne fait que fragiliser les rapports humains et déliter la société. Il n'est qu'à voir l'état des écoles.

La prohibition de certaines drogues, tout en remplissant les prisons de petits consommateurs fait la fortune des mafias et des gros dealers en appauvrissant et en insécurisant l'Etat. L'alcool et le tabac, légalisé tuent plus que la route et certainement que les drogues. Tout fait ventre à la France par les taxes, même sur le sexe ponctionné, que ce soit sur le travail de leurs gagneuses ou les lourdes amendes de leurs clients.
Pourquoi, alors, sachant que l'alcool est une drogue dure ne pas placer en détention les plus gros négociants en vins et spiritueux et celui qui profite de ce trafic, l'Etat ?
Moins toxique que l'alcool, le cannabis remplit les prisons. Lorsque l'on a l'exemple de la prohibition aux USA dans les années 30 avec l'alcool méthylique qui aura causé bien de cécités et des décès, on reste confondu par l'aveuglement de nos politiques. 
Tout le monde fume du shit, de nos politiques à nos juges, nos policiers et leurs enfants et nos jeunes lycéens alors, légalisons certaines drogues.

Des minorités. Avant 1944, la majorité nubile était à 13 ans. Aujourd'hui, elle est à 15 ans. Or, la "majorité sexuelle" de notre société moderne n'est plus celle de nos grands parents, la sexualité "enfantine" se faisant plus délurée tandis que l'on renforce de façon aberrante la protection des mineurs entre 15 et 18 ans. Ne sont-ils pas plus mâtures qu'avant ?
Les famille ne ressemblent plus à celles d'hier : souvent recomposées, l'idée que l'on se faisait du père et de la mère à évolué. De même, l'éducation de l'enfant, reconsidéré comme un petit en devenir d'adulte fait que loi interdit les punitions corporelles à tous les éducateurs sans se douter que, seul le juge s'arroge ce droit de corriger physiquement un individu jusqu'à ce que mort s'en suive. Essayez d'insulter le quidam en son audience, et voilà l'outrage à magistrat. Prison ferme. Des détenus peuvent vous battre, vous pendre en votre cellule. Le juge ignore-t-il la chose ? Non. 

La société avait évolué dans son appréhension de la folie par le sectorisation psychiatrique : renvoyons les fous dans la société. Idée excellente si les moyens étaient mis en place. Or, certains fous furieux ou dangereux pour eux-même nécessitent l'aliénation aussi, fermer tous les asiles va à l'encontre de cette idée géniale. Problème, les juges, se reposant sur des experts psychiatres insensés se croient capables, en conscience de juger sain d'esprit un fou furieux. Et, hop, en prison.

Pour terminer sur la folie en prison, savez vous qu'en promenade certains dealaient une petite boite d'allumettes pleine de médicaments de toutes les couleurs contre quelques cigarettes ? L'heureux receveur, les plaçant dans sa paume en conque les gobait et, hop avec une rasade d'eau avalait tout cru des anxiolitiques, des antibiotiques, des somnifères, de l'aspirine et même des je ne sais quoi... jusqu'à l'over-dose.

- Tu ne serais pas devenu un peu con ?
- Tu as du cannabis à proposer ? Non ? Qu'est-ce que tu en as à faire ?
J'observais le gars. Il allait tomber, se tordre de douleurs, délirer, mais rien.  Et le lendemain, tout recommençait.  Que devenait le fou sans ses remèdes ? Allez savoir.

- T'inquiète, j'ai l'habitude ! 

L'habitude... Faut croire qu'après le trafic de cigarettes pour des joints, des sachets de café, de lait, de sucre, celui des médicaments venait juste avant celui des téléphones portables. Et tous incontrôlés par l'Administration qui ne pouvait organiser aucune autre activité plus valorisante que le deal et, tant que les détenus s'activaient à avoir peur des fouilles, ils ne restaient pas inactifs et la prison y gagnait une certaine tranquillité cet été.

Les fous et les nouvelles intolérances emplissent les prisons mais, ce sont les trop longues peines d'emprisonnement inhumaines qui les engorgent. On se demande à quoi peuvent bien penser les juges en leurs jugements. 
Vous me direz qu'à force de fréquenter des fous sans savoir les reconnaître...