samedi 5 mars 2016

De l'écoute profondément parfaite


M’en revenant de Lisbonne, tout émerveillé de tant de gentillesse offerte par le Portugal à ses invités, à peine sortis de l’avion de 6h35 et remise à l’heure de ma montre, nous sortions de Marignane, direction Sète et environs. La route n’est pas longue. Quelques 167km.

Pas longue, la route ? Sans doute, mais tout ne tient parfois qu'à peu de choses comme, par exemple, une discussion badine, même si abordée en forme de doux reproche, qui m’était adressé en toute bienveillance à ce que j'ai d'abord jugé et se voulait aborder l’écoute profonde, mais discours rugueux qui n'était pas gentil du tout. Mais, pas du tout. Oh, que non !
Que me reprochait-elle ? Une répartie trop vive dans les discussions, de la fougue dans mon phrasé, de la véhémence dans la dispute philosophique pour convaincre ? 
Ah, j'allais oublier tous ceux qui, n'ayant rien à opposer, sous prétexte d'une pseudo-agressivité rompent toute discussion, et se fendraient d'un :

- Ce type ? Ne cherche surtout pas à discuter avec lui ! Trop agressif !
- Oui, mais toi, tu coupes souvent la parole, toi tu as raison, les autres toujours tort. En pratiquant l’écoute profonde, tu saurais qu’il suffit tout simplement…
- A part le sommeil profond, je ne vois pas de profondeur...
- Et, allez ! Voilà que tu continues…
- D'accord, d'accord ! Explique-moi une fois pour toute. Cette écoute, c’est quoi cette chose-là.

- Oh, rien de plus simple : il te suffit d’écouter sans a priori, ni jugement aucun, en laissant l’autre développer son idée, en toute bienveillance. Tu m'entends : sans l’interrompre. Peut-être arriverais-tu, ainsi, à respecter et reconnaître, pour en bénéficier l’apport de ton prochain…
- Comme le juge, yeux mi-clos écoutant "religieusement" les dernières volontés, ma jolie, et n'en ayant rien à cirer ?
-Indécrottable ! Encore à couper la parole. Avec de ces comparaisons... faire semblant d'écouter, c'est du grand n'importe quoi ! C'est pas marrant.

Je la lui baillais belle, tout en prenant plaisir à son babillage par un sourire en coin, ce qui l'énervait, plaisir plus grand encore !
- Ah, tu vois bien que j'ai raison. Tu es d'un négatif. Et énervant, avec ça.
J'aurais bien aimé demander à ma donneuse de leçon si elle ne me prenait pas pour un tambour sourd à toute écoute bienveillante, incapable de saisir, d’entendre et de prendre en compte d’autres arguments que les siens, et incapable de répondre parfaitement à la demande. Quant à la saisir ! Entre-nous, j’avais la vague impression qu’un blocage s’établissait pour durer :
- Mon Dieu, me prendrait-elle pour un parfait connard, me disais-je. Non, pas elle !

Tout en surveillant le GPS, j’ai préféré opter pour "la positive attitude", comme elle sait si bien dire, position difficile à maintenir pendant la conduite d'un véhicule automobile sur autoroute mais qui sied si bien aux bouddhistes, aux prêtres, et autres raconteurs d'histoires qui ne supportent pas la contradiction, tête penchée, oreille tendue vers le locuteur pour une écoute attentive, regard bienveillant, l’invitant à continuer ; tout en attendant de pied ferme des éclaircissements valablement motivés pour atteindre cette zénitude que procurerait l’écoute profonde.

Et j'ai bien besoin de progresser. Oui, parce que ce n’est pas la première fois que l’on dit que je gonfle les gens, que je coupe la parole, que je sanctionne les discours par des jugements… hâtifs ? Je ne sais, mais il se dit que mes propres filtres d’analyse ne serviraient qu’à me protéger de l’autre et de discours que je considérerait de prime abord comme creux, abscons, inutiles, infondés, peu argumentés… Mais, le sont-il ?
Enfin, vif, je le suis, mais je ne pense pas me comporter ainsi. Pardon ? Si ! Je suis ainsi ? Pénible ? Ah  bon !

J'étais convaincu qu'elle se trompait et me jugeait mal, elle qui disait ne préjuger de rien ni personne. Débattre, amener des arguments, comprendre rapidement les discours, apporter la controverse dans des disputes fabuleuses, en toutes vigoureuses empoignades ne permettait pas toujours que l’autre puisse développer son argumentation, soit, mais qui puis-je ? Et cela ne fera jamais de moi un excité du bonnet infréquentable.
Toutefois, je décidais de me bonifier. Enfin, j'essayerai. Non, mais sans blague, et si ça ne fait pas de bien, au moins que ça ne me fasse pas de mal !

Après avoir repris ma petite voiture, je rentrais chez-moi dans nos Cévennes, me promettant toutefois d'éviter de passer trop près du célèbre abattoir du Vigan et, à environ une quinzaine de kilomètres de la mer, dans une montée en rase campagne et en pleine garrigue, après toute une série de virages et une épingle à cheveux, presque au sommet de la côte, sur une sorte d’aire de stationnement déserte utilisée par les chasseurs et les promeneurs, une Mercédès Benz de rêve m’attendait. Et, près d'elle un rastaquouère, à ce que j’ai pu en juger sur le coup qui, tout sourire me pressait de m’arrêter.

Ai-je dit rastaquouère ? Vous en êtes sûr ? Cela m’étonne car c’est un mot qui ne fait pas partie de mon vocabulaire… mais, si vous l’affirmez. Toutefois, ne voyez rien de négatif dans mon propos : c'était un rastaquouère, mais de luxe, cheveux gominé, ceci corrigeant cela.

Donc, le quidam, dans son costume sur-mesure ne semblait pas avoir une bonne tête de chrétien. Pourtant, il ne marquait pas mal … Pardon ? Oui, je sais que les roumains ne sont pas responsables de la gueule qu’ils ont et demeurent, malgré tout de bons chrétiens que je sache. Voyez encore que je ne juge pas… ou si peu ? Ou si peu ! Soit !
Voila donc qu’un bon chrétien, à ce qu’il m’a paru puisque roumain et européen certes, à défaut d’être français semblait me héler du bras pour me demander aide et assistance.

Tout de suite, je me dis que le monsieur avait quelque discours intéressant à me servir. Je m’arrêtais donc, non par charité ou humanité mais dans ce seul souci d’apprendre à comprendre mon prochain, commençant mon stage de l’écoute profonde.
Je baissais donc la vitre côté passager et constatais que je ne m’étais pas trompé dans mon jugement, la grosse croix en or qui se balançait sur sa poitrine velue, sa chemise de soie étant entre-ouverte prouvait à l’évidence que nous avions bien affaire à un chrétien. 

Déjà, je me dis que l’apprentissage commençait mal puisque j'observais trop attentivement le quidam. Et, sachant que de l'observation on glisse bien trop vite vers l'analyse, la synthèse puis le jugement de valeur, je me remis vite dans la position de l’écouteur profond… mais si, vous savez celle avec l’oreille penchée, le regard doux, sourire béat. Non, non... pas le regard matois ! Humble, beato Gil.
- Pardon Monsieur, plus de gas-oil, s’il vous plaît, merci…
Je coupais court, pressé de rentrer chez-moi. Mince. Encore un mauvais comportement de ma part, mais, bon, on fera mieux la prochaine fois !
- Fermez votre voiture à clef. Je vous emmène à la première pompe à essence… si c’est loin ? Environ 10km. Oui, et je vous ramènerai.

Certain d’avoir rassuré le Monsieur, on pouvait y aller. Eh bien, non ! 
- La femme et les enfants, dans la voiture.
Qu'y pouvais-je ? Sa petite famille cachée derrière les vitres teintées de la grosse Mercédès noire toute lustrée, rutilante au soleil semblait lui poser un problème insurmontable. Il ne pouvait abandonner la mamma et les kids. Alors, sortant son portefeuille, le monsieur désignant sa carte de crédit…
- Marche pas. Vous carte de crédit ?…
La belle affaire, et comme il y allait, notre bon roumain. Il me fallait le rassurer :
- Camarade, (je devenais familier, comme si on avait fini par bien se connaître), camarade ! J’ai bien une carte de crédit. Mais, non : pas possible. Nous sommes le 2 du mois et il me reste, tout décompte fait 120 euros pour bouffer et mettre de la benzina à sustenter ma bella ragazza de 26 printemps. 

Ma poubelle de Panda. Déjà 26 ans ? Mon Dieu que le temps passe vite !

Mon ami me montra sa grosse chevalière en or véritable, à ce que je pus en juger, sans avoir besoin de goûter, chose que j’aurais faite si j’avais accepté le marché (le plaqué-or pique la langue) mais je déclinais l’offre, ne voulant pas profiter de la détresse humaine. Ni devenir la dupe d’un type qui me semblait plus roublard que moi, mais moins intelligent. La preuve en est que je rompis.
- Excusez, Monsieur. Je suis trop pauvre. Moi aussi, pas d’argent. Allez ! Bonne chance.

Oui, bonne chance, façon de dire, mais pas pour tous et surtout ceux qui croiseront la route de ce bellâtre et se feront embobiner. Mais, entre-nous, mon écoute fut-elle profonde ? Certainement.
Et, pourtant, dès l'abord j'aurais dû préjuger de l'arnaque : une Mercédès dernier cri, grosse, noire brillante, resplendissante, aux vitres teintées à cacher tous les inavouables, avec chauffeur brillantiné, habillé à la mode gangster américain de la prohibition, chaussures italiennes pointues, en pleine nature… Mais, non, ce n’est pas un cliché que je vous sers-là !
J’oubliais : sachant que sa jauge lui indiquant la panne sèche inéluctable, ne pensez-vous pas que sa carte bancaire inutilisable lui aurait plus servi près de lieux habités ? Ainsi que sa bague en or. Mais, l'était-elle bien en or ?

Et pour finir ce petit conte de ce mercredi 2 février au matin, conte que je n’ai pas inventé, ne nous rappelle-t-il pas que tant qu’il il aura des gogos qui ne jugent jamais les discours pour gober tout ce qu’on leur sert, il y aura des aigrefins, des escrocs, des gourous, des politiques et des dictateurs qui en abuseront : belle voiture, beau costard, beau sourire, gentil discours, appel à la solidarité, et pourquoi pas, en faisant une bonne action ne pas s'offrir une chevalière de grand prix ?… Je t’en foutrai, moi, de l'humanité !

Eh oui ! Moi, j’étais prêt à aider ce rastaquouère. Mais, ma donneuse de leçons qui me suggère fortement d’apprendre l’écoute profonde, se serait-elle arrêtée ? Oh, que non. Au premier coup d’œil, elle aurait saisi la situation, elle qui aime tout le monde et ne juge jamais personne.
Comme si cela se pouvait de supporter, d’aimer et d’écouter n’importe qui ! Autant se boucher les oreilles. Ou finir ermite.

Et pourtant, notre roumain pouvait bien être en panne. Hautement improbable ? Qu’en savez-vous ? 
Mais, entre-nous, n'estimez-vous pas qu'à trop se pencher sur les autres pour les mieux comprendre, ne finit-on pas par prendre un bon coup de pied au cul ? Mérité ? Si vous le dites ! 

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