mercredi 30 novembre 2016

L'Hôtel des Arrêts...


Les Hôtels de France sont réputés. La Maison d'arrêt de Nîmes, qui est aussi Centre de détention sera agrandie puis doublée par un des 33 nouveaux Etablissements pénitentiaires prévus qui s'appelleront Hôtels, ceux de police, de région m'y faisant penser ainsi que l'Hôtel de ville nommée aussi Maison Communale
Et, pourquoi la Maison d'Arrêt ne deviendrait-elle pas un Hôtel d'Arrêt, pourquoi pas ?
Je rêvais, sachant que le public admis en prison ne serait qu'un hôte indésirable.

Le nouvel Hôtel des arrêts de Nîmes se démarquera de l'ancienne Maison du même nom, n'en doutons pas. Certains penseraient-ils que je joue sur les mots entre hôte, Hôtel et Maison ? Libre à eux, mais non car, contrairement aux mal nommés Hôtels de Ville, de Police, de Région, des Impôts... constatons que seuls les Centres de Détention hébergent totalement leurs hôtes. Or, depuis janvier 2010, si la classification Zéro étoile des hôtels disparaît pour fusionner avec la Une étoile, ces Hôtels bien particuliers mériteraient de se hisser au dessus de l'indigne catégorie des Moins une Etoile. 

Inspectés par les services de l'état qui y trouvent peu, ou encore moins à redire, pourquoi ne pas suggérer au directeur de la Maison d'arrêt de Nîmes qu'après l' inspection triennale il pense à déposer en préfecture une demande de classification afin de recevoir l'étoile récompensant le niveau de confort et la qualité de son établissement hôtelier, déjà que pour la restauration, si ce n'est l'hébergement nous lui accordons dès à présent sa première  Etoile...

Le bon sens populaire colporte que la prison est un hôtel Trois Etoiles, un Palace d'avant 2010. Depuis janvier, la prison deviendrait un Cinq Etoiles : la réception s'y faisant 24h/24 (sauf W-E et fériés) et, en additionnant les points dits "à la carte", tels ceux de la télévision couleur, de la salle de bain (un lavabo, sans eau chaude toutefois) et WC dans la chambre (9m2), si ce n'était encore cette maudite surpopulation, on y serait presque.   

Regrettons ensemble pour le Droit français et le renom de la France que l'ancienne catégorie Zéro Etoile ait fusionné avec la Une Etoile, les prisons frisant parfois la Trois Etoiles, sauf par la surface des chambres et le nombre de pensionnaires accueillis, français pour la majorité mais aussi étrangers. Pensons à ce que disent de nous nos voisins mais, comme la réputation du français n'est plus à faire, on s'en balance : ne sommes-nous pas la patrie de Droits de l'Homme, des libertés, de l'égalité, de la fraternité ? Heureusement les raclées prises pendant les guerres nous ont amputés de cet encombrant amour propre, ce qui est bonne chose, comprenez-moi. 

Donc, à l'Hôtel des Reclus, on s'y sent plus protégés que dans la rue : y avez-vous jamais entendu parler d'accident de circulation, du travail ou de grève, si ce n'est de la faim ? Jamais. Par contre, les naissances et les morts, les émeutes, les vols, les bagarres, les trafics, les rackets, les assassinats, certainement... mais qui ne restent qu'au niveau de la racaille. 
Tout cela prouve que la prison est un hôtel normal assez sécurisé si ce n'étaient les évasions et toutes leurs tentatives. 

Trêve de "plaisanteries". Donc, dans cet Hôtel particulier convivial toutes les vraies discussions franches et les amitiés se dérouleront dans la cellule, les douches et à l'occasion des promenades, environ une heure par demi-journée, seuls moments d'élévation de l'âme et de franches rigolades parce qu'on peut faire son cinéma, taquiner l'humour, papoter, dire du mal des absents dont les juges et autres avocats, s'aider, commenter l'actualité de la prison, troquer aussi, entretenir de hautes discussions philosophiques ou religieuses, en un mot se révéler en tant que citoyen valable élargissant son espace par ses relations tout en se cultivant et se bonifiant.
J'oubliais que beaucoup se plaignaient que leurs compagnes, ces salopes aient profité de cette incarcération qui tombait à propos pour les quitter. Faut croire.


-Toi qui aimes écrire, lis la lettre de ma femme. C'est beau, hein ?
-Oui, on voit qu'elle a des lettres mais il me semble qu'elle se prépare à sortir de ta vie en catastrophe. Enfin, ce que j'en pense, moi...  Pourquoi ? Mais, ses mots sont choisis, le style ampoulé. Où les vois-tu les épanchements. Compte toutes les phrases au passé et "On s'est aimés depuis le premier jour", là, tu vois signifie qu'à la date de cette lettre, eh bien c'était le dernier jour où on s'aimait tous deux. Mais, comme je ne t'aime plus, ça ne sert plus à rien si toi tu m'aimes encore. T'en dis quoi ?
-Des conneries ! Arrête tes conneries. Çà va pas ? On s'aime comme des fous.
Oui, comme des fous tous deux, surtout lui lorsqu'il était en manque de médicaments. Avoir foutu un coup de hache à un sous-officier de gendarmerie, faut oser. Et la lettre de sa femme aimante virait plus à la paranoïa qu'aux écrits d'amoureux. Une semaine plus tard :  

-Tiens ! Lis la lettre de cette salope qui me quitte alors que je suis dans la merde. J'ai juste rajouté pour atténuer son chagrin :
-C'était prévisible. On passe tous par là.
-Ah bon ! Mais, quand même je ne la croyais pas si salope.
Salope, si on veut mais en ignorant tout de leur relation, je ne pouvais plus me prononcer. Mais, salope quand même car rien ne pressait. Et pourtant, on aime toujours en condition : lorsqu'on ouvre les yeux sur la détention, cette mort sociale et que la donne des amours change totalement, une femme peut vouloir se sentir veuve. Qu'on se le dise et s'y prépare. Vaut quand même mieux.  

La douche, l'endroit le plus cocasse de la prison. Peu osaient, comme les vieux soixante-huitards se doucher tout nu car, accepter les regards n'est pas anodin, traumatisant pour certains. Par exemple, le "dit" pointeur, le frustré, l'hyper tatoué et le petit jeunot ne viendront que rarement se laver avec vous. Pour cela, il me semble qu'il faut avoir reçu une éducation "riche", se tenir en permanence propre en changeant souvent de vêtements et y ajouter un sens inné du jeu social et de l'auto-dérision par surcroît.  

N'espérez aucun contact "humain" avec vos tauliers sauf s'ils vous apprécient, aussi on ne vous adressera la parole que pour les actes de la vie courante : le lever, le coucher, les repas, les douches, la promenade, le courrier, les convocations. Et, encore. Vous désirez voir le Capitaine responsable pour un souci ? Simple. Confiez une lettre ouverte au gardien de permanence, comme dans la bonne vieille France des temps d'antan où le respect consistait à laisser cacheter ses missives par son porteur mais, la confiance étant une valeur passée de mode votre gardien sera au courant de votre ennui, et pourvu que cela ne le concerne pas. 

Pour toutes demandes de la vie courante voyez votre geôlier de permanence en utilisant la sonnette, comme à l'hôpital, et comme à l'hôpital n'oubliez pas que le patient pâtit en attendant. Avec cent-vingt détenus à surveiller et gérer, un seul téléphone "public" à l'étage, un en promenade, un groupe de 6 douches pour tout l'étage, il lui arrivera à notre préposé de mettre un temps infini à vous visiter. Parfois didactique il vous fait languir ou vous ignorera en maître absolu de votre vie.
En prison, on attend d'être invité pour faire sa demande et, quant à répondre peu de mots suffisent. Si on vous répond, qu'on soit à la bourre ou non. 

Le matin, clac-clac du verrou. Au premier clac, la porte s'ouvre. Au second,  le penne sorti met en sécurité le gardien à qui on aurait subtilisé les clefs qui s'y ferait enfermer facilement. Gardien, gardienne ? Vous ne l'apercevrez qu'une seconde au lever. Souvent on répond à votre bonjour par :
-Courrier ? Le gardien prend vos lettres ordinaires et celles cachetées pour les huiles.

Dès l'ouverture de la cellule, tenez-vous prêt, le petit chariot du petit déjeuner poussé par un détenu n'attends pas. Sortir rapidement. L'accompagnateur du gardien vous tend les doses pour vos copains (poudre de café, lait, sucre et confiture, beurre le dimanche). Vous vous contenterez du pain de la veille tout en vous servant au robinet d'une grande bouilloire d'eau chaude transportée.
-Bonjour chef.  

On ne s'éternise pas dans le long couloir. Quelques mots rapidement échangés avec l'accompagnateur ou le gardien ouvrant la cellule suivante avant que de refermer la vôtre, mais pas le temps, ni le moment. Premier clac, porte ouverte, le penne rentre en sa serrure, deuxième clac, porte poussée, verrouillée et vous voilà chez-vous en cellule.
Ensuite, vous désirez vous doucher ? Simple : sonnette. Vous attendez que les six de la première fournée aient terminé et on vient vous libérer. Alors, vous espérez retrouver vos vieux copains de quelques semaines déjà pour vous taper des fous-rires, bézette à l'air. Quand ce sont les jeunots, les rebeus et les gitans, ben ce n'est pas de la même eau : ça ne rigole pas et ça ne se douche qu'en maillot de bain ou en slip. Tristement. 

Pour les deux promenades du matin et de l'après-midi, encore sonnette et longue attente puis les cellules des habitués sont ouvertes ensemble systématiquement et le restent un peu plus longtemps. A ce moment vous pouvez constater de l'état des cellules et des gisants cachés entièrement sous leurs couvertures. Bizarre mais aucune cellule ne ressemble à une autre et pourtant, elles sont construites à l'identique.
-Promenade ? Oui ? Dépêchez-vous !
Une vingtaine de détenus. On parcourt le long couloir. On attend à la porte qui bloque la descente de l'escalier vers la cour. Un gardien ganté à la fouille, l'autre au comptage. Une minute. Silence. Cigarette interdite. 
-Patrice, vous avez déjà été fouillé, non ?
-Oui, mais moi j'aime bien qu'on me caresse.
L'autre n'a pas souri mais se méfiait de moi comme d'un pestiféré et, par la suite, refusait de me fouiller.
Descente au rez-de-chaussée pour passer au portique du détecteur de métaux. Encore une minute. Deux à trois gardiens présents, l'un récupère votre carte de résident puis vous sortez au soleil, rappelez-vous que c'est l'été à Nîmes. 

Parfois, dans le sas de contrôle, quelques mots amicaux et des plaisanteries échangées avec les gardiens puis vous accédez au soleil et à la cour déserte de la promenade. Trente mètres sur trente, un petit auvent au centre, une barre fixe à côté, deux à trois douches d'eau froide, en face contre un mur. Pas de WC. On pisse où on peu. Derrière nous, un poste de téléphone. A gauche de notre cour A, un haut grillage surmonté d'une frise de barbelés, derrière une cour désaffectée, no-man-land ou des "colis" convoités, gisants inutiles dorment en attendant que les gardiens les ramassent. Dans l'angle, un mirador avec un surveillant, des caméras et par delà le mur d'enceinte, la rue et le cimetière d'où nous parviennent, lancés par des catapultes puissantes des portables, du shit ou de la viande hallal scotchés sur une gros galet pendant le ramadan. 

Seul lieu de vie "à l'extérieur", la cour de promenade ou la parole se fait libre entre détenus d'autres cellules bien que les groupes se mélangent rarement. C'est l'occasion de se connaître, de s'estimer, de jouer aux dames, au huit-américain, à la belote et se raconter les potins de la prison. Se tenir au courant, quoi !
La parole se fait plus libre mais, chacun jouant son cinéma, il fallait "lire entre les lignes". Les seuls qui ne pouvaient mentir sur leur addiction aux drogues dures étaient tous ceux qui avaient encore les membres gonflés par la méthadone et les fumeurs de ce shit qu'on me faisait toujours goûter en prison pour donner mon appréciation (toujours de la vraie merde coupés, teintée). 
Et, dans la cour, encore la cigarette et les paquets de Marlboro qui, si on vous les racontait dépeindrait l'état psychologique de la taule. 

Pour la surveillance en promenade, une longue pièce de contrôle central entre les deux cours, encore des caméras et pas de surveillant. De l'autre côté, à gauche un passage étroit protégé par deux grilles avec encore leurs frises puis la cour B des Animaux, plus grande. 
Derrière vous, le rez-de-chaussé avec les longues lucarnes étroites de la salle de garde et du contrôle vidéo.
Et, toujours aucun gardien en vue dans les deux cours. 

En grève de la faim, dix-sept jour pour le fun, j'étais souvent convoqué à l'infirmerie pendant le temps de la promenade. A l'aller ou au retour, vous risquiez de rester coincé de longs moments, par mesure de sécurité dans un couloir surchauffé, les portes ne s'ouvrant que lorsque les mouvements de groupes étaient terminés et vous ratiez la promenade et donc, vous étiez pratiquement enfermé en cellule vingt-trois heures, seuls les détenus du quatrième et surtout du troisième, moins dociles étaient reconduits après convocation en promenade.
Aller à l'infirmerie signifiait se punir de promenade. 

Pour le repas de midi, même topo dans le couloir que pour le petit déjeuner mais vous aviez le temps d'échanger quelques paroles avec les détenus de la cellule suivante. Vingt secondes. Après, partie de Scrabble et mon fameux ZOB. 

Le courrier, le meilleur moment de la journée. Le bourgmestre, vers treize heures :
-Patrice. Du courrier. J'en recevais beaucoup car j'écrivais tout autant.
Puis, c'est la promenade de l'après-midi où vous saviez que celui qui ne veut pas en bénéficier en profite sûrement pour fouiller votre armoire et vos affaires pour finir par se masturber. Ou bien, fait-il la démarche inverse ? Allez savoir. Mais, on s'y fait. Une heure de convivialité, d'amitié, de rires, d'aide psychologique, de discussions sérieuse. 
Mais, même topo que le matin. 

Après la promenade de l'après-midi, vous attendez le repas puis, à 18h30, vous commencez votre soirée, le soleil toujours pas couché. C'est l'été. Une seule fenêtre grillagée. Pas d'aération. La cellule en surchauffe, moite, trop exiguë. Vous vous ennuyez.
Vous faites votre lessive, le courrier avec la télé toujours allumée sauf lorsque vous êtes en promenade. 

La nuit, seul moment de "liberté" accordé au détenu. Dès la fin du repas du soir, Pierre prenait un somnifère et, après avoir lu un passage de la Bible, s'endormait jusqu'à sept heures le lendemain. Une seule fois il suivit le match de football Espagne-France qui, curieusement déchaînait la prison avec les coups frappés aux porte de tous les étages à toutes les belles actions de l'Espagne. 
Condamné à 5 ans de prison, il ne sortait jamais en promenade parce qu'un des Animaux, jugé en même temps en appel le rançonnait en menaçant de raconter son affaire et, superstitieux ne déballait toujours pas ses cartons par peur d'être transféré, attendant anxieux. Il lui restait encore trois ans à purger :
-Pierrot, ne prends pas ces saloperies de médicaments. Faut que tu rendes ton temps de prison utile. On pourrait discuter. Tiens, je peux t'aider pour la lecture et le calcul. Après deux années de sommeil, c'était trop tard pour Pierrot. J'appréhendais sa sortie de prison. 

Le soir, dans les cellules conviviales, on discutait du programme de télévision. Dans les autres, on subissait les dessins animés toute la soirée jusqu'à plus d'heure, ou les programmes que le plus ancien de la cellule vous offrait. Peu de paroles les soirées en prison. 
Quand on veut s'isoler, on décide de se coucher et de dormir, mais la télé et la lumière peuvent rester allumées toute la nuit. On fait avec.  

Et voila, on sait qu'on peut vivre en prison en homme sans liberté, sans intimité, sans possibilité de pouvoir s'isoler, se retrancher sauf dans sa tête avec, la nuit le bruit. On supporte très mal de ne pas pouvoir se retrouver seul pour s'occuper un peu de soi, sauf dans des temps plus que restreints.
Ici, on vous renvoie à l'impossibilité de satisfaire vos pulsions les plus profondes en faisant de vous un animal privé de toute sexualité qui ne peut même pas se lécher et, devenu cet encombrant, parce que déclaré dangereux, on vous parquera avec d'autres semblables qui souffrent tout autant que vous d'être asexué, dans le temps qu'on s'attachera particulièrement à analyser vos comportements en croyant mieux vous contrôler, vous cobaye mutilé.

Mais trop de paramètres anarchiques dans une situation incontrôlable, démente, hors toute normes sociales et humaines valorisantes tuent la compréhension du pourquoi on a jugé bon de vous enfermer. Et donc, vous ne pouvez pas vous amender.
La prison est donc un Hôtel bien particulier rendant un service social inutile et néfaste pour le plus grand nombre. La preuve ? Elle aussi à sa propre prison, le mitard.

 L'Article 8 du code de déontologie des personnels pénitentiaires ou le projet, ou l'avant projet, je ne sais plus... cet Article stipule que "les gardiens ne peuvent entretenir" avec les détenus "de relations qui ne seraient pas commandées par les nécessités du service" sauf "si elle étaient de nature à favoriser la réinsertion des intéressées."  

Moi, j'aimerais bien connaître nos experts de la prison qui se sont complu à compisser une telle ânerie. Pourquoi ? D'abord parce que les relations entre la personne en sujétion et son maître s'y font sur le mode de l'enfance, l'affectif primant le social et uniquement dans un mode de l’irréflexion. Ensuite, parce que partout où l'on restreint les libertés, par ses capacités d'adaptation l'homme réinvente son humanité en forçant le respect en reprenant ainsi ses droits, dont celui de pouvoir susciter et entretenir une relation humaine d'égal à égal en toute liberté. Même avec son geôlier.
Dernière raison : pour pouvoir communiquer avec les détenus en vue de les réinsérer, encore faudrait-il que les gardiens en aient les moyens, ne serait-ce qu'en personnel. Voilà pourquoi nos relations avec l'administration se réduisaient à presque zéro tandis qu'avec les gardiens, des amitiés se nouaient dans le respect mutuel. 

L'Hôtel des Détenus disposera de peu moyens, de temps et de personnel. Tout est lésiné par les politiques qui permettent la mal-vie avec des gardiens enfermés en prison depuis plus longtemps que nous qui subissent tout ce beau merdier en haïssant leur métier qui pourrait se révéler utile à la société.  

mardi 29 novembre 2016

Des gens bien en prison.


Des gens bien, on en rencontre partout mais vous ne pourrez jamais vous en porter garant. Ils sont bien à vos yeux parce que vous en avez décidé ainsi. C'est donc vous-même qui, les élevant à cette dignité les faites roi sans jamais bien les connaître. Et c'est peut-être tant mieux pour tous car, ainsi vous leur permettrez de devenir de bonnes personnes.
Croire que l'on peut connaître intimement quelqu'un relève d'une heureuse impossibilité parce nous prenons tous quelques privautés avec la réalité. Nous racontons une histoire bien cousue pour faire vivre notre personnage dans un rôle le plus crédible possible, ceci étant le commencement de la sagesse qui évitera bien des déboires.

Mais, se créer une belle histoire ne suffit pas à se protéger. J'estimais qu'au bout de peu de mois de prison, mis dans certaines conditions de stress extrême personne n'aurait pu me croire capable de tuer tranquillement, sans aucun regret ni remord et rien n'aurait pu m'en empêcher, pas même le risque de la prison à perpétuité. Je commençais à péter les plombs. Plus grave : aucunes de mes certitudes morales, religieuses, philosophiques n'auraient pu brider ma violence seule solution que la justice avec son appareil répressif me laissait pour faire cesser ma peur des agressions toujours promises. Je devenais pire qu'un animal sauvage.

Pour me rassurer et ne pas céder à la violence, je savais que seul le groupe de moutons serrés à s'étouffer pouvait protéger tout l'ensemble, étant entendu que l'un des moutons, au moins serait sacrifié aux crocs du loup. C'était le prix à payer pour la défense commune et on s'en satisfaisait. Or, la prison restreint au strict minimum vos relations pour vous laisser seul avec vous-même, comme si l'homme, hors le groupe pouvait exister, se protéger, se construire et vivre une morale propre, individuelle qui ne dépendrait que de lui-même sans être confrontée à la morale commune. 
De même, comment les "tout-sécuritaires" peuvent-il penser qu'un homme isolé, hors tout jeu social pourrait réfléchir sur ses actes, l'introspection ne fonctionnant que par l'effet miroir du regard d'un autre nous-même, notre prochain qui seul peut nous faire sentir que nous avons évolué en mieux ?  
Se pencher seul sur soi-même hors du regard de gens "bien" ne sert à rien.

Trop de solitude mène vers la folie, qu'elle soit celle des hommes ou celle de Dieu, toujours plus loin sur le chemin de cette même folie qui vous a poussé à commettre le crime ou le délit pour lequel vous êtes enfermé.
Pour faire simple, prisonnier ou pas, l'homme est d'abord un être de parole partagée. L'ermite, pour ne pas parler seul dans sa grotte, le prisonnier aux murs de sa geôle, tous deux pour ne pas finir fous n'ont d'autre solution que de se tourner et d'interpeller Dieu pour l'un et d'insulter et de cogner un plus faible pour recevoir une parole en retour. Un "Aie" suffisant amplement.

Parler, c'est mentir d'abord à soi-même. Pour subsister. Mais alors, que penser de mes écrits ? Vue de l'esprit, irréalité nécessitée par mon désir de mieux vivre ? Pour juger de ma bonne foi, laissez-moi faire mien le syllogisme du crétois :
Tous les hommes sont menteurs.
Je suis un homme, 
Donc je suis menteur.
En poussant un peu plus loin ce faux syllogisme, on doit entendre par Homme un animal qui, aliénant volontairement sa liberté au groupe dispose toujours de son libre-arbitre. Encagé dans une ménagerie, j'aimerai bien voir qui pourrait traiter le lion de menteur. Ainsi en est-il du détenu que j'étais en prison.    

Des menteurs, en prison ? Plutôt des mythomanes. Seule, la noblesse crapulière ose se vanter, jamais les violeurs, les aigrefins, les dealers, les violents et autres escrocs dépouilleurs de petits vieux ou emmerdeurs de voisinage. Ceux qui ne pouvaient plus cacher les raisons de leur incarcération minimisaient leurs actes, enfin quand ils osaient sortir en promenade, en parlant toujours comme d'un acte anodin, amusant ou d'une relation consentie.
-Un viol... une gamine ? Ça va pas la tête ? Moi je savais pas. Tu aurais vu, cette salope qui faisait plus de 18 ans. Sans blague.  Et elle était consentante. Oui, elle a apprécié.
Tu parles, mais "Tam-Tam", radio associative tenue, contrôlée et utilisée à toutes fins utiles par l'ensemble des détenus et des gardiens démentait, ce qui n'empêchait que certains grimpaient toujours plus haut dans les branches de leur arbre pourri. 
Comment leur expliquer que trop de mensonge tue le mensonge et vous met à nu ? Impossible tant l'instinct de survie vous pousse à vous accrocher à n'importe quel esquif pour ne pas sombrer, même à une gueuse de plomb pour bouée de sauvetage.

Jean-Sébastien ne pouvait pas me mentir tant il était triste. Enfin, je l'espérais. Pourtant, je ne me souviens pas bien de ce qu'il me racontait sur lui, sa famille, sa fille, son parcours car la vie vous oblige à passer outre bien trop souvent.
Il disait qu'il allait "se foutre en l'air". Ses propres mots. C'était bien la seule fois que j'entendais un détenu me parler de suicide. Je prenais la chose à la rigolade, le rassurais sur sa sortie. Oui, mais sa sortie, il n'arrivait plus à l'entrevoir. Toujours ma fagoté, il finira par se suicider en prison ce que j'apprendrai plus tard par un ami qui connaissait sa fille qui espérait que je lui parle de son père. Mais moi, vous savez, en prison, on s'attache peu par trop de tension nerveuse à toujours devoir éviter le conflit et ne pas aller trop loin dans la relation.

-Son père ? Tu dis Jean-Sébastien ? Effectivement. Si je m'en souviens de ce type. Oui, parce que ce prénom, rare me rappelait Bach. Tu sais que j'aime Bach. Le plus grand musicien de tous les temps. 50 ans environ, brun, pâle, assez grand ? Mince ? Oui. Grand... difficile à dire car il restait toujours assis en promenade. Je m'en souviens comme d'une tristesse sans nom et sans fin... Je lui avais offert des T-shirts et un jeans. Oui c'est bien lui. Toujours avec les même affaires... Non, je ne le voyais pas à la douche ni dans les couloirs à l'occasion des repas. Jamais qu'en promenade. Tu dis que sa fille, voudrait que je lui en parle ?... Difficile, tu sais la prison, les attachements... et on passe à côté de trop de gens bien. Lui, il était toujours assis avec deux ou trois potes à discuter. De quoi ? Je n'en sais fichtre rien.

C'était écrit, prévisible, mais moi, vous savez... Un être sensible qui avait fait tatouer, avec plein de tirets autour du cou : "A découper suivant le pointillé". Ça m'avait choqué et me rappelait une photo d'un détenu américain. Son histoire ? Banale, il me semble mais un être gentil, attentionné, ouvert aux autres c'est pourquoi je ne m'inquiétais pas de son humeur morose.
En prison, et pourquoi cela ? Un pétage de plombs qui aurait dû l'envoyer en asile psychiatrique, la prison ne pouvant le sortir d'une dépression bien trop incrustée.
Qu'attendait-il de la justice ? Comme de la vie : moins que rien. Je le voyais en promenade, assis par terre, s'étant fait des copains qui l'appréciaient. Un monsieur discret avec un humour morbide et décapant. Je l'ai déjà signalé ? Ah, bon !
Qui était-il ? Je ne l'ai jamais su. D'où venait-il ? Mystère. Qu'avait-il fait réellement ? Peuchère !
-Tu devrais demander à la Vêtures des fringues et des godasses. Tu y as droit.
-Je m'en branle.

Je discutais avec lui puis je recommençait à courir. Un jour, il a disparu de notre monde de promenade et je ne m'en suis plus soucié.

Jean-Yves, que j'appréciais beaucoup nous servait en promenade une histoire incroyable de délit de fuite, de baston avec les flics. Ah, il affirmait que les flics lui reprochent d'avoir cogné sur eux et de rébellion. Moi, je me baladais avec lui parce que j'aimais bien son codétenu, Christian.
Jean-Yves déprimait plus-plus et, à deux nous essayions de lui remonter le moral, mais à force, ça fatigue on le sait bien et on finit par se détacher. 
-Un soir, tard, avec ma BMW j'allais chercher des cigarettes. En revenant, je tire sur la bête. Je vois bien qu'un Kangoo banalisé tente de me prendre en chasse. Tu parles ! peut-être des flics. Bon. Ils doivent rameuter leurs collègues par radio. Je les sème ! Dans un petit village, une petite impasse sombre, je me cache et j'attends que ça passe. 

-Le Kangoo avance lentement dans la rue, dépasse ma ruelle. On ne pouvait pas apercevoir ma voiture. 30 seconde plus tard, marche arrière, arrêt puis... Merde, il pénètre lentement dans l'impasse. Je suis au volant, calme. Je fume une cigarette.Un type en civil ouvre ma portière, me tire de mon siège. Brutalement. Moi, je ne pouvais pas penser que c'était un flic à me tirer comme ça, vous comprenez ? J'avais mes gants . Paraîtrait que j'aurais balancé un coup de toutes mes forces, soit disant un putain de gnon ! A ce qu'ils disent. Et que je lui aurais cassé deux dents. Pas possible, d'abord parce j'avais encore mon Zippo à la main et que le type s'est cogné tout seul la tête sur le coin de ma portière et saignait. Faux encore parce qu'on aurait dû trouver des traces de sang sur mes gants de conduite. 

-Après ? Après, son collègue me fonce dessus et à deux ils me menottent et me cognent. Ce qu'ils m'ont mis. Eux ils disent que j'en ai frappé un après qu'ils se soient faits reconnaître de la BAC. Faux encore ! Pas d'uniforme et voiture banalisée. Je croyais que ces types me faisaient un car-jacking pour se tirer avec ma B.M.W.
Que des menteurs. Ils m'ont fait voir par un médecin qui a cherché des marques sur les phalanges. Rien. Tu parles !

Je demandais à son copain de cellule, Christian que j'appréciais particulièrement, un petit gars de mon âge, à l'humour anglais :
-T'en penses quoi de cette histoire ?
-Il dit ce qu'il veut, non ? Mais nous, on s'en fout. M'enfin, deux mois de préventive sans avoir rencontré un juge d'instruction pour une telle histoire ? Le flic n'avait qu'à raconter qu'il s'était présenté avec sa carte et son copain l'appuyait. Ben, oui, c'est monnaie courante chez les flics et emballez, c'est pesé, non ? Comparution immédiate, et au trou. Pas besoin d'instruction. Donc, c'est qu'il y a derrière autre chose, pas vrai ?
Christian ne s'en foutait pas de son pote et refusait que je ne donne nos conclusions à Jean-Yves tant il déprimait. On essayait de le rassurer. Pas de nouvelles de son avocat depuis deux mois et sa femme qui lui écrivait que l'autre, qu'elle s'était dégotée, un jeune capable faisait tout son possible dans ses démarches et tout et tout. Mon œil, oui parce que Jean-Yves croupissait toujours en prison sans nouvelles du bavard et du juge ! 

Environ tous les trois jours, le Jean-Yves nous manquait à la promenade. -Jean-Yves, tu comprends, il a reçu une lettre importante de sa chère et tendre. Vite, fallait répondre tant il avait peur que l'avocat ne fasse du gringue à madame s'il ne lui envoyait pas sa lettre quotidienne.
-Tu ne trouves pas bizarre qu'il ne sorte pas en promenade. Il a tout le temps de lui répondre le soir. Il cache la gravité de son affaire. On est d'accord, non ?
Jean-Yves me demandait souvent de l'aider à comprendre l'état d'esprit de sa femme. Mais, même dans des lettres qu'il me faisait lire, jamais je n'ai pu comprendre pourquoi ce type se trouvait en prison.
-Tu crois qu'elle me trompe avec l'avocat ?
-Oui, si tu penses que les avocats on le temps de tirer toutes leurs clientes. Tu ne fais pas confiance à ta femme, et à moi, si. Tu trouves ça normal ? Et puis, vous vous aimez, non ?
-Oui, mais, ça fait deux jours que je n'ai pas reçu de lettre.
-Enlève le dimanche, on est lundi, p'tit père. Pas vrai ?
Quoi qu'il en soit, on n'a jamais pu tirer l'histoire de Jean-Yves au clair, mais comme on l'aimait bien, on pleurait avec lui. Enfin façon de dire.

Christian, c'était surtout le copain de cellule de Jean-Yves dont il remontait inlassablement le moral. Moi, je l'amusais. Mais ce copain, lourd à tant déprimer m'aurait usé à la longue, ce que je disais à Christian.
-Je peux pas le laisser comme ça, tu comprends ?
Non, en tant qu'ancien travailleur social, je ne comprenais pas :
-Tiens-lui un discours de réalité pour qu'il arrête de nous raconter des bobards et puisse sortir de sa déprime. Tu l'entretiens dans sa connerie.
-Tu serais pas un peu salopard, Brassens ?
-A ta place, je lui confectionnerai une corde avec des sacs plastiques, costaud la corde... parce qu'à pleurer avec lui c'est comme si tu l'aidais à se pendre. Toute la journée avec un tel type... t'as pas envie de te reposer de sa déprime, non ?
-Et, si c'était moi qui déprimais dans ta cellule, hein, tu ferais quoi ?
-Attends, là, c'est pas pareil.
-Alors, tu m'as compris.

J'aimais particulièrement la rencontre avec Christian, un bonhomme pas bien grand que j'appréciais pour ses bons conseils, sauf pour Jean-Yves, sa gentillesse, sa pondération, son altruisme, sa connaissance des hommes, son humour tranquille et sa façon de se faire respecter et de raconter ses emmerdes, ses voyages, sa nana, un don du ciel. "Là-bas, je revis une nouvelle jeunesse". Il faisait très anglais avec sa petite moustache poivre et sel. J'aimais déconner à plein tube avec lui dans les douches, nus comme des vers, et à nous admirer comme dans une glace. 
-Merde, tu fais encore jeune. Maman doit être satisfaite. Allez, raconte !
-Raconte toi-même, imbécile !
 
Rien que des rigolades de jeunes chiens fous. Et puis à rêver des gardiennes et de la psychiatre qu'on aurait aimé voir participer à nos jeux d'eau.
-La psychiatre. T'as vu le canon ? Un crime, que dis-je, un attentat à notre pudeur de plus en prison que de nous tenter ainsi.
-Au contraire. Un soleil, collègue. Tiens, ce con de Mitterand a aboli les Poufs de la Légion étrangère. Tu savais ? Hollande devrait nous les ouvrir, rien que pour nous deux et avec du beau linge. Imagine la blonde que tu kiffes, oui la belle gardienne mère maquerelle en déshabillé de soie, avec rien dessous. Enfin, belle mais comme c'est toi qui le dis... Moi, je trouve que la black est plus craquante.
Christian avait bon goût, au Brésil il était tombé dans l'exotisme.

L'histoire de Christian, je ne peux pas vous la raconter. Il ne me l'interdirait pas. Non, mais il n'apprécierait pas que je vous mêle à une histoire de gros sous dans laquelle son associé l'a pris pour un pigeon pour payer les pots cassés et ce type était le seul qui ne m'ait jamais raconté de bobards, j'en mettrais ma main à couper. 
Bon, voilà pour l'essentiel : on le recherchait pour payer l'addition. Il avait refait sa vie au Brésil et pensait qu'il y avait prescription. D'après son avocat. La France lui manquant, il voulut la faire visiter à sa jeune femme, un brésilienne. Ah, Paris !
Seulement, problème il y avait : le mandat d'arrêt délivré contre lui courait toujours et le juge faisait, par-ci, par-là, de temps à autre des actes de procédure. L'affaire était donc toujours pendante, c'est comme ça qu'il disait, le Christian.

A l'aéroport, on le saisit et on l'expédia direct en prison à Nîmes, la juridiction qui poursuivait. Encore un bon avocat, disait Christian. Et je le payais bien le vilain. Pour me prendre deux ans, je me demande à quoi il servait. Et me dire qu'il y avait prescription !
-Fais appel. Tu réduiras ta peine.
-Ou j'en prendrai plus. C'est la roulette russe, la Justice. Deux ans ? Je me tiens bien, je fais tous les stages qu'on proposera, je demande à travailler en prison et avec les réductions de peine, je sors rapidement et hop ! Retour au Brésil, chez-moi. La France, j'en aurai soupé.

Tiens, que je vous présente Bertrand, un jeunot adorable. Il me racontera une sombre histoire de scooter volé. Pas par lui. Il l'avait acquis de bonne foi. Oui, il avait la carte grise, la preuve. Ah, aussi de culture de cannabis. Ces salaud d'EDF, inquiets de sa facture d'électricité, comme si ça les regardait l'avait balancé aux flics, enfin c'est ce qu'il croyait. Un peu plus de 500 plants, il n'a pas compté. Dans un grand hangar isolé. Mais, bon pas de quoi fouetter un chat. Pour sa consommation personnelle ? Pas que, aussi pour les copains. Il en avait beaucoup. Oui, mais comment payais-tu EDF ? Simple, ça fonctionnait un peu comme une coopérative. Eh bien, tu me la bailles belle et, si je te comprends bien, le gérant paye l'addition pour tout le monde, non ?
Lui, Bertrand c'était de décroissance qu'il parlait, d'altermondialisme, de liberté, d'organisation des hommes bien plus souple, d'une autre façon de gérer la société. 
Il réussissait à m'embarquer dans son utopie, mot qu'il refusait :

-Non. Pas utopique, pas utopique. Pour moi, c'est nous qui sommes dans le réel. Ça ne peut que marcher à merveille. Tu te rends compte ? Les frontières abolies. Même qu'on réfléchit et qu'on agit avec des allemands, des italiens, des serbes, des anglais... du réel, du concret, et ça marche. On veut une société plus égalitaire.  
Tiens, il me rappelait ma belle jeunesse marxiste ou je croyais que tous les hommes deviendraient bons dans une société rendue meilleure, et j'y croyais dur comme fer, mais l'homme oubliant qu'il se doit avant tout de rester un bon camarade altruiste et ne pas bouffer seul la baraque commune, bonjour les dégâts !
-Très tentant ce rêve éveillé car, depuis la nuit des temps, l'homme n'a jamais réussi à troquer sa nature d'animal pour une tunique de saint. La preuve, la prison, non ?
-Actuellement, oui mais nous, on tient la route avec nos idées. On réfléchit à tout, même à la loi et à la prison. On s'attelle à la mondialisation, à l'argent, à la suffisance alimentaire, à l'écologie, à la sauvegarde des ressources naturelles, au réchauffement climatique pour arriver à des rapports égalitaires et, par là-même pacifiés entre les états. Mais, ça commence par un travail sur nous-même.

-Et pour pacifier les religions, tu les obligeras à quoi ? La religion, c'est bien ce qu'on a trouvé de mieux pour nous éloigner un tout petit peu de l'animalité. Avec la morale. Tu remplaceras par quoi ?
-Gilou, tu fais la bête ou quoi ? Par l'éducation parce qu'on n'obligera personne à rien et nos idées... disons que c'est comme une nouvelle religion ou l'homme ne croirait qu'en lui-même et en son intelligence pour se sortir de ses pulsions animales. Un dieu inutile deviendra impossible. Tout l'homme tendu vers les hommes sera notre loi et notre morale. Non pas un idéal. Une réalité. Notre idée ne peut que marcher parce qu'elle ne s'imposera pas par la violence et parce nos rapports égalitaires adouciront les hommes, les sociétés suivront et la religion s'obligera naturellement à faire le deuil de son prosélytisme violent. Tu comprends ou je te fais un dessin ?

Des gens bien, en prison ? Il s'en trouve autant, si ce n'est plus que dans le monde des citoyens libres. Qu'on se le dise et que l'on commence à s'en occuper sérieusement !  

La promenade...

Beaucoup de détenus de la Maison d'arrêt de Nîmes glandent. Détenu dans cette maison d'Arrêt, je serais assimilé à un glandeur alors que je tentais tout pour ne pas finir zombie.
En poursuivant ainsi le raisonnement à l'infini et en l'élargissant, on construirait des certitudes improbable : tous les détenus de Nîmes sont des pointeurs, des dangers publics, voilà pourquoi tous se satisfont de leurs certitudes. 

La prison toujours en négatif, à force ça fatigue. Et, pourquoi n'y trouverait-on pas des gens intéressant, intelligents, affectueux ? J'avoue que j'y ai rencontré plus de "bonnes gens" que de mauvaisetés. Mais, ceux-là ne font pas de bruit et les emmerdeurs ne le sont souvent que pour qu'on ne les oublie pas et qu'on finisse, non par les tolérer mais par les aimer. Enfin, ils l'espèrent.
Rassurez-vous, j'aurai l'honneur de vous présenter un peu plus tard des types bien dont je m'honorais d'être des leurs. 

Pour les Autorités, une bonne prison bien tenue ne fait pas de vagues en surface. Elle sommeille, si elle ne dort et rien ne s'y passe, comme anesthésiée. Enfin, on peut toujours le croire.
Aujourd'hui, j'estime que les hommes d'une société, une structure, un service publique, une Institution qui ne participent plus à leur devenir, n'améliorent pas leurs conditions de vie, ne donnent pas leur avis, ne gèrent pas les structures ou ne se rebellent pas contre les atteintes à leurs droits fondamentaux inscrits dans la Constitution n'existent plus en tant qu'humains et sont renvoyés à un statut d'animal en cage que l'on nourrit.
Et, comme cet animal sauvage retournera dans la société, imaginez les dégâts futurs. 

Pour seule activité pendant toute leur incarcération, les Maisons d'Arrêt n'étant pas prévues pour "occuper" les prisonniers, le seul loisir de certains consistait à fréquenter deux fois par jour la promenade puis, du jour au lendemain, nous n'en avions plus de nouvelles et on n'en faisait plus cas. 
Les manquants à l'appel l'étaient parfois "pour convenance personnelle", tel Salah qui préférait cacher sa crasse dans la sécurité de sa cellule de fous, la 130, la "Six-gun" que risquer, au mieux de se faire traiter de pointeur plus quelques petits rackets, insultes, menaces de mort et, au pire servir de larbin, de ramasseur de colis ou risquer un prévisible "accident" en promenade, en sport ou à la bibliothèque. Et Salah ne fréquentera plus la douche commune, la Six-Gun en étant équipée, devenant ainsi un bon détenu intégré et calmé par la prison mais un mort-vivant inutile aux autres détenus. 

Voyons voir, maintenant les "étoiles filantes". Rappelez-vous que peu de détenus sortaient en promenade, une vingtaine sur plus d'une centaine au Premier étage et 120 sur 440 pour l'ensemble de la Maison d'Arrêt, tous les autres restaient toute la journée et leurs nuits à regarder la télé. Sur le lit à glander. 
Rien n'obligeait à la promenade, ce que déplorait un des plus anciens surveillant qui estimait que si la prison gagnait en tranquillité, la santé des "grabataires" en souffrait. 
La première punition serait donc cette condamnation à l'oisiveté forcée à en avoir honte de ses ongles, tellement propres qu'il en devenaient blancs-crème fraîche. 

Les plus dangereux des longues peines transférés dans les Centres de Détention ne l'apprenaient que le jour même pour contrecarrer les appels téléphoniques partis de l'intérieur pouvant préparer une évasion pendant le transport.
Les surveillant prévenaient les détenus "normaux" la veille de leur départ et les "tranquilles" connaissaient leur futur lieu de détention et la date plusieurs jours à l'avance, comme Eric, 35 ans, un gaulois divorcé d'une rebeu, bon père et gentil pays ayant la garde des enfants du premier lit qui, malencontreusement gifla sa nouvelle compagne, une boiteuse* qui avait traité son petit beau-fils de "sale petit bicot" parce qu'il refusait de manger du cochon. Heurtant de la tête un coin de la table de la cuisine, elle succomba devant les petits, malencontreusement. Assises.  
Autre circonstance aggravante, beaucoup de femmes dans le jury et des hommes avaient de bonnes têtes à manger du cochon, d'après lui, autre malencontre dans sa vie. 

*Oui, je sais que, ni boiter, ni insulter un petit qui ne veut pas de cochon ne sont des circonstances aggravantes ou atténuantes selon le point de vue où l'on se place. Une gifle mortelle suite à une insulte en est une ou l'autre mais, sachez que la longueur des peines distribuées varie du simple au triple, la vie étant aussi injuste que les jugements populaires, les juges et l'avocat général, des professionnels y étant pour peu en l'affaire se dédouanent sur les jurés. 

-Qui voulez-vous que je libère... Barabbas ou Jésus ?
-Barabbas, Barabbas, Barabbas ! criait la foule, aussi certaines libérations immédiates restaient une énigme pour nous. Rares, elles avaient lieu toujours après l'intervention d'un bon avocat. En effet, nous parions sur les peines que les actes pouvaient occasionner selon les têtes et les moyens de défense utilisés. Se tenir seul devant un juge ? Aucune chance qu'il te signale tes droits. Il en va ainsi de la Justice qui ne s'encombre pas des prétentieux qui se défendraient seuls, sûrs de leur bon droit. 

Par exemple, Paul, un bon gars "bi-polaire"* en pétant les plombs fonça sur un gradé qui le menaçait de son arme. Plaqué au sol par trois autres gendarmes, il porta, en tombant un coup de sa hachette particulièrement aiguisée qui faillit lui couper l'artère fémorale. Nous lui annoncions trois ans de prison minimum parce qu'il avait une bonne tête gauloise. Arabe, on lui donnait dix ans. Au bas mot.
*Paul... je l'appelais autrement dans "Ségaïolooooo!" Souvenez-vous.
-Un bon avocat. Mon cousin va me sortir de là. Compte la-dessus, mon gars.
Pourtant, contre toutes attentes, Paul avait raison : il écopait d'une obligation de soin et devait pointer à la gendarmerie de son bled trois fois par semaine. On aurait aimé tomber sur cet avocat doué et ce juge magnanime mais, libérer aussi légèrement un type aussi bizarre, le laisser seul dans la nature sans garanties... Qui l'eut cru ? Sûr que les retrouvailles de Guignol avec Gendarme qu'il avait failli trucider devaient sentir le soufre.  

Certains primo-arrivant  "tarés" rencontrés en cellule ou en promenade posaient problème aux anciens : comment avaient-ils pu mettre autant de temps pour nous encombrer ? Pas besoin d'être fin psychologue, psychiatre ou travailleur social pour les jauger. Tout parlait contre eux, de la démarche, la posture, le négligé physique ou vestimentaire, le discours ou le mutisme, les relations qu'ils cherchaient à entretenir ou à fuir. 
A leur premier contact, tous jugeaient sainement de leur dangerosité, à éviter, tiens comme l'autre grand gaillard qui avait violé sa mère adoptive devant son père adoptif et qui en parlait comme d'une chose normale. Elle lui avait fait des avances, à plus de 70 ans, rien que ça, et il ne comprenait pas pourquoi il se retrouvait enfermé, surtout qu'elle ne s'était pas débattue, la preuve.
Ou celui qui s'était confectionné de faux documents administratifs, dont un diplôme de spécialiste urgentiste et de maître nageur sauveteur pour se faire embaucher chez les pompiers et qui ne voyait aucune gravité à ses actes.
Je vous ai déjà présenté quelques autres spécimens rares : 

...Salah, le violeur coming-outé "victime" de la curiosité de ses copains et le cracheur Yacine, le protégé du lieutenant qu'un des gars du Premier connaissait.
-Tu pourras le retrouver à la Gran-C... Une belle saloperie que même ses voisins évitent. Tiens, regarde-le ! Personne ne veut marcher avec lui. Il fait le dur sans faire le poids. Trop gringalet. Tu veux vraiment le retrouver ? Pas difficile, juste tu cherches sa Golf jaune pétard. Mais, faudra attendre longtemps sa sortie. Un pointeur. 

Pour notre troisième salopard, du Premier étage, un primo arrivant en préventive. On sentait tout de suite le pet au casque et qu'il ne tournait pas rond. Il fit le dur le lendemain de ma seule nuit à la 130, le matin même qu'il intégrait la cellule, juste avant sa première promenade. 
Non, affirmait-il, non ! Hubert, notre "primo-arrivant" n'était pas un pointeur. Encore du beau monde que cet assassin de son copain de boisson et de drogues qu'il avait piqué avec son Opinel comme on le ferait d'un porc suite à des excuses qui tardaient. Sans l'estourbir avant. Bien coincé sous les lourdes fesses de cet abruti, l'autre se vida complètement de son sang. 

Pour finir le grand œuvre de sa vie, le père Hubert s'en alla jeter le cadavre de l'animal qui valait certainement mieux que lui dans un trou des bois pour toute sépulture à la merci des bêtes sauvages, le recouvrit de branches en prévoyant de ne l'incinérer qu'à la fin de l'été, montrant ainsi, si ce n'est de la vie d'autrui tout son respect de la loi interdisant les feux de forêt pendant la période de sècheresse.
Circonstance atténuante pour lui, il était fin bourré et complètement pété par un mélange de drogues et de médicaments. Hubert aura plus de chance qu'Eric, dans son malheur : il n'avait pas tué sa femme d'une gifle devant un gosse insulté. Allez m'expliquer la justice ! 

Ce type, le bien nommé Hubert,* se prenant pour un caïd sans en avoir ni l'envergure, ni l'intelligence aimait déambuler, encore tout halluciné avec toujours ce besoin de fixer son regard de côté sur les marcheurs comme à les surveiller et se protéger de toute attaque possible, ne marchant jamais à la droite de quelqu'un, tête rigide pour mieux tenir son équilibre. Comme aimanté par la force, il essayait de relationner avec les détenus les plus imposants qui finissaient par l'éviter.
Pour se faire apprécier, ce pauvre hère me traita donc de pointeur le premier jour ou il intégra la 130 que notre bien-aimé Capitaine, lui aussi fin psychologue voulut m'offrir pour me remercier de mon humour et de mes efforts consentis auprès des autres détenus, et surtout après la rédaction de la très respectueuse que Washington me demanda d'envoyer à la suite de son bien senti "Captain, fuck you !"
Pour le saluer dignement en toute finesse, la lettre de Bruce usait de la formule de politesse suivante :
-Monsieur, j'ai l'honneur de ne point vous saluer.
Mon Dieu, Général Washington, toujours cet esprit de corps de garde ! Quelle fougue, quel allant, quel à propos. A la Benjamin Franklin, votre compatriote ! 

*Pourquoi appeler cet abesti  Hubert ? Je cherche encore, la sauvagerie, la chasse, le Saint-Hubert, un chien de sang... ben, ça me renvoie au Saint-Bernard et à son tonneau fixé au collier, et le rhum à une beuverie monstre. Du tonneau au collier ? Il n'est qu'un pas. Logique car il appelle le cou du copain qui suggère fortement le couteau.
Le Saint-Hubert ? Un chien imposant, au cul massif comme celui d'Hubert pour coincer une bête aux abois. Et voilà, la boucle de la contine est bouclée. 
Hubert... Marrant, non ? Qui trouverait mieux ? 

Tiens, peut-être écrirai-je un jour un conte de fées pour deux ivrognes dont l'un apprendrait à ses dépens, un peu tard il est vrai que son pote ne serait qu'un ogre. J'y glisserai un beau brin de fille qui s'inquièterait de la disparition de son père qu'elle savait ivrogne patenté, des gendarmes qui, pour une fois prendraient les choses en main fissa-fissa sans oublier un trace de chien renifleur genre Rantanplan qui retrouverait par hasard le cadavre dans les bois et, pour finir, l'arrivée de ce beau matamore en prison toujours aussi fier de lui. 
Voyez que les expériences trop tardives ne servent personne, surtout quand on est saigné à mort.
Tiens, Hubert, un ogre ! Vous dites ? Vous en êtes sûr ? Qui l'eut cru ! Merci bien, mais trop tard ! Pour ce que le copain en tirera comme leçon, laissez moi la morale de ce conte improbable, quoique...  

-Montre ton papier d'incarcération. Tiens ! Regarde le mien !... Allez, montre !
-Mon papier ? Ça ne regarde que moi. Et je ne veux pas savoir pourquoi tu es ici.

-Si tu ne montres pas ton papier, c'est que tu es un pointeur. Au Premier, normal. 
Violeur ? Pas lui qui était de la race des saigneurs, un assassin sordide quand même. Après le sevrage de tous ses cocktails finement mélangés d'alcool, de drogues et de médicaments visible à ses mains et ses pieds enflés, on ne le rencontrera plus jamais en promenade comme tous ceux qui prenaient conscience de leurs actes. Ni en promenade, ni à la douche, normal il était hébergé à la 130.
En supposant que l'homme des bois ait repris toute sa conscience en fermant sa grande gueule. Enfin, on le lui souhaite. 

Rien qu'à penser que ce type-là se vantait d'un crime pour une broutille, ne voyant aucune entorse à l'amitié, ça vous remuait les sangs ! Un message certain pour nous éviter de lui manquer de "respect", aussi, les moins costauds évitaient même son regard bizarre à la fixité animale.
Rien qu'à voir la taille du beau bestiau qui nous arrivait en promenade, surtout son cul bloqueur imposant, on imaginait bien sa caravane dans les bois, des beuveries, cet homme ivre et, comme dans un film d'horreur assister aux derniers soubresauts du pote bloqués par le gros cul de ce fier à bras dément. 

Pour en finir avec nos salopards, Dalila. Ah, la Dalila, ma belle couillue de 35 balais toute nichée au Troisième étage, coiffeur pour dames dans le civil, coiffeuse pour hommes en prison, un forte bestiole baraquée, perverse qui trompait son monde sous des dehors affables et des sourires et des mondanités cachant délicatement sa nature violente. Lui me promettait tout bonnement de me retrouver à la sortie pour m'égorger. Comme Yacine son correspondant. Et niquait ma mère, ma fille, ma sœur, ma race tout autant.
-Enculé. Je sais que tu habite au Vigan. Je viendrai te les couper, les cheveux. Et le reste.
Pour les autres, la piétaille, ils ne nous intéresseront plus car on ne peut pas haïr 10% de la prison, 44 détenus tout de même... (tiens, ça me rappelle une liqueur "goûteuse") car il faut savoir pondérer ses jugements en remettant tout en situation, et dans le temps, et dans notre propre humanité, ne sommes nous pas chrétiens, faut-il encore que je vous explique ? Et du pardon, qu'en faites-vous ? 

Le curieux de la chose est, qu'en prison, je n'ai jamais aussi peu réfléchi sur l'humanité et jamais ne me suis penché sur moi-même, ni même attendri  ni réfléchi à ce qui m'y avait conduit. Et prié une seule fois pour que Dieu n'envoie pas son fils me visiter : la prison n'est pas bonne pour les petits.
La seule chose qui m'entêtait n'était que de compter le temps pour arriver à sortir au bout de 122 jours, alors, en imaginant ces violeurs et assassins qui purgeraient des années, j'aurais dû pardonner leur connerie. Mais, c'était impossible.
Si moi, en être particulièrement sensible, et vous le savez maintenant je n'arrivais pas à l'introspection durant mon temps d'incarcération, que penser d'Hubert, de Salah, de Yacine, et même d'Ali, autre violeur qui n'avait jamais violé cette femme, cette salope qui avait porté plainte. Je le jure... oui, jeune et belle, et d'accord. Pas croyable, sauf qu'aux dernières nouvelles, elle n'avait pas encore dix-ans. 

J'avais l'impression que tout ce qui se passait en prison était normal. Juste, fallait attendre la sortie et je comprenais par exemple qu'un de mes codétenus prenait des somnifères pour dormir jusqu'au matin, sans jamais sortir en promenade, se mettant en léthargie pour décompter le temps qui lui restait à faire, sans entrevoir aucune solution à cette sortie, se moquant de ce qu'il pourrait faire pour profiter de son incarcération en rendant sa misère utile. Par ailleurs, il évitait la promenade et un codétenu de l'étage qui le faisait chanter "grave", comme il disait. Pour des cigarettes. 

La violence par la surcharge et l'oisiveté des prisons n'incombe pas aux juges. Serait-ce Monsieur le Procureur chargé du bon ordre des prisons, du placement des condamnés et de leur sécurité qui devrait s’en débrouiller, serait-ce lui le responsable tout trouvé de l'asile de fous qu'est devenu la prison ? 
Non, pas lui qui s'en lave les mains en se déchargeant sur le directeur de la Maison d’Arrêt qui accepte la surcharge et qui confie tout ce beau bordel aux gardiens, et qu’ils s’en démerdent pour la tranquillité de la prison même s'ils n'assurent plus leur mission de réinsertion. Quant à la sécurité des détenus, n’en parlons pas.
En fin de compte, la violence de Spitman et les troubles en prison ne seraient à mettre qu'au seul crédit de la délinquance, seule responsable de l'entassement des détenus. 

On place des citoyens en état d'impuissance et, par le Code de déontologie qui fait l'impasse sur les moyens à assurer la sécurité de ces personnes, la France en toute fourberie laisse attenter au droit des détenus.
Punir en sur-punissant, normal, logique, humain, de bon ton ? On soigne les violeurs avec des films X pour que la Direction puisse elle aussi en profiter ? On se le demande. Que le bon peuple qui trouve la prison trop douce juge sainement, sachant que leur vieux grand-père pourrait se retrouver à dormir par terre sur son grabat, par sa faute, il est vrai ce qui ne gêne aucunement ces grands responsables de la détention tous adeptes de la tolérance, des droits de l’Homme et autres foutaises en toute forme de mea-culpa : 

-Oui, la Maison d'arrêt de Nîmes est saturée. Nous l'agrandirons et nous prévoyons, à Nîmes de bâtir une des 33 nouvelles prisons. Modernes.
Si la prison de Nîmes peut accueillir le double de détenus sans trop de problèmes, on peut craindre pour son extension. Quant à la nouvelle, on la surchargera car beaucoup de condamnés ne purgent pas leur peine par manque de place en prison. On parie ?
Voyez que le problème nous préoccupe puisque nous en parlons pour les désengorger.

La sécurité se fait inexistante, le respect des droits des détenus bafoués ? La modernité des nouvelles prisons y palliera. 

Les gardiens se plaignent des conditions de travail et des violences qu'ils subissent ? La surveillance électronique compensera le manque d'effectifs et le Code de déontologie servira à les cadrer et à les rassurer dans leur beau métier.
Bien beau qu'on puisse faire gober que la modernité des nouveaux lieux de détention permettra de ne pas alourdir le budget de fonctionnement des prisons en réduisant ce qui le grève le plus, les salaires mais, sans un nombre de surveillants suffisant, n'ajoutera-t-on pas de la violence à la violence ? 
La moderne Fleury-Mérogis en est une triste illustration avec le plus fort taux de suicides en France.
Mince, alors ! Que l'on m'explique comment une prison moderne, dernier cri puisse vieillir aussi vite et attraper toutes les tares des anciennes sans pointer du doigt le manque de gardiens et autres travailleurs sociaux ?

Voilà pourquoi, un Code de déontologie associant respect, réinsertion, humanité, cela n'amuse même pas les surveillants qui ont les mains liées car, peu de moyens égale moins de respect pour plus de violences impunies.
                     Et que vogue la galère !  


dimanche 27 novembre 2016

Le kanoun.


Tiens, pour vous remonter un peu le moral, ce petit texte heureux. Promis, juré, craché :
Croix de bois, croix de fer, 
Si je meurs que j'aille en enfer ! 
Et, allez ! C'est parti !

Tout d'abord, pour vous faire languir, je vous tiendrai une affirmation qui fera bondir toutes ces dames et quelques hommes qui voudraient passer auprès d'elles pour de parfaits galants. Hommes et femmes sont bien différents, non pas au niveau du nombre de côtes comme pourrait le suggérer la Bible et, notez bien que nous ne traiterons pas des forces physiques, sachant que je connais une karatéka, un tout petit bout de femme, pas même 50kg qui serait capable de m'étendre d'un simple atémi...
Allons-y. Par exemple, vous remarquerez que la femme a plus de prédispositions à faire plaisir à l'homme en lui faisant la cuisine journellement, en s'occupant de sa lessive, de la couture, de son ménage, de leurs enfants. Disons que ce don naturel l'amuserait grandement, soyez-en convaincu.

Tiens, moi-même, et certains se reconnaîtront, chaque fois que je dois dresser la table ou passer à la vaisselle, je casse. Ici, une tasse à café ou sa soucoupe. Sans importance, chéri, ce n'est pas mon service à café préféré. Tiens, Fanny, je ne savais pas... Là, une flûte à champagne à notre Noël 2012. Trop fortement essuyée. Pour bien faire, j'y avais mis du cœur.
 - Tire-toi de là, imbécile ! Tu as des mains en carton, ou quoi ! C'est pas possible d'être aussi broum-broum.  On les lave à l'eau très chaude et on les pose sur l'égouttoir. Pas de savon et pas besoin d'essuyer. Elle t'a rien appris ta première femme ?

- Maman, pas de quoi faire un drame, il nous en reste encore cinq.
Oui, maman, c'est Fanny. Elle n'aime pas que je l'appelle maman, mais chez moi, c'est un réflexe. J'y peux rien. Depuis, elle m'interdit de toucher à ses services de table et surtout de laver la vaisselle. Même que j'avais cassé l'aspirateur en tirant trop fortement sur le fil. Tricard de tous travaux ménagers depuis 2012, ce qui m'attriste vraiment alors que j'aimerais tant faire plaisir à ma Fanny, tant je l'aime. Oui, mais, chaque fois que je tente de me rendre utile, elle bondit puis elle boude. Pas croyable. Bon, c'est vrai que j'ai des mains en chiffon, un atavisme chez les hommes, un véritable don de la nature. Merci mon Dieu !
- Tire-toi de mes pieds. Tu vois pas que tu gènes ?

Interdit même de faire tourner la machine à laver le linge depuis que j'ai mis sur 90° son beau pull en cachemire bleu. Oui, le bleu, c'est la couleur la plus difficile à atteindre dans la perfection d'un ton sublime qui charmerait l’œil, un pull ressorti rétréci de la taille d'un habit de poupon de celluloïd et tant durci que, même pour mon pull blanc agrémenté d'un anneau arc-en-ciel, il n'y avait pas moyen d'enfiler la tête du poupon. Un gâchis, quoi. Fanny a apprécié, croyez-le.
Dommage. J'aurais dû lui demander de les garder pour les accrocher au mur tant les couleurs de l'anneau avaient foncé et le motif, miniaturisé en faisaient une œuvre d'art ! Quant au bleu de son pull, devenu plus sombre, une splendeur.  On aurait voulu faire pareil, on ne s'y serait pas pris autrement.

Mais alors, si les femmes sont plus douées que nous pour les tâches ménagères, en quoi sommes-nous meilleurs qu'elles? Réfléchissons. Pour gagner de l'argent, gérer le ménage, économiser ? Même pas. En politique familiale ou sociale ? Non, pas même car Fanny est vraiment plus douée que moi, chapeau ma dame !
Et, sans parler d'Anna Maria même qui arrive à me filer de ces raclées au Scrabble :
- Mon pauvre ami. Tu es toujours aussi nul dans tes conjugaisons de verbes.
A 82 ans, elle m'en remontre encore, sauf que, pour la faire bisquer, 
- Ta remarque anoure est vraiment sans tête, très chère.
- Anoure, tu n'auras pas au moins oublié la grenouille de Sciences Expérimentales.
Tiens, curieuse différence car les filles semblaient posséder un don, naturel il me semble pour constater de l'effet d'un courant continu dans la moelle épinière des grenouilles dépiautées. Berk ! Degusting, dear.
- Laisse tomber, Anna. Je badinais.

En quoi sommes-nous plus doués que les filles ? Pour pisser n'importe où et droit contre un arbre, ma mère y arrivait aussi bien qu'un homme. Non. Dans la grossièreté ? Pas plus, à constater ici tous doigts et bras d'honneur et autres gros mots lancés par de jeunes et belles conductrices et naguère réservés aux seuls hommes que certaines vilaines adoptent depuis peu dans leur conduite automobile à la Fangio en lieu et place d'un gentil sourire qui pardonneraient vos écarts de conduite, non. 
Pourtant, là où nous leur sommes supérieur, et vous le constaterez tous les jours c'est dans le domaine de la parole, surtout pour couper ou stopper un discours trop long d'un applaudissement ou d'un hennissement de cheval intempestif. En connaîtriez-vous des femmes maître dans cet art particulièrement masculin ? Non, elle n'ont pas hérité de ce don divin, préférant calmer le jeu ou détourner la conversation sur des sujets plus anodins.     

Je vous avais déjà présenté cet artiste dans le genre, toujours le même qui, lorsque vous tentez d'amuser la galerie en vous mettant à votre avantage, pensez vous êtes doués dans la narration, ce malotru se permet de faire ce qu’il appelle des apartés à haute et intelligible voix avec un naturel, un de ces naturels incroyables ? Mais, si vous le connaissez bien ! 
Mais, non, rassurez-vous je ne parle pas de vous mais de lui, l'autre empêcheur de jouir.
Quand bien même seriez-vous parano, ces interruptions intempestives ne signifient en rien qu’on n’apprécie ni la forme ni le fond de votre histoire et, par delà, tout le mépris qu’on vous porterait. Non, non ! N'y voyez qu'une aide amicale apportée pour émailler agréablement votre discours un peu confus, reconnaissez-le, et rappelez-vous que vous êtes un tantinet limite parano et que vos auditeurs, les pauvres seraient du genre à comprendre vite même s'il faut leur expliquer longtemps. 
Ah, voyez, et que l'interrupteur prenne bien tout son temps.  Merci bien, et pourquoi vous gêneriez-vous, très cher ami ?
 
- A la mort de ma mère Fatima…
- Ah ! Fatima ! Elle me manque beaucoup… vous l’aviez connue, vous, Fatima ?
- A moi aussi elle manque… donc à la mort de Fatima nous faisions une veillée funèbre chez Markus à Prat Coustal, toute la famille, une fois n'est pas coutume...
- Markus, revenu d’Afrique, tu en es sûr ? Ah, bon. Moi,il me semblait qu’à la mort…

-…DONC, à la mort de Fatima, je disais... Ah, oui, le repas avec mes frères et mes belles-sœurs. Donc, voilà que... Pardon, tu demandais si ma nièce Pâquerette en faisait partie ? J’y arrivais. Oui, et elle est belle, et tu as raison… Plus que belle ? Si tu veux ! 
Bon. Pour rigoler, parce que moi, le funèbre j'évite et sans doute parce que j’avais envie de choquer tout mon petit monde, et pour bien faire rigoler notre pauvre mère défunte pas encore froide, je sors, sans avoir l’air d’y toucher :
- Fatima avait des amants. Sûr. Pas croyable, hein ? Que je vous dise...
-Comment peux-tu parler ainsi de la mère ? Tous auront reconnu mon grand frère qui m’énervait avec ses « la mère ». La mère-ci, la mère-ça, la mère-là… Ta mère, oui !
- Oui, la mère, comme tu dis avait des amants. Normal, c’est la vie.

- Pâquerette ? Faut voir la beauté. Vous la connaissez, vous ?
Et l’autre, en aparté s'escrimait le plus naturellement du monde à captiver mon auditoire tandis que je tentais à toute force de le retenir pour poursuivre.
- Non, je ne connais pas la vraie famille de Gilles. Tous aurons reconnu la belle voix sombre de baryton d'Américo qui ne me suivait plus. Et l'autre :
- Pâquerette ? Mais oui, fallait la voir : une brune, fine, intelligente, des yeux incroyable, des yeux et un sourire qui découvrait joliment ses dents. Ah, ses dents… Elle doit être devenue une belle femme !
- Oui, Pâquerette est vraiment une belle femme. Elle est même une artiste plasticienne renommée… Donc, Pâquerette... 
 
Commence à m'énerver, l'autre à me saucissonner ainsi la parole. Tout mon monde suit bien ? On y est tous ? Continuons. 
- Fatima avait des amants. Je peux vous les citer, peut-être pas tous mais l'horloger, sans doute, tu sais la fibule, c'est lui, et Um Barack, je présume et encore... tiens le coffre berbère qu'on se dispute, c'était aussi... Et, mon grand frère :

- T'as pas honte de raconter ça ? Pâquerette, n’écoute pas. Que des conneries.
- Bon, j’arrête. Te fâches pas.
- Non, tonton, continue ! S’il te plaît, tonton, allez raconte, raconte encore…
Je m’apprêtais à peaufiner mon histoire et à faire dorer ma baguette de pain pour la rendre plus croustillante, quand :
- J’aimerais bien la revoir, Pâquerette. Y-a longtemps, bien longtemps. Et qu’est-ce qu’elle devient, Gilles ? Tu as de ses nouvelles, depuis le temps ?
Ici, notez que l’aparté n’en est plus un puisque l’adresse m'interpelle. 

- Donc, Paquerette… si j'ai de ses nouvelles ? Si on veut… mais, non ! Et donc… mais, qu’est-ce que je disais déjà ? Ah, oui ! Parce que, tout petit, j’avais peut-être quatre ans à Yakouren, ce devait être un novembre froid et pluvieux comme ces derniers jours au Vigan, pensez à 800 mètres d’altitude, le crachin, la pluie incessante, un brouillard continu qui refusait de se lever, la boue, l'humidité et, dans une maison bien sombre derrière le café maure, nous, bambins tournions autour de quelques femmes du village... Pardon ? Si ma mère fréquentait les femmes du village ? De quel village veux-tu parler, de l’européen ou de l’autochtone, celui qui pitonne ? Mais, on s’en fout… Donc, elles se tenaient accroupies près du kanoun*... Oui, en copines à se raconter des histoires en riant, tant heureuses qu'elle en oubliaient la tristesse dehors et la misère du mauvais temps d'antan.
- C'est normal, c'était la pauvreté partout et devait faire bigrement froid à l'époque, mais, Fatima, ta mère, moi je la revois toujours souriante...

- .... Oui, souriantes et heureuses ! Toutes ! TOUTES LES FEMMES. Je peux ? Je continue donc : toutes, elles étaient TOUTES à se chauffer, jupes relevées sur leurs cuisses… Pardon ? Des cuisses blanches, pas bronzées ? Effectivement, en Kabylie, tu as raison, seul le visage des femmes est bronzé… intéressante, ta remarque sur les cuisses blanches mais dans la pénombre, j'ai pas bien vu.
- Et Pâquerette, toute jeune avait hérité de la beauté et de la malice de sa grand mère... C'était quelque chose ! L'apercevoir, c'était voir ta mère. Et elle a assisté à l'enterrement ? Tu es sûr ?
Merde, alors !
*Kanoun : trou d’environ 40cm de diamètre et profond d’une trentaine au centre de la pièce à vivre qui contenait le feu indispensable à la cuisine et à réchauffer la maison.

Et l’autre, chez-moi, et sans se gêner pour autant continuait à détourner mon auditoire :
- Oui, tu as raison, Gilles : Pâquerette était bien au Vigan pour la mort de sa grand-mère... Je la revois en pleurs à la chapelle et surtout parce qu'avec Julie...
- Julie, et allez donc ! Elle aussi participait à la veillée. Donc, Pâquerette m’encourageait : « Continue, tonton ! » et mon grand frère qui faisait la gueule, et ma sœur préférée, avec les mêmes yeux rigolard que Fatima attendait, ravie la suite de l’histoire qu'elle savourait particulièrement, connaissant bien Fatima, "la mère" de mon grand frère.
- Mais, tu es sûr qu’à quatre ans on peut se rappeler… Incroyable ! Tu es bien sûr de toi ?

Tiens, curieux, cet incroyable incroyable. Hésitons encore un peu, je vous en conjure avant que de n'exploser !
- Quatre ou cinq ans… On s'en fout, non ? Donc, de nos dames, accroupies en cercle près des braises ne sortaient que des « iiiiii, ah ! » et des « Ah, iiiii ! », les « ah ! » longuement exhalés et les « iiiiii » aspirés, dents serrées, le tout accompagné de plein de rires.
- Non, mais tu es sûr parce qu'à 5 ans, tu sais bien qu'on adopte souvent des "souvenirs" qui n'en sont vraiment pas et que, comme le dit si bien Lacan on t'aura raconté... et toi, tu les fais tiens. Possible, non ?

- Le Kanoun, le kanoun... Dis, p’tit père, tu commences, toi aussi à m'échauffer sérieusement. Tu me rases avec tes apartés suffisamment fort pour que je les entende, et ça me gêne. Nous sommes quatre à table. J’ai trois auditeurs pour cette histoire. Moins toi-même, tu m’en piques deux dans tes apartés. Il m’en reste combien ? Zéro. J’espère que tu remarques que le maître de maison, c’est encore moi, pas vrai ? Et puis moi, dans tes sempiternelles histoires d’assurance de voitures, hein, ai-je l'habitude de te couper la parole pour te signifier que je n'en ai rien à faire de tes misères ? Est-ce que j’esquinte tes effets juste pour te suggérer grossièrement que tu ne dirais que des conneries inintéressantes, ou que tu travestirais la vérité ? Tu as fini par me dégoûter de cette jolie histoire sur Fatima. Merci bien !
Oui, dégoûté et crois bien qu'elle aussi te remercie !

La fin de mon histoire ? Pas question. L’autre m’a tellement gonflé que je n’ai plus le cœur à la finir. Tant pis pour vous. Fallait pas m'énerver. Désolé.