vendredi 25 mars 2016

Le berger à l'estive.


Toujours 1975 avec une douzaine de jeunes en randonnée, crapahutant et campant dans le massif de l’Aigoual quatorze jours durant, nous arrivions à l'étape du soir à Camprieu, 204 habitants l'hiver, village de l'ancienne commune de Saint Sauveur de Pourcils et situé près de l'abîme de Bramabiau dans la vallée du Bonheur, à 1100 mètres d'altitude et centré sur un vaste plateau enclos de forêts profondes réservé à la transhumance des ovins. Et où il n’était nulle épicerie digne de ce nom, ce qui inquiétait Crespin, 16 ans, l’économe du groupe. 
Mais Camprieu accueillait l'été de jeunes estivantes qui intéressait mes gars et particulièrement Bernard, notre jeune banquier et responsable à la sécurité du camp ainsi que Michel, notre éclaireur, ce qui me chagrinait. Mais, pourquoi fallait-il qu'elles s'intéressent à eux, et que ça tombe sur moi ?

Donc, des victuailles pour environ trois jours achetées à notre deuxième passage à l’épicerie de L’Espérou, et le pain que l’on prenait à l’Auberge du Bonheur. Et tout allait pour le mieux. Mes gars jouaient à cachette, aux gendarmes et aux voleurs avec Michel et son pistolet à bouchons, sans compter la gentille drague aux filles du plateau, les trempettes rafraîchissantes dans le lac, les petites incursions alentours, le feu de camp et les chants. Les chants... et les brebis, les brebis et les filles.
Et encore et toujours cette maudite bouffe qui nous prenait tout notre temps. Nos lessives, un peu moins. 

Dans cette vallée du Bonheur, près du lac se tenait un berger à l’estive, notre voisin qui avait charge d’un millier de brebis, quelques unes lui appartenant, les autres d'éleveurs des basses Cévennes et qu'il rentrait à la fraîche pour les garder dans une longue bergerie ouverte sur les deux largeurs en forme d’auvent gigantesque protégeant des chaleurs du jour ou de possibles orages d’été de montagne particulièrement violents. Mes gaillards allaient lui rendre visite, presque à la nuit lorsqu’il avait rentré le troupeau. Et cela me rassurait, car je savais où ils se trouvaient. Et pourtant...

Tous vivaient leur séjour comme des chiots fous. Tous. Sauf Crespin, pour d’évidentes raisons de ravitaillement, et moi pour cause de bergerie et de drague car je ne comprenais pas comment un troupeau en transhumance pouvait captiver à ce point une grande partie de mon gang qui échappait ainsi à ma vigilance pour s’en allait tenir compagnie à des brebis. En ce qui concernait les filles et la drague ? Fallait se faire une raison : de leur âge.

Le conseil d'un soir, à l'initiative de Crespin décida de décamper le lendemain. Après le feu de camp, m'en allant pisser dans le noir et près de leur tente,  je surpris des chuchotis de Bernard et Michel qui entraient en résistance. Figurez-vous qu'ils s'étaient dégotté deux petites nanas et ne comptaient pas dégager de sitôt. Mince, alors ! Les seuls qui pédalaient toujours dans la choucroute à la drague, devenus seuls bons dénicheurs d'oiselles, seraient-ils enfin tombés en amour ? La tuile.
J’en fis aussitôt le rapport à Crespin qui s’en chargerait au matin. Au mieux, disait-il.

Les décisions de Crespin ne se discutaient pas. Il autoriserait Bernard et Michel à rester une journée supplémentaire après notre départ prévu demain matin, mais une seule. Pas la nuit.
- C'est bien. Çà évite les conflits inutiles. Mais pense à trouver un remplaçant à la sécurité du camp. On ne peut s'en passer pour la marche de demain. 
L'après-midi, alors que l’économe et moi revenions du village, un de mes jeunes arriva tout essoufflé :
- Y-a un garde du Parc. Pas content. Il veut te voir. Il est en colère parce que Michel faisait péter des bouchons.
Le garde m’attendait, assez ennuyé, mais calme.
- Vous savez qu’il est interdit de camper ? Et de faire du feu ? Et de chasser ?
- Je le sais bien. Mais vous avez remarqué l’organisation et l’emplacement du feu de camp. Aucun risque. Et pas de détritus qui traînent. Tout est parfaitement sécurisé.

- Je reconnais. Mais, si je ne dis rien à vous, tout le monde fera pareil, et nous aurions des problèmes. Quant au fusil de chasse, je ne vous demande pas où vous l'avez caché, vous ne me le diriez pas, et là, vous êtes prévenus, c’est la gendarmerie.
- Michel, tu as le pistolet à bouchons ? Caché ? Va le chercher.
-Même ça, c’est interdit dans le parc. Pour le bruit. Pour cette fois, je ne dresserai pas procès-verbal, au vu de la tenue de votre campement. Mais, demain il vous faudra avoir dégagé et remis l’emplacement en état. Sans faute.
- Je vous remercie bien, Monsieur, mais nous avions déjà décidé de lever le camp demain matin pour Trèves.  Poignée de main et le garde s’en est allé.

Petite engueulade des familles à Michel. Merci pour le garde. Et, non ! Non, le pistolet c'est pour ton boulot d'éclaireur, pas pour jouer au gendarme et aux voleurs. Point final. Puis visite en fin d'après-midi avec l’économe à notre jeune berger qui logeait dans une petite cahute près de son millier de brebis qui, elles, se reposaient dans un enclos et y passeraient la nuit qui s'annonçait belle.
Et, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir un bouc dominant ses femelles. Royal ! Et en plein milieu du troupeau, coincé comme si elles voulaient le protéger et l'empêcher de s'en aller. Mais, c’est énorme, un bouc ! Faut voir. Pas croyable ! Et va le sortir de là, cet engin.
- Et, pourquoi pas un bélier, monsieur ?
- Pour exciter mes brebis ? Le bouc peut les contenter toutes pareil, mais sans risque.
- Tiens, me disais-je, je n’y aurais pas pensé. Etrange chose que des femelles qui coincent ainsi un bouc.

- Venez, entrez. Vous prendrez bien un peu de fromage. Avec du pain. J’ai aussi du vin et de la gnôle, vous verrez. Goûteuse. Effectivement, mais âpre au gosier. Puis, mes gars se pointèrent sans se douter de ma visite au voisin berger.
- Un p’tit coup de vin, de gnôle les gars ? Du fromage ?
- Non, merci, monsieur Vincent.
- Comme vous voudrez, les p'tits gars. 

Là, il a fallu faire comprendre à monsieur Vincent que la gnôle ne convenait pas à des petits gars qui lui paraissaient de grands garçons, mais pas à moi. Trop jeunes. Aucun problème avec le fromage, de couleur rouille, si ce n'est qu'il était dur comme du bois, toutefois rendu excellent par plus d’une année d’affinage. Et, avec un seul petit morceau à suçoter, vous en aviez pour des heures à garder le goût en bouche :
- J’en cache dans le foin pour l’année suivante, même que des fois j'en retrouve deux ans après. Toujours bons.
J’étais, ce jour-là, rassuré sur les visites de mon petit troupeau à la bergerie tout en espérant que le pâtre m’entendrait. Quant à mes jeunes, on pouvait toujours espérer, et on verrait bien à leur retour pour le repas du soir s'il s'étaient arsouillés et mis propre. Mais, qu'y faire ? C'était leur dernier soir

Notre séjour à la vallée du Bonheur finissait sur le feu de camp et les chants, avec un Michel et un Bernard qui ne faisaient plus la gueule. Ce soir, tous étaient heureux de leur séjour à Camprieu, surtout Crespin, l'économe, content de pouvoir enfin s'échapper de cette vallée du Bonheur.

mardi 22 mars 2016

Vers le Bonheur.


Il est vrai que, comme l'a bien rendu dans son dessin René Bouschet qu'au départ je soupesais le sac de chacun. Les plus costauds devaient porter le plus de matériel du camp. Quand aux cigarettes, interdiction absolue de fumer durant la marche, seulement à la halte, et obligation d'enterrer son mégot, cette bonne règle venant du feu que nous avions mis à Prat Coustal et qui risquait, en gagnant les petits genêts moutonniers de montagne, de fiche le feu à tout un pan, au dessus de la Cravate. En jouant à cache-cache. Un truc de fou, incroyable. Je vous raconterai un de ces quatre. Mais, revenons à nous moutons.

A la bergerie de la Luzette, la veille de notre départ, en voiture j’avais déposé  des  provisions pour trois jours, boîtes de conserve, pain frais et 1 bon mètre 50 de saucisse de boucherie placés dans un récipient étanche qui trempait, caché dans le ruisseau, mais saucisse qui manquera à l'appel à notre arrivée, chose inexpliquée au vu des conserves et des baguettes de pain retrouvées. 

A la Luzette, deux jours à jouer au foot, dans une clairière en pente sévère, et parties de cache-cache, sans compter dix ans à faire chauffer la tambouille qui occupait toute notre vie ; sans oublier la recherche de cèpes qu'avec la sécheresse sévissant, on pouvait toujours espérer, et à farnienter au soleil brûlant d'altitude de juillet, torse-nu, baroulant la nuit, et toujours chantant ; puis, finir par s’endormir, fatigués près du feu de camp, le tout, comme de bien entendu interdit par le Parc. Mais on se foutait de tout, heureux à résister en bons cévenols.
Ces journées d'isolement en pleine montagne étaient nécessaires à la structuration du groupe, chacun devant y trouver sa place, pour l'occuper justement.

Troisième jour, direction l’épicerie de l’Espérou, à quelques bons kilomètres de là. Par les bois, à plus de 12 cents mètres d'altitude.
-Je crois qu’il y en a un qui a piqué des cartes postales. Sous son pull. Merde ! Je fais quoi ?
-Ton problème, Crespin. De ta responsabilité. Veux pas savoir.
-Ah, ouais ? Crespin se débrouilla comme un chef, après le discret :
-Viens par là, imbécile. Oui, sous ton pull… Et t’a pas fait exprès !
-Madame, on a oublié de vous payer ces cartes puis, à la sortie de l’épicerie :
-N’oublie pas que tu me les dois. 

Le soir, à la bergerie de la Luzette* Crespin parla doctement du vol et de la vie de groupe. Pourquoi "ni on ne vole, ni on ni pisse dans sa salle à manger, encore moins dans la cuisine, mais bien plus loin" ? Pourquoi ? Parce que ! Quant aux chapardeurs, sachant que dans les villages que nous traverserions il n’était jamais qu’une seule épicerie, si en plus on se faisait une réputation de chacals par la faute d’un seul, ce n’était plus possible d'avoir des prix, et alors tout le groupe en pâtirait. Et devrait dégager. 
Discours reçu cinq sur cinq. Je rappelais les Gendarmeries, pas prévenues de notre passage… rien de bon pour nous. Résultat ? Notre chacal de l'Espérou, Crespin se l'attacha d'office comme aide-économe.  
-Ça lui apprendra, terminait le sermon sur la montagne de Crespin, économe de ses mots.
*La "bergerie" n'était en fait qu'un des logements en dur de bergers lors des haltes sur le chemin de la transhumance.

Le lendemain, retour à l’Espérou que nous dépassions pour monter vers le col de la Séreyrède, puis direction Saint Sauveur de Pourcils pour arriver au lac où il était décidé de poser le camp qu'avant de partir j’avais reconnu avec Bernard et Michel, notre éclaireur.
Toute notre zone d’activité prenait place dans le Parc National des Cévennes où il était devenu strictement interdit de camper, de faire du bruit alentours, encore moins du feu. Et pas question de chasser, ni tirer. Mais moi, à l’époque, n'en ayant cure, j'estimais que, plus âgé que ce parc je m’autorisais une sorte de droit coutumier. Et rien à cirer des gardes et de leurs règlements.

Arriver au lac, par la route et les chemins, sac au dos chargé est harassant, surtout sous le soleil de juillet. Bernard et Michel organisèrent notre camp de tentes dans une clairière retirée des chemins, la sécurisation de l’endroit du feu de camp étant rigoureuse.
Tous les soirs, une réunion de responsables, hors des autres membres du groupe se tenait sous la direction de l’économe, véritable patron du camp. Y était décidé tout ce qui concernait notre vie.

-Beaucoup n’ont pas d’agent de poche, pas normal. Et quand tu n'as pas d'argent, tu voles. Que fait-on, si ce n'est de la surveillance... Tu dis quoi, Crespin ?
-Tu voles. Tu volerais, toi ? D'accord... Denis, recense l'argent de chacun. Et pas de triche.
-Bien, mais après, on fait comment ?
-Après ? Avec la liste de Denis, on donne ou on comble et que tous aient 300 francs.
-Très généreux, Crespin. Mais, tu justifieras comment au comptable du centre, hein ?
-Gilles ? Des fausses factures à équilibrer les comptes, tu connais ? Bernard contrôlera. Cool ! Et, pense à me donner les reçus des pellicules photo et de tes achats personnels. Pardon ? Bien évidemment que tu paies de ta poche. Ça va pas, non ?

Le camp bien stabilisé, il est décidé de la veille que nous irions manger à la fameuse Auberge du Bonheur. Dans la matinée, Crespin s’en alla négocier le menu.
-Demande à ton collègue, à sa femme et à ses filles de nous rejoindre. Ce sera chouette !
Le soir, belle ambiance, repas de rêve pour ces jeunes qui ne connaissaient du restaurant que le nom.
-J’aimerai l’addition, Madame. Coup œil inquiet de la serveuse.
-Oui, Madame. C’est le responsable du camp. Pendant que Bernard réglait :
-J’aimerai, s'il vous plaît que vous me fassiez une facture majorée de 20%.
Nouveau regard inquiet de la serveuse, qui se rassura au vu du pourboire que lui laissa Crespin. Donc, voila Bernard au règlement, Crespin aux fausses factures, le groupe au contrôle des comptes, et nul besoin d'initier quiconque à la comptabilité.

Mais, plaie d'argent n'étant pas mortelle, voila que tout cela n'était que du bonheur. Et pourquoi ne pas tricher un peu, à l'occasion ?
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NB : rassurons les très vieux parent encore vivants, et que je salue ici, parents de mes aujourd'hui bien vieux chacals, en avouant que le pistolet en cause dans le premier épisode n'était qu'à bouchons. Confié à Michel, l'éclaireur qui en avait besoin sachant que, dans les forêts denses de douglas, une détonation pour repère s'entendait de plus loin qu'un sifflet ou que la voix.
Oh, rien qu'un tout petit pistolet de gosses interdit par le Parc National des Cévennes, car cela fait peur aux sangliers ! Qui mettent à bas tous les murets cévenols.

dimanche 20 mars 2016

Direction, le Crestat.



Educateur responsable d’un groupe de jeunes de 14 à 20 ans, dans les années 1971-82, je pratiquais la randonnée pédestre les week-ends avec quelques ados, souvent les mêmes. Un noyau de durs à l’effort s’était formé autour de moi, durs à cuire car les marches en Cévennes sont tant exigeantes que l'on ne peut s'y reposer que sur le plat, et que le plat, comme au Crestat ou sur la Luzette, ne durent jamais bien longtemps.
Le reste de la randonnée ? Oh, simple. Suffit de
courir les bois et les landes par les chemins de crêtes, de combes, et parcourir les serres. Pour finir souvent coincés par des ravins, leurs torrents et des éboulis délicats à remonter.

En juillet, le centre de jeunes de Cavaillac organisait des camps d’une quinzaine de jours, qui à Saint Cyprien, qui à Carcassonne, qui sur le Causse avec les spéléo à retrouver le cheminement des eaux, qui dans les Pyrénées ou ailleurs, et moi, là où cela me chantait. Et, pour mon bonheur, personne ne voulait en entendre parler encore moins m’accompagner.* Top dur.
*Non. Sauf, une fois Gildas à un camp dans l'île de la Bartelasse, pour le Festival d'Avignon. Mais elle ne me connaissait pas bien, et c'est une tout autre histoire.

Chaque camp se composait d’un groupe d’une douzaine d’ado et de deux à quatre accompagnants, éducateurs, techniques, instituteurs et services généraux parfois. A chaque camp que je proposais, et pas que pour mon caractère légendaire, aucun accompagnant ne se voyait en faire partie, ce qui m’arrangeait bougrement. 

Il faut savoir que tous les adultes avaient entendu parler de mes camps qui ne pouvaient qu’être difficiles, toujours organisés en dernière minute et à la va comme je te pousse, enfin, c'est ce qu'ils croyaient. En fait, l'organisation de mes camps se construisait toute l'année, à chaque randonnée que je montais, mais ce qui rebutait mes collègues ne résidait que dans l’entière responsabilité du camp confiée aux jeunes. Et, sans tricher. 
Que ferait-on le reste de l'année avec son groupe, se disaient-ils ?... Alors, à vouloir donner les clefs du camp à des chacals, inimaginable pour un adulte, irresponsable de ma part. Bof ! Je n'en avais cure, à l'époque, et cela m'arrangeait bigrement que l'on me prenne pour un éducateur caractériel.

Avant de partir, j'avais hâte de connaître l’effectif que je réunissais et, nous asseyant dans l’herbe près du centre, discutions l'organisation du camp et de ce que nous ferions. Tout d’abord, c’était un camp de marche, au strict sens militaire, avec randonnée, braconnage (il y a prescription, je le sais), tir au pistolet (encore Makarenko et prescription) et jeux de nuit (réminiscences de mon passé d'éclaireur unioniste). Il me fallait impérativement, après quelques explications, un économe, un banquier, un porte-monnaie, un responsable à la sécurité et un infirmier pour les divers bobos rencontrés. Et d’un jeune responsable en ultime recours.

L’économe, véritable patron du camp était toujours Crespin, comme de bien entendu, et qui, curieusement, ne semblait pas posséder de prénom usuel. Un petit gars binoclard et rondouillard, calme et maniant un discours à la logique imparable. Et toutes les grandes gueules et les forts des halles lui obéissait sans rechigner, faute de quoi il vous mettait plus bas que terre.
Avec le banquier et responsable à la sécurité du camp, Bernard, se tenait Michel, l’éclaireur, tous deux formant un binôme de gaillard sportifs, l’un n’allant pas sans l’autre.

Il était aussi Modeste bombardé infirmier après élections. Malingre, semblant toujours souffreteux, vous ne pouviez que l’aimer pour son calme et sa gentillesse. Et son éternel sourire de gosse qui semblait triste, aussi, tous voulaient le protéger. Mais, lorsqu’il parlait, il pouvait calmer tous les excités.

Il nous restait à élire, bon dernier, le responsable "des fins de mois". Le petit Denis. Je suggérais moi-même sa candidature de volontaire désigné. Sa consigne, d’une simplicité hallucinante consistait à recevoir, de la part du banquier, une modeste somme d’argent qu’après accord de l’économe, et sous le contrôle de tous les responsables, il devrait, par devers lui conserver entière jusqu’à la fin du camp :
-Ca va pas ? Il va se barrer avec le pognon, ce con-là !
Le pognon ? Pas fou, et malgré mes demandes, Bernard ne lui en confiera pas trop.

Il est vrai que Denis était champion en "évasions" à répétition.
-Il va se barrer ? Possible, les gars. Et alors ? Moi je tiens le pari que ce chacal restera jusqu’à la fin du camp pour pas qu’on mange des cailloux à la fin. Pas vrai, Denis ?
Mon pari était gagnant à tous coups, le groupe en étant le garant. Denis n’apprécia pas, surtout la nuit ou lorsqu’on se baignait dans le Trévezel, ayant la hantise de laisser sans surveillance la modique somme à lui confiée. Il avait pour habitude de se plaindre :
-Que des salauds ! Personne ne veut garder l’argent, je peux te le confier et me baigner ?
-Tu te démerdes. Pas mon problème. Salaud ? Je veux, moi aussi. Et pourquoi pas ?

Un seul éducateur accepta de m’accompagner car je n’exigeais rien de lui, encore moins par sa présence, et cela me convenait. En effet, difficile de faire entrer un adulte dans ce groupe bien particulier de jeunes que je plaçais, dès le départ dans toutes ses responsabilités.
J’oubliais de dire que jeune éducateur, j’étais adepte de la pédagogie de Makarenko.

Je dépliais ensuite une carte du coin sur l’herbe et tous discutaient du parcours. 12 jours de randonnée. Dans les Cévennes ? Dans les Cévennes.
Après le départ, Mas des Prés, col des Mourèzes, montée au Crestat, un ancien relai de diligence en ruine sur la crête entre Arpy et Le Vigan. Après, on évite les Vieilles, puis grimpette plus que douloureuses jusqu’à Cap de Côte dans les sapins, à près de 1000 mètres. Tout le monde connait ? Obligé.

On reste trois jours au refuge, pépères. D'accord ? Quel  refuge... tout le monde préfère la bergerie de la Luzette, au dessus de l'ancien relais de diligence de Cap de Côte, sur la Royale ? Soit, car il y a un bon petit ruisseau. Après ? 
Petit tour à l’Espérou, à 1200 mètres d’altitude, à l’épicerie. Pour les cartes postales et les bonbons, puis retour à la Luzette. On est bien d’accord ? Après, l'Espérou, Trèves, séjour plus long à Saint Jean de Bruel et retour au Vigan. On prend Diogène ?
On prend, Diogène mon boxer bringé. 46 kilos de muscles. Un excellent marcheur.