samedi 23 mai 2015

Lobo et JFK - 2


Albricius, mon Maître devait se défaire sous peu de sa sinécure de responsable d’internat pour s’en aller mieux gagner sa vie dans la chaussure de sécurité, à Saint-Hippolyte du Fort, dans le Gard.
Il abandonna l’éducation des ados, me renvoyant à celle de son chiard de chiot, tout en me le confiant.
- Le temps de me caser. Promis : après, je récupère mon chien !
- Je préfère ne pas m’y attacher, Albri. Vaudrait mieux que tu l’emmènes avec toi, dans le midi.

Mon bon Maître d’internat se résolut à contre cœur, me dit-il, à me laisser le cabot bien trop encombrant. Je n’en crus rien et, tout heureux, gardais le bébé en remerciant le ciel de ce bonheur.
L’adorable petit monstre faisait la joie de tous les internes de mon groupe et, tout en grandissant chaque jour, gambadait bruyamment le long du couloir pendant les heures où je surveillais l’étude, comme si sa seule tâche sur terre consistait à nous mettre en joie, tout en s'amusant.

A cinq mois, Lobo ressemblait à un gros nounours pataud : grosses pattes, pelage de feu, bouille rigolote. Ah, j’oubliais : on ne pouvait reconnaître sa tête de sa queue que lorsqu’il courait.
Petit détail intéressant : le gros bébé était devenu abandonnique et hurlait à la mort s’il ne voyait pas son papa. Mais, ne serait-ce pas la seule et unique raison qui fit qu’Albricius me le céda contre son gré, à ce qu'il disait ?

Même, le petit chien pouvait aboyer des heures s'il ne voyait pas un humain, ou ce qui y ressemble dans les environs. Toutefois, courir, glisser des quatre fers, déraper sur le cul dans le couloir pour finir par cogner puis gratter à la porte de l’Etude pour charmer la galerie nécessitait tant d’efforts et d’abandon qu’il nous fallait tenir toujours sous la main une serpillère et un balai-brosse. Et un seau d'eau.

Oui, à s’amuser, Lobo se faisait tout entier gamin. Mais, courir puis s’arrêter dans sa course soudainement, les yeux désespérés, n’empêchait pas Lobo, qui savait se mal conduire, de pisser tout son soul. Et quand je dis pisser, je dis pisser. Et d’importance.

Il était aux environs de 19 heures. Un des surveillants de repos, Jean Ménardin, en écoutant la radio apprit l’assassinat de John Fitzerald Kennedy.
Je ne me rappelle que d’une chose, c’est qu’après en avoir discuté entre responsables, Albricius, ce me semble, annonça à l'étude, avec plein d’égards, la mort du Président américain.

Il est bon de se rappeler que le Collège Cévenol du Chambon/Lignon accueillait des élèves du monde entier : malgaches, américains, congolais, belges, suisses, sénégalais, anglais, suédois, hollandais, allemands, écossais, gallois, irlandais du nord, danois, norvégiens, irlandais du sud, camerounais, finnois, néerlandais, arabes, algériens, italiens, ce me semble, oui et espagnols, et français…
- Des russes et des chinois aussi ?
- Des russes et des chinois ? Peut-être pas, mais des hongrois, je veux.

Pour une meilleure compréhension et tout l’intérêt de ce texte, rappelez-vous le Collège et les ados américains qui suivaient une scolarité française.
Donc, Albricius donna l’information. Un long moment, tous se regardèrent incrédules, puis ces derniers se mirent à pleurer en silence, ce qui troubla nôtre équipe de surveillants, tous français.

Les plus choqués par ces pleurs, sans nul doute, furent Albricius, Ménardin et vôtre serviteur, tous issus d’Algérie, les deux premiers avec, pour seul bagage, une main devant et une main derrière et vôtre serviteur qui, lui, parti des limes françaises tizi-ouziennes intégra le Gard sans que cela ne lui posera jamais de problème existentiel, encore moins une quelconque nostalgie d’avoir quitté « l’Algérie, la Patrie des pieds-noirs », enfin, comme ils disent.

Nous, les kabyles, ces ex-indigènes snobés par tout français de là-bas qui se respectait, nous rêvions de Patria Nostra, la belle et douce France. Pour ce qui est de l’indépendance, on la laissait aux excités qui se sont bien chargés de nous mettre une de ces pagailles en Algérie telle qu’une chienne n’y retrouvera plus jamais ses petits, même à ce jour.
Tiens, en parlant de chienne, si je revenais à mon propos ?
Donc, Albricius, tout son staff présent, annonça l’incroyable assassinat de Kennedy, ce qui attrista les petits américains.
Nous, tous ex-patriés d’Algérie de par la décision unanime du peuple Français, la sagesse de de Gaulle et certaines pratiques un tant soit peut racistes de la partie « blanche » qui se pensait algérienne, oui, nous ne pouvions comprendre ces pleurs et cette douleur causés par la mort brutale de ce Président américain.
Je l'ai déjà signalé ? Pour sûr ? Bien.

Oui, moi-même et tous français d’Algérie expulsés du fait de leur connerie trace, nous étions atterrés, sidérés, ébahis.
Un président si fortement regretté ? Mais, De Gaulle les Pieds-noirs l’auraient volontiers accroché par les oreilles, qu’il avait éléphantesques, avec nouba à la clef si cette Grande Zohra avait été trucidés par les commandos Delta de l’OAS.

Pour ma part, et curieusement pour mon tout nouveau chien, Lobo, ni Kennedy, ni de Gaulle ne nous intéressaient et la vie continuait belle et bonne.
Enfin, disons que je parle pour moi.

Quant à Lobo, il grandissait en stature, en grâce et en intelligence, exigeant toujours sa dose de câlins. 
Kennedy ? JFK ? On s’en fout m’aurait-il dit, si les chiens avaient la parole :
- Papa, quand est-ce qu’on va aller voir Mémé Fatima au Vigan ?
- A Noël, mon fillot. A Nöel !

De Saint Pierre en Val, en encore Haute Normandie, ce samedi 23 mai de l’an de grâce 2015.

samedi 9 mai 2015

Lobo, mon chien - 1


Oyez, oyez, braves gens, l'extraordinaire histoire de Lobo, le chien-bonheur qui embellit ma vie. Je l'adoptais alors qu'il n'avait que trois mois en mes années 60 au Collège Cévenol du Chambon/Lignon faisant fonction d'élève-surveillant pour mon Maître d’internat, Albricius le gentil Pieds-noirs*.

*Un Pieds-noirs marche sur deux jambes, donc deux pieds, même avec une jambe de bois. Le pluriel se doit. Par contre, un cul de jatte Pieds-noirs, apode ne sera jamais qu'un gentil Noir, en toute singularité.

Continuons, donc nôtre propos... Or donc, il était David le boxeur, un écossais qui, lui aussi Maître d’internat, avait un chien Boxer français qu'il traitait amiablement comme l'aurait fait tout écossais qui se respecte, et à l'anglaise. La chose, incongrue, inusitée à l'époque dans l'hexagone que la vue de ces queues et ces oreilles intactes et pendantes qui insultaient à tous chiens de guerre était abomination pour tout français amateur du Boxer

Et voila encore qu'un autre Maître d’internat possédait une épagneule française. Ou picarde ? Bien possible, mais va savoir, quoique l’épagneul français soit plus roux, et le picard plus gris. Ou l’inverse ?…  Oui, certainement il fut épagneul français, mon Lobo qui avait du feu dans un pelage agrémenté de l’étoile blanche de David sur son poitrail ainsi que sur le bout de ses pattes de boxer-épagneul.
Je me répète ? Tant pis ! 

La bizarrerie en l’affaire résidait surtout dans une particularité d’importance, tous les puristes canins n’en démordront pas : une épagneule picarde est, quoiqu’on se refuse à l'admettre, une épagneule française. Et pourtant, je dis bien qu'en aucun cas l'épagneule picarde ne peut être considérée comme épagneule française. Étrange, me direz-vous ? Pas tant que ça. 
Et pourtant française, la Picardie se trouvant dans le giron de la France. Pardon ? 

Trêve de balivernes et de futilités. Le Boxer aima l’épagneule et, de leur union naquit quatre chiots dont le plus moche, le plus pataud, le plus dormeur fit l’unanimité : personne n’en voulut.
Oui, mais, non : mon Maître d’Internat, Albricius, le gentil Pieds-noirs, faisant fi de toute beauté, allant, race ou classe, le choisit pour une raison d’une absurdité telle, (rappelez-vous que nous étions dans les années 60, années bienheureuses de la liberté sexuelle, enfin, pas pour tous) que c’était le seul mâle de la portée. 
Incompréhensible cet acte piedenoiresque ? Le croyez-vous ? 

Mais alors, pourquoi, bon sang de bonsoir fit-il ce choix quelque peu « misogyne » ? Cela vous inquièterait-il, vous aussi, qu'un mâle soit toujours, même à ce jour, considéré comme supérieur à une femelle, à tout le moins dans la gent canine, même si, et tous s’accorderont en cela, on a encore besoin d’une bonne chienne bien maternelle pour nous donner de bien beaux chiots ? Hein ? Dites-nous encore, mamans !

Vous l’avez donc compris et, n’y revenons pas, Lobo naquit moche, pataud mais, déjà tout petit, par la grâce de son sexe il se fit adopter par ce bon Maître d’Internat, Albricius, lui-même, Pieds-noirs d'origine espagnole. 
Qui aura dit que le sexe ne compte pas pour réussir dans la vie ? Qui ?

Certains, plus finauds que Lobo argueraient, se faisant superbes mesquins :
-En quoi ce sexe animal devrait-il intéresser l'internaute et pourquoi tant s'y appesantir ? 
Nous répondrions, tout aussi ingénument, et en toute mauvaise foi bien servie :
 -Cette histoire aura 53 ans, à ce jour, et cette chose, oui cette chose, convenons-en, présentera toujours un bel intérêt dans quelque histoire que ce soit, à tout le moins pour l’épicer, que dis-je : la pimenter. 
De nos jours, vous-même voyez comme une enfante de la Couronne d’Angleterre, d’Écosse, du Pays de Galles et de l’Irlande du Nord peut animer toutes conversations de gentle persons et paris stupides in United Kingdom.  Uniquement par cette chose-là.
Bigre de bigre !

 -I beg your pardon, me diriez-vous, en angle-saxe, une fille, toute duchesse de Cambridge qu’elle soit ou non n'en demeure pas moins femelle. C’est pourquoi, chez les angliches (écrit à la française, je veux), toutes questions, même enfantines et royales se débattent dans l'arena.
Pour en revenir à Lobo-roi et à son histoire née du hasard des sexes des belles rencontres canines, ce pur amour chiot espagnolo-franco-anglo-boxer fut  adopté par Albricius et, heureusement personne, pour mon bonheur, n’en voulut.
Attention, toutefois : le choix ne se fit surtout, n’ayons pas peur de nous répéter, que sur bien peu de chose. 

Ah, las, pour tous élèves du collège Cévenol, bon Albricius dut quitter sa Maîtrise pour s'en mieux aller gagner sa vie dans la chaussure de sécurité à Saint Hippolyte du Fort et, ne pouvant prendre le chiot avec lui, le donna à vôtre serviteur qui en tomba raide dingue.

Voyez qu'avec un tel luxe de détails cette histoire ne se peut être pure vue de l'esprit. 

À suivre Lobo, chien-Roi à la pas encore Rivière à Cochon, Lobo aide-éducateur à Morfondé, Lobo en visite au bidon-ville de Nanterre, Lobo cabot d'honneur (caporal) au Service Météo de l'Armée Française, Lobo randonneur en Cévennes, Lobo campeur dans l'Ile de la Bartelasse, au festival d'Avignon. 
NDLR : Ce fut Diogène, le boxer de Gilou qui fut au festival d'Avignon, non Lobo.