dimanche 20 mars 2016

Direction, le Crestat.



Educateur responsable d’un groupe de jeunes de 14 à 20 ans, dans les années 1971-82, je pratiquais la randonnée pédestre les week-ends avec quelques ados, souvent les mêmes. Un noyau de durs à l’effort s’était formé autour de moi, durs à cuire car les marches en Cévennes sont tant exigeantes que l'on ne peut s'y reposer que sur le plat, et que le plat, comme au Crestat ou sur la Luzette, ne durent jamais bien longtemps.
Le reste de la randonnée ? Oh, simple. Suffit de
courir les bois et les landes par les chemins de crêtes, de combes, et parcourir les serres. Pour finir souvent coincés par des ravins, leurs torrents et des éboulis délicats à remonter.

En juillet, le centre de jeunes de Cavaillac organisait des camps d’une quinzaine de jours, qui à Saint Cyprien, qui à Carcassonne, qui sur le Causse avec les spéléo à retrouver le cheminement des eaux, qui dans les Pyrénées ou ailleurs, et moi, là où cela me chantait. Et, pour mon bonheur, personne ne voulait en entendre parler encore moins m’accompagner.* Top dur.
*Non. Sauf, une fois Gildas à un camp dans l'île de la Bartelasse, pour le Festival d'Avignon. Mais elle ne me connaissait pas bien, et c'est une tout autre histoire.

Chaque camp se composait d’un groupe d’une douzaine d’ado et de deux à quatre accompagnants, éducateurs, techniques, instituteurs et services généraux parfois. A chaque camp que je proposais, et pas que pour mon caractère légendaire, aucun accompagnant ne se voyait en faire partie, ce qui m’arrangeait bougrement. 

Il faut savoir que tous les adultes avaient entendu parler de mes camps qui ne pouvaient qu’être difficiles, toujours organisés en dernière minute et à la va comme je te pousse, enfin, c'est ce qu'ils croyaient. En fait, l'organisation de mes camps se construisait toute l'année, à chaque randonnée que je montais, mais ce qui rebutait mes collègues ne résidait que dans l’entière responsabilité du camp confiée aux jeunes. Et, sans tricher. 
Que ferait-on le reste de l'année avec son groupe, se disaient-ils ?... Alors, à vouloir donner les clefs du camp à des chacals, inimaginable pour un adulte, irresponsable de ma part. Bof ! Je n'en avais cure, à l'époque, et cela m'arrangeait bigrement que l'on me prenne pour un éducateur caractériel.

Avant de partir, j'avais hâte de connaître l’effectif que je réunissais et, nous asseyant dans l’herbe près du centre, discutions l'organisation du camp et de ce que nous ferions. Tout d’abord, c’était un camp de marche, au strict sens militaire, avec randonnée, braconnage (il y a prescription, je le sais), tir au pistolet (encore Makarenko et prescription) et jeux de nuit (réminiscences de mon passé d'éclaireur unioniste). Il me fallait impérativement, après quelques explications, un économe, un banquier, un porte-monnaie, un responsable à la sécurité et un infirmier pour les divers bobos rencontrés. Et d’un jeune responsable en ultime recours.

L’économe, véritable patron du camp était toujours Crespin, comme de bien entendu, et qui, curieusement, ne semblait pas posséder de prénom usuel. Un petit gars binoclard et rondouillard, calme et maniant un discours à la logique imparable. Et toutes les grandes gueules et les forts des halles lui obéissait sans rechigner, faute de quoi il vous mettait plus bas que terre.
Avec le banquier et responsable à la sécurité du camp, Bernard, se tenait Michel, l’éclaireur, tous deux formant un binôme de gaillard sportifs, l’un n’allant pas sans l’autre.

Il était aussi Modeste bombardé infirmier après élections. Malingre, semblant toujours souffreteux, vous ne pouviez que l’aimer pour son calme et sa gentillesse. Et son éternel sourire de gosse qui semblait triste, aussi, tous voulaient le protéger. Mais, lorsqu’il parlait, il pouvait calmer tous les excités.

Il nous restait à élire, bon dernier, le responsable "des fins de mois". Le petit Denis. Je suggérais moi-même sa candidature de volontaire désigné. Sa consigne, d’une simplicité hallucinante consistait à recevoir, de la part du banquier, une modeste somme d’argent qu’après accord de l’économe, et sous le contrôle de tous les responsables, il devrait, par devers lui conserver entière jusqu’à la fin du camp :
-Ca va pas ? Il va se barrer avec le pognon, ce con-là !
Le pognon ? Pas fou, et malgré mes demandes, Bernard ne lui en confiera pas trop.

Il est vrai que Denis était champion en "évasions" à répétition.
-Il va se barrer ? Possible, les gars. Et alors ? Moi je tiens le pari que ce chacal restera jusqu’à la fin du camp pour pas qu’on mange des cailloux à la fin. Pas vrai, Denis ?
Mon pari était gagnant à tous coups, le groupe en étant le garant. Denis n’apprécia pas, surtout la nuit ou lorsqu’on se baignait dans le Trévezel, ayant la hantise de laisser sans surveillance la modique somme à lui confiée. Il avait pour habitude de se plaindre :
-Que des salauds ! Personne ne veut garder l’argent, je peux te le confier et me baigner ?
-Tu te démerdes. Pas mon problème. Salaud ? Je veux, moi aussi. Et pourquoi pas ?

Un seul éducateur accepta de m’accompagner car je n’exigeais rien de lui, encore moins par sa présence, et cela me convenait. En effet, difficile de faire entrer un adulte dans ce groupe bien particulier de jeunes que je plaçais, dès le départ dans toutes ses responsabilités.
J’oubliais de dire que jeune éducateur, j’étais adepte de la pédagogie de Makarenko.

Je dépliais ensuite une carte du coin sur l’herbe et tous discutaient du parcours. 12 jours de randonnée. Dans les Cévennes ? Dans les Cévennes.
Après le départ, Mas des Prés, col des Mourèzes, montée au Crestat, un ancien relai de diligence en ruine sur la crête entre Arpy et Le Vigan. Après, on évite les Vieilles, puis grimpette plus que douloureuses jusqu’à Cap de Côte dans les sapins, à près de 1000 mètres. Tout le monde connait ? Obligé.

On reste trois jours au refuge, pépères. D'accord ? Quel  refuge... tout le monde préfère la bergerie de la Luzette, au dessus de l'ancien relais de diligence de Cap de Côte, sur la Royale ? Soit, car il y a un bon petit ruisseau. Après ? 
Petit tour à l’Espérou, à 1200 mètres d’altitude, à l’épicerie. Pour les cartes postales et les bonbons, puis retour à la Luzette. On est bien d’accord ? Après, l'Espérou, Trèves, séjour plus long à Saint Jean de Bruel et retour au Vigan. On prend Diogène ?
On prend, Diogène mon boxer bringé. 46 kilos de muscles. Un excellent marcheur.

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