dimanche 27 novembre 2016

Le kanoun.


Tiens, pour vous remonter un peu le moral, ce petit texte heureux. Promis, juré, craché :
Croix de bois, croix de fer, 
Si je meurs que j'aille en enfer ! 
Et, allez ! C'est parti !

Tout d'abord, pour vous faire languir, je vous tiendrai une affirmation qui fera bondir toutes ces dames et quelques hommes qui voudraient passer auprès d'elles pour de parfaits galants. Hommes et femmes sont bien différents, non pas au niveau du nombre de côtes comme pourrait le suggérer la Bible et, notez bien que nous ne traiterons pas des forces physiques, sachant que je connais une karatéka, un tout petit bout de femme, pas même 50kg qui serait capable de m'étendre d'un simple atémi...
Allons-y. Par exemple, vous remarquerez que la femme a plus de prédispositions à faire plaisir à l'homme en lui faisant la cuisine journellement, en s'occupant de sa lessive, de la couture, de son ménage, de leurs enfants. Disons que ce don naturel l'amuserait grandement, soyez-en convaincu.

Tiens, moi-même, et certains se reconnaîtront, chaque fois que je dois dresser la table ou passer à la vaisselle, je casse. Ici, une tasse à café ou sa soucoupe. Sans importance, chéri, ce n'est pas mon service à café préféré. Tiens, Fanny, je ne savais pas... Là, une flûte à champagne à notre Noël 2012. Trop fortement essuyée. Pour bien faire, j'y avais mis du cœur.
 - Tire-toi de là, imbécile ! Tu as des mains en carton, ou quoi ! C'est pas possible d'être aussi broum-broum.  On les lave à l'eau très chaude et on les pose sur l'égouttoir. Pas de savon et pas besoin d'essuyer. Elle t'a rien appris ta première femme ?

- Maman, pas de quoi faire un drame, il nous en reste encore cinq.
Oui, maman, c'est Fanny. Elle n'aime pas que je l'appelle maman, mais chez moi, c'est un réflexe. J'y peux rien. Depuis, elle m'interdit de toucher à ses services de table et surtout de laver la vaisselle. Même que j'avais cassé l'aspirateur en tirant trop fortement sur le fil. Tricard de tous travaux ménagers depuis 2012, ce qui m'attriste vraiment alors que j'aimerais tant faire plaisir à ma Fanny, tant je l'aime. Oui, mais, chaque fois que je tente de me rendre utile, elle bondit puis elle boude. Pas croyable. Bon, c'est vrai que j'ai des mains en chiffon, un atavisme chez les hommes, un véritable don de la nature. Merci mon Dieu !
- Tire-toi de mes pieds. Tu vois pas que tu gènes ?

Interdit même de faire tourner la machine à laver le linge depuis que j'ai mis sur 90° son beau pull en cachemire bleu. Oui, le bleu, c'est la couleur la plus difficile à atteindre dans la perfection d'un ton sublime qui charmerait l’œil, un pull ressorti rétréci de la taille d'un habit de poupon de celluloïd et tant durci que, même pour mon pull blanc agrémenté d'un anneau arc-en-ciel, il n'y avait pas moyen d'enfiler la tête du poupon. Un gâchis, quoi. Fanny a apprécié, croyez-le.
Dommage. J'aurais dû lui demander de les garder pour les accrocher au mur tant les couleurs de l'anneau avaient foncé et le motif, miniaturisé en faisaient une œuvre d'art ! Quant au bleu de son pull, devenu plus sombre, une splendeur.  On aurait voulu faire pareil, on ne s'y serait pas pris autrement.

Mais alors, si les femmes sont plus douées que nous pour les tâches ménagères, en quoi sommes-nous meilleurs qu'elles? Réfléchissons. Pour gagner de l'argent, gérer le ménage, économiser ? Même pas. En politique familiale ou sociale ? Non, pas même car Fanny est vraiment plus douée que moi, chapeau ma dame !
Et, sans parler d'Anna Maria même qui arrive à me filer de ces raclées au Scrabble :
- Mon pauvre ami. Tu es toujours aussi nul dans tes conjugaisons de verbes.
A 82 ans, elle m'en remontre encore, sauf que, pour la faire bisquer, 
- Ta remarque anoure est vraiment sans tête, très chère.
- Anoure, tu n'auras pas au moins oublié la grenouille de Sciences Expérimentales.
Tiens, curieuse différence car les filles semblaient posséder un don, naturel il me semble pour constater de l'effet d'un courant continu dans la moelle épinière des grenouilles dépiautées. Berk ! Degusting, dear.
- Laisse tomber, Anna. Je badinais.

En quoi sommes-nous plus doués que les filles ? Pour pisser n'importe où et droit contre un arbre, ma mère y arrivait aussi bien qu'un homme. Non. Dans la grossièreté ? Pas plus, à constater ici tous doigts et bras d'honneur et autres gros mots lancés par de jeunes et belles conductrices et naguère réservés aux seuls hommes que certaines vilaines adoptent depuis peu dans leur conduite automobile à la Fangio en lieu et place d'un gentil sourire qui pardonneraient vos écarts de conduite, non. 
Pourtant, là où nous leur sommes supérieur, et vous le constaterez tous les jours c'est dans le domaine de la parole, surtout pour couper ou stopper un discours trop long d'un applaudissement ou d'un hennissement de cheval intempestif. En connaîtriez-vous des femmes maître dans cet art particulièrement masculin ? Non, elle n'ont pas hérité de ce don divin, préférant calmer le jeu ou détourner la conversation sur des sujets plus anodins.     

Je vous avais déjà présenté cet artiste dans le genre, toujours le même qui, lorsque vous tentez d'amuser la galerie en vous mettant à votre avantage, pensez vous êtes doués dans la narration, ce malotru se permet de faire ce qu’il appelle des apartés à haute et intelligible voix avec un naturel, un de ces naturels incroyables ? Mais, si vous le connaissez bien ! 
Mais, non, rassurez-vous je ne parle pas de vous mais de lui, l'autre empêcheur de jouir.
Quand bien même seriez-vous parano, ces interruptions intempestives ne signifient en rien qu’on n’apprécie ni la forme ni le fond de votre histoire et, par delà, tout le mépris qu’on vous porterait. Non, non ! N'y voyez qu'une aide amicale apportée pour émailler agréablement votre discours un peu confus, reconnaissez-le, et rappelez-vous que vous êtes un tantinet limite parano et que vos auditeurs, les pauvres seraient du genre à comprendre vite même s'il faut leur expliquer longtemps. 
Ah, voyez, et que l'interrupteur prenne bien tout son temps.  Merci bien, et pourquoi vous gêneriez-vous, très cher ami ?
 
- A la mort de ma mère Fatima…
- Ah ! Fatima ! Elle me manque beaucoup… vous l’aviez connue, vous, Fatima ?
- A moi aussi elle manque… donc à la mort de Fatima nous faisions une veillée funèbre chez Markus à Prat Coustal, toute la famille, une fois n'est pas coutume...
- Markus, revenu d’Afrique, tu en es sûr ? Ah, bon. Moi,il me semblait qu’à la mort…

-…DONC, à la mort de Fatima, je disais... Ah, oui, le repas avec mes frères et mes belles-sœurs. Donc, voilà que... Pardon, tu demandais si ma nièce Pâquerette en faisait partie ? J’y arrivais. Oui, et elle est belle, et tu as raison… Plus que belle ? Si tu veux ! 
Bon. Pour rigoler, parce que moi, le funèbre j'évite et sans doute parce que j’avais envie de choquer tout mon petit monde, et pour bien faire rigoler notre pauvre mère défunte pas encore froide, je sors, sans avoir l’air d’y toucher :
- Fatima avait des amants. Sûr. Pas croyable, hein ? Que je vous dise...
-Comment peux-tu parler ainsi de la mère ? Tous auront reconnu mon grand frère qui m’énervait avec ses « la mère ». La mère-ci, la mère-ça, la mère-là… Ta mère, oui !
- Oui, la mère, comme tu dis avait des amants. Normal, c’est la vie.

- Pâquerette ? Faut voir la beauté. Vous la connaissez, vous ?
Et l’autre, en aparté s'escrimait le plus naturellement du monde à captiver mon auditoire tandis que je tentais à toute force de le retenir pour poursuivre.
- Non, je ne connais pas la vraie famille de Gilles. Tous aurons reconnu la belle voix sombre de baryton d'Américo qui ne me suivait plus. Et l'autre :
- Pâquerette ? Mais oui, fallait la voir : une brune, fine, intelligente, des yeux incroyable, des yeux et un sourire qui découvrait joliment ses dents. Ah, ses dents… Elle doit être devenue une belle femme !
- Oui, Pâquerette est vraiment une belle femme. Elle est même une artiste plasticienne renommée… Donc, Pâquerette... 
 
Commence à m'énerver, l'autre à me saucissonner ainsi la parole. Tout mon monde suit bien ? On y est tous ? Continuons. 
- Fatima avait des amants. Je peux vous les citer, peut-être pas tous mais l'horloger, sans doute, tu sais la fibule, c'est lui, et Um Barack, je présume et encore... tiens le coffre berbère qu'on se dispute, c'était aussi... Et, mon grand frère :

- T'as pas honte de raconter ça ? Pâquerette, n’écoute pas. Que des conneries.
- Bon, j’arrête. Te fâches pas.
- Non, tonton, continue ! S’il te plaît, tonton, allez raconte, raconte encore…
Je m’apprêtais à peaufiner mon histoire et à faire dorer ma baguette de pain pour la rendre plus croustillante, quand :
- J’aimerais bien la revoir, Pâquerette. Y-a longtemps, bien longtemps. Et qu’est-ce qu’elle devient, Gilles ? Tu as de ses nouvelles, depuis le temps ?
Ici, notez que l’aparté n’en est plus un puisque l’adresse m'interpelle. 

- Donc, Paquerette… si j'ai de ses nouvelles ? Si on veut… mais, non ! Et donc… mais, qu’est-ce que je disais déjà ? Ah, oui ! Parce que, tout petit, j’avais peut-être quatre ans à Yakouren, ce devait être un novembre froid et pluvieux comme ces derniers jours au Vigan, pensez à 800 mètres d’altitude, le crachin, la pluie incessante, un brouillard continu qui refusait de se lever, la boue, l'humidité et, dans une maison bien sombre derrière le café maure, nous, bambins tournions autour de quelques femmes du village... Pardon ? Si ma mère fréquentait les femmes du village ? De quel village veux-tu parler, de l’européen ou de l’autochtone, celui qui pitonne ? Mais, on s’en fout… Donc, elles se tenaient accroupies près du kanoun*... Oui, en copines à se raconter des histoires en riant, tant heureuses qu'elle en oubliaient la tristesse dehors et la misère du mauvais temps d'antan.
- C'est normal, c'était la pauvreté partout et devait faire bigrement froid à l'époque, mais, Fatima, ta mère, moi je la revois toujours souriante...

- .... Oui, souriantes et heureuses ! Toutes ! TOUTES LES FEMMES. Je peux ? Je continue donc : toutes, elles étaient TOUTES à se chauffer, jupes relevées sur leurs cuisses… Pardon ? Des cuisses blanches, pas bronzées ? Effectivement, en Kabylie, tu as raison, seul le visage des femmes est bronzé… intéressante, ta remarque sur les cuisses blanches mais dans la pénombre, j'ai pas bien vu.
- Et Pâquerette, toute jeune avait hérité de la beauté et de la malice de sa grand mère... C'était quelque chose ! L'apercevoir, c'était voir ta mère. Et elle a assisté à l'enterrement ? Tu es sûr ?
Merde, alors !
*Kanoun : trou d’environ 40cm de diamètre et profond d’une trentaine au centre de la pièce à vivre qui contenait le feu indispensable à la cuisine et à réchauffer la maison.

Et l’autre, chez-moi, et sans se gêner pour autant continuait à détourner mon auditoire :
- Oui, tu as raison, Gilles : Pâquerette était bien au Vigan pour la mort de sa grand-mère... Je la revois en pleurs à la chapelle et surtout parce qu'avec Julie...
- Julie, et allez donc ! Elle aussi participait à la veillée. Donc, Pâquerette m’encourageait : « Continue, tonton ! » et mon grand frère qui faisait la gueule, et ma sœur préférée, avec les mêmes yeux rigolard que Fatima attendait, ravie la suite de l’histoire qu'elle savourait particulièrement, connaissant bien Fatima, "la mère" de mon grand frère.
- Mais, tu es sûr qu’à quatre ans on peut se rappeler… Incroyable ! Tu es bien sûr de toi ?

Tiens, curieux, cet incroyable incroyable. Hésitons encore un peu, je vous en conjure avant que de n'exploser !
- Quatre ou cinq ans… On s'en fout, non ? Donc, de nos dames, accroupies en cercle près des braises ne sortaient que des « iiiiii, ah ! » et des « Ah, iiiii ! », les « ah ! » longuement exhalés et les « iiiiii » aspirés, dents serrées, le tout accompagné de plein de rires.
- Non, mais tu es sûr parce qu'à 5 ans, tu sais bien qu'on adopte souvent des "souvenirs" qui n'en sont vraiment pas et que, comme le dit si bien Lacan on t'aura raconté... et toi, tu les fais tiens. Possible, non ?

- Le Kanoun, le kanoun... Dis, p’tit père, tu commences, toi aussi à m'échauffer sérieusement. Tu me rases avec tes apartés suffisamment fort pour que je les entende, et ça me gêne. Nous sommes quatre à table. J’ai trois auditeurs pour cette histoire. Moins toi-même, tu m’en piques deux dans tes apartés. Il m’en reste combien ? Zéro. J’espère que tu remarques que le maître de maison, c’est encore moi, pas vrai ? Et puis moi, dans tes sempiternelles histoires d’assurance de voitures, hein, ai-je l'habitude de te couper la parole pour te signifier que je n'en ai rien à faire de tes misères ? Est-ce que j’esquinte tes effets juste pour te suggérer grossièrement que tu ne dirais que des conneries inintéressantes, ou que tu travestirais la vérité ? Tu as fini par me dégoûter de cette jolie histoire sur Fatima. Merci bien !
Oui, dégoûté et crois bien qu'elle aussi te remercie !

La fin de mon histoire ? Pas question. L’autre m’a tellement gonflé que je n’ai plus le cœur à la finir. Tant pis pour vous. Fallait pas m'énerver. Désolé.

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