mardi 11 octobre 2016

Le détenu deshumanisé

Pression... toute ! Prison... droit au mur ! "Chaque étés, nous risquons l'ébullition... Que pouvons-nous faire, si ce n'est prier sainte Rita ? (Un maton syndicaliste).

Tôt le matin d'un bel été, prison de Nîmes. Plus rien ne bouge, seul le silence. Choquant, inquiétant. Irréel ! Les cris, hurlements démentiels, insultes, grossièretés et tambourinements répétés et violents sur les portes d'une journée ordinaire attendent sagement le lever. J'ai relevé mon matelas du sol pour le glisser entre le mur et une armoire. Lentement, sans bruit. Par dessus nos barbelés, murs et bâtiments, le ciel à viré depuis longtemps du bleu-nuit sombre au pâle-rose du matin. Du premier, je m'étonne encore du macadam des deux cours toujours jonchées de papiers des jours d'avant, m'inquiétant surtout des bouteilles en plastique qui y traînent. Une pie se pose près du mur du fond, silencieuse, cherche sa nourriture. Sans penser à rien, je l'observe à travers le grillage de ma fenêtre. Une autre la rejoint en sautillant. Mes codétenus dorment encore. 

Une zone de non-droit tolérée. Un beau pastagas que cette maison d'arrêt, mais bien organisé pour que rien n'en trouble la tranquillité apparente. Mes deux colocataires se réveillent et se lèvent sans bruit. Salut ! Salut. Nous sommes un samedi. C'est l'heure. On entend le roulement feutré du chariot. Clac ! Clac ! Le gardien ouvre la porte, "Courrier ?" Il récupère nos lettres. Ralenti sur le couloir avec le surveillant et son aide près du chariot des petits déjeuners. Clac ! Clac ! La porte se referme sur nos rations de beurre, de lait et de café en poudre.  
Au lointain, sur le boulevard extérieur un moto folle rompt le silence de la cellule et moi je rêve à l'animation du marché hebdomadaire du Vigan, à la foule, à la terrasse des Cévennes, au Midi-Libre. Au pastis. Tiens, mon pastis ne me manque même pas.
Ici, rien ne bouge et la vie ne s'accélère jamais. En prison, tout est étale avec la marée toujours basse. Rien ne viendra ce jour. Ni jamais. Pas de douche. Les détenus n'attendent rien jusqu'à lundi, sauf la popote et que ce samedi ne s'éternise pas trop.
Et le dimanche sera pareil avec encore rien à faire et on sait qu'au lundi, de la Justice rien ne viendra, ce qui nous surprendra, comme toujours. 

Instructions, convocations, audiences pour le tribunal, mais pour quand ? On s'énerve. On ne sait plus. On craint. De petits groupes d'amis s'isoleront en promenade pour  tourner en rond, toujours dans le même sens qui ne mène qu'à revenir à son point de départ. Et à recommencer sa marche lente en ressassant ses problèmes. On s'inquiète, on suppose, on scénarise l'audience attendue mais on ne sera pas prêt. Jamais. On le sait. Des dossiers manquent. L'avocat ne répond pas. Difficile de préparer sa défense dans ces conditions. On sait que ce combat perdu d'avance sera violent mais on espère tomber sur un juge intelligent, humain si ce n'est pas trop demander. On verra à la rentrée de septembre que l'on redoute un peu plus tous les jours. Curiosité dans les discussions de promenade :

- Je dois voir mon juge.

Mon juge ! Je t'en foutrai ! Pourquoi pas mon papa ?

La prison, un espace de violences tolérées. Que les services aux détenus se trouvent réduits en été, passe encore. Une prison bondée serait-elle cause de tous désordres, d'émeutes ? La belle affaire car on pourrait, sans risque la surcharger de pauvres, de paumés mieux nourris en prison que chez eux, reconnaissons-le mais ces pauvres acceptant tout en mangeant leur pain blanc avec une mauvaise dentition pourraient causer bien du souci sauf que le ventre plein n'incite pas à la révolution. 
Et mon bridge qui venait de se briser. La poisse. De la super-glu ? Je n'en possédais pas. J'attendrai patiemment mon tour après les vacances. 400 détenus, un dentiste en congés ? On s'y fait. 

En prison ? On y devient fataliste : toute démarche en été est inutile. On peut toujours réclamer mais rien n'arrivera jamais. C'est ainsi. Apprendre à ne rien espérer suffit à sa peine et tant que nous pourrons manger correctement notre pain blanc sans nous casser une autre dent, pourquoi mettre le feu à la prison ? Et faut bien se tenir pour ne pas retarder sa sortie.
Le service psi d'été tourne au ralenti et ne peut plus répondre à la demande ce qui ne devrait gêner que les juges qui réclament un suivi ou un rapport psychiatrique mais qui ne met en transe que les détenus. Pas de rapport ? On renvoie l'audience, tant pis.

Le pire de la prison on le rencontrait au service de santé, par ailleurs souvent excellent si ce n'est qu'il ne me donnera jamais les résultats d'une analyse de PSA alors que j'avais un cancer de la prostate développé. Lorsque je l'ai réclamé à ma sortie, toujours pas de réponse. Le procureur à qui je m'en étais inquiété, n'y voyant aucun mal à cela refusera ma plainte en me demandant de me mettre en rapport avec la prison, comme si il n'y avait pas un manquement grave condamnable par la Justice. Pourquoi ne pas se saisir lui-même, la loi l'y obligeait ?

- Je vous suggère de vous rapprocher de Monsieur le Directeur de la Prison !

Monsieur le Procureur, je regretterai toujours de n'avoir pas été ce père qui vous aurait appris le respect de la loi, des personnes âgées et à venir visiter les détenus pour les défendre au besoin. Mais, je n'ai jamais entendu parler d'une de vos visites en quatre mois de détention. Et cela est une violence que vous faisiez aux détenus.  

Passons sur ces manquements à la loi et à la déontologie médicale et judiciaire et revenons à ce qui est tout aussi inacceptable en prison, la façon de quelques surveillants de s'adresser aux détenus en peu de mots qui me mettait dans une de ces colères. Que je sache, dans leurs jugements, les juges n'ont jamais accordé à l'Administration pénitentiaire le droit de nous traiter comme des bambins de la maternelle ou des chiens.

- Patrice, au piquet ! Patrice, à l'infirmerie ! Médor, au pied 

Le pire, dans l'indignité de l'été revient au surveillant remplaçant le préposé à l'infirmerie, un mal-aimable, un rouleur des mécaniques d'une grossièreté maladive bien installée, un incompétent notoire qui mettait en rage tous les patients. Fier comme l'étaient les soldats allemands de 40 dans leur uniforme mais qui, eux au moins savaient rester "Korrects". En faisant leurs saloperies, quand même. Lui n'était pas en reste.
Nous avions hérité d'un gardien grande gueule qui se savait bien protégé par les murs de la prison, un lâche qui déshonorait toute sa corporation à insulter les détenus qui n'osaient lui répondre. Et moi qui rêvais de rencontrer cet animal dans une rue du Cœur de Ville à Nîmes pour lui apprendre la politesse.

Ce maton insignifiant se vantait d'avoir une licence en psychologie. Il est vrai que le bel oiseau avait un don : celui de me mettre en rogne lorsque je devais consulter pendant ma grève de la faim. En ouvrant la cage d'attente :

- Patrice ! On se dépêche !
- Non. On dit :"Monsieur Patrice, c'est à vous". J'ai 67 ans et je vous donne du Monsieur. Continuez, et je vous donnerai du "maton". Cela vous irait-il ?
- Patrice, allez !
- Non ! Monsieur Patrice.
- Patrice !
- Monsieur Patrice...  
- Patrice ! 

Et ça pouvait durer jusqu'à ce que j'entre à l'infirmerie.
Cette ignoble petitesse cherchait toujours à me pousser dans le dos. Je faisais tout pour éviter son contact, exigeant qu'elle ne pose pas ses mains sur moi et, à chaque fois que j'avais à subir cette insignifiance, d'un gentil sourire je la saluais correctement :

- Bonjour, maton ! Pas trop rêvé de moi ?

Vingt matons comme cet oiseau-là, et la Maison d'arrêt de Nîmes entrait en ébulition. Sûr.

Le week-end et jours fériés, plus aucun gardien ne pourra s'occuper de vous. Et, ça c'est violent. On se croirait entre les morts du cimetière. On s'ennuie plus qu'en semaine. Pas de courrier, les repas du samedis soir et du dimanche toujours froids avec des plats parfois inversés entre le midi et le soir. Une salade dure comme du bois, trop sèche, trop essorée. Pas de cochon mais du saucisson hallal. Seule douche le samedi pour les parloirs. 
Et encore et toujours du "Patrice" et pas de "Monsieur" dans le langage des surveillants.

Le dimanche matin, messe pour les détenus qui le souhaitent. Mais faut s'y inscrire, comme pour tout. Pas de vin pour communier sous les deux espèces, ce que je réclamerai un jour sans aucun résultat, vous pouvez vous en douter car ici, la république laïque fait des différences entre les religions avec hallal pour tous. Je suis protestant, rappelez-vous et j'avais déjà protesté contre le saucisson hallal et réclamé le vin de la communion dominicale. Autant pisser dans un violon pour le faire chanter. Personne ne vous répond, l'Administration montrant ainsi son pouvoir de nuisance par la non-réponse en toute forme de silence respectueux. Une façon d'appliquer le Code de déontologie : pas de relation personnelle avec les détenus.
Parfois les cours respectives sont inversées et on ne sait pourquoi. Sans doute pour que les Animaux du 3ème étage puissent recevoir directement dans la cour A les colis de shit, les téléphones et la viande hallal catapultés par dessus les murs aux heures prévues par certains détenus. Y aurait-il des complicités chez les gardiens ?
Mais, non, Monsieur le Garde des Sceaux : je plaisantais, que je vous rassure !

Encore et toujours pas de réponses. C'est gonflant... mais, on peut comprendre qu'à s'abaisser pour entendre les détenus, on ne veut pas risquer un pied au cul.
J'avais demandé à pouvoir alphabétiser, donner des cours, faire l'écrivain public. Réponse ? Aucune.
La prison possède bien un service scolaire lié à l'éducation nationale suffisant, à ce qu'on dit. Foutaises que tout cela car encore faudrait-il faire émerger la demande des détenus en difficulté scolaire, et ils sont légion. Foutaises encore car on ne s'occupe pas de la scolarité des préventives et des courtes peines. Foutaises toujours car, pour pallier aux besoins cela nécessiterait un service scolaire extrêmement étoffé et structuré qui s'appuierait sur les détenus lettrés. Foutaises enfin car la prison est un grand foutoir avec trop d'entrants et peu de sortants, sans compter la surcharge des cellules. On se demande encore comment les gardiens arrivent à gérer toute cette population fluctuante.  
Donc aucun suivi des trajectoires individuelles, aucune aide. Un beau gâchis !
Maigre consolation car existe un journal de prison bien conçu mais qui ne concerne que peu de détenus et que les plus cultivés.

Les accrochages avec les chefs. J'avais fêté mes 67 ans en prison et, comme vous pouvez vous en douter, un bon détenu est un détenu tranquille. Donc, un jour, en descendant pour la promenade je chantais gaiement... tiens, comme c'est curieux, c'était du Ray Charles : Unchain my hart. Je me sentais joyeux, réellement et sans malice aucune, vous me connaissez bien. Et j'étais tranquille, un modèle de détenu.
Gai, mais pas pour longtemps car mon vilain lieutenant qui ne gagne surtout pas à être cité, l'admirateur de Spiman, son héros alors que je passais mezzo-voce au deuxième couplet ("Unchain my hart, Baby let me free ), mon lieutenant y aurait vu, à ce qu'il m'a semblé après coup une allusion homosexuelle le concernant et, me bloquant par le colback en me prenant ma "carte d'identité de détenu" hurla pour être entendu de tous :

- Patrice, vous êtes content d'être en prison, ça vous fait chanter ?
- Non, monsieur. Je suis naturellement heureux. C'est comme ça. Et lâchez-moi !
- Attendez que je vous monte au troisième. On verra si vous chanterez toujours. Et je vous lâche si je veux !
- Je vous interdis de me toucher. Maintenant, vous me lâchez ! Tout de suite ! Merde !

J'étais furieux contre cet "offizier" qui me malmenait en me bousculant et en me menaçant. Ce moins que rien, et je le pense encore aujourd'hui qui permettait à un détenu de me cracher dessus sans intervenir, ferait-il encore à ce jour autant honneur à son uniforme et à l'humanité, ce type grassement payé par la République ? Je subodore que monsieur le petit officier, syndicaliste sans nul doute avait signé des deux mains, mais comme un pied ce fameux Code de déontologie qui le dépassera toujours.
A part de prendre du galon, on ne sais toujours pas à quoi on pourrait l'utiliser, n'est-ce pas, Mon Capitaine ? A part de gueuler, dites, Mon Capitaine ! 

Voilà la prison : tu n'existes plus comme citoyen. On est mal poli avec toi, tu vis dans l'évitement et la méfiance mais, si tu es faible, on t'agresse. Tu fais semblant pour tout, et tu la fermes. C'est mieux. Mais la colère bout en toi en permanence si tu ne sais pas faire preuve d'humour et d'auto-dérision.
Il faut quand même ne pas trop pousser les affrontement car un lieutenant de la pénitentiaire, omnipotent, bel homme au demeurant peut vouloir te faire péter les plombs pour te filer un rapport et t'occasionner quinze jours de mitard pour convenance personnelle et t'apprendre à filer doux devant "l'autorité", tel ce gorille gris-argenté qui reçoit l'hommage des gorilles subalternes qui lui présentent aimablement leur arrière-train.

Les seules formes extérieures du respect, en prison. Si, dans la cour B des Animaux les seconds couteaux montraient leurs muscles par trois ou quatre tractions à la barre fixe, les hommes respectables ne s'abaissaient pas à froisser leurs tenues dernier cri. Ils ne faisaient que déambuler lentement, écoutaient, s'arrêtaient entourés de leurs admirateurs, expliquaient doucement, lentement avec peu de gestes comme seuls savent le faire les hommes qui se veulent être respectables.

Contrairement à ce que voudrait croire ce  gardien syndicaliste qui prie Sainte Rita, je ne vois pas dans l'été le  moteur premier de possibles émeutes, mais dans ce comportement "humain", "déontologique" que l'administration leur demande de tenir avec les détenus et qui n'a que l'apparence du respect de la dignité du détenu, quantité humaine et sociale négligeable.

-Patrice, à l'infirmerie. Patrice, du courrier. Patrice, au greffe. Patrice grouillez-vous.
 
Ne respectez pas la personne et elle vous le rendra bien.
Pour notre part, considérant que la politesse, début du respect de soi et des autres permettrait, à elle seule la convivialité en remettant chaque détenu dans son humanité et sa citoyenneté honorable, nous avions convenu qu'au début de chaque promenade, avant que de se tutoyer républicainement l'on daignât se saluer d'un royal et bien civil :

- Bonjour, Monsieur. Comment allez-vous ?
- Très bien, Monsieur. Et, vous même ?
- Au fait, ton juge, tu l'as vu ? Non ?

Et nul ne pouvait déroger à cette règle de politesse qui, je le pressentais énerva plus le lieutenant que mon gai refrain. 
 

-Bitte schön, mein Oberleutnant... "baby let me free"
-Was ? Ein Fluchtversuch ?

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