mercredi 30 novembre 2016

L'Hôtel des Arrêts...


Les Hôtels de France sont réputés. La Maison d'arrêt de Nîmes, qui est aussi Centre de détention sera agrandie puis doublée par un des 33 nouveaux Etablissements pénitentiaires prévus qui s'appelleront Hôtels, ceux de police, de région m'y faisant penser ainsi que l'Hôtel de ville nommée aussi Maison Communale
Et, pourquoi la Maison d'Arrêt ne deviendrait-elle pas un Hôtel d'Arrêt, pourquoi pas ?
Je rêvais, sachant que le public admis en prison ne serait qu'un hôte indésirable.

Le nouvel Hôtel des arrêts de Nîmes se démarquera de l'ancienne Maison du même nom, n'en doutons pas. Certains penseraient-ils que je joue sur les mots entre hôte, Hôtel et Maison ? Libre à eux, mais non car, contrairement aux mal nommés Hôtels de Ville, de Police, de Région, des Impôts... constatons que seuls les Centres de Détention hébergent totalement leurs hôtes. Or, depuis janvier 2010, si la classification Zéro étoile des hôtels disparaît pour fusionner avec la Une étoile, ces Hôtels bien particuliers mériteraient de se hisser au dessus de l'indigne catégorie des Moins une Etoile. 

Inspectés par les services de l'état qui y trouvent peu, ou encore moins à redire, pourquoi ne pas suggérer au directeur de la Maison d'arrêt de Nîmes qu'après l' inspection triennale il pense à déposer en préfecture une demande de classification afin de recevoir l'étoile récompensant le niveau de confort et la qualité de son établissement hôtelier, déjà que pour la restauration, si ce n'est l'hébergement nous lui accordons dès à présent sa première  Etoile...

Le bon sens populaire colporte que la prison est un hôtel Trois Etoiles, un Palace d'avant 2010. Depuis janvier, la prison deviendrait un Cinq Etoiles : la réception s'y faisant 24h/24 (sauf W-E et fériés) et, en additionnant les points dits "à la carte", tels ceux de la télévision couleur, de la salle de bain (un lavabo, sans eau chaude toutefois) et WC dans la chambre (9m2), si ce n'était encore cette maudite surpopulation, on y serait presque.   

Regrettons ensemble pour le Droit français et le renom de la France que l'ancienne catégorie Zéro Etoile ait fusionné avec la Une Etoile, les prisons frisant parfois la Trois Etoiles, sauf par la surface des chambres et le nombre de pensionnaires accueillis, français pour la majorité mais aussi étrangers. Pensons à ce que disent de nous nos voisins mais, comme la réputation du français n'est plus à faire, on s'en balance : ne sommes-nous pas la patrie de Droits de l'Homme, des libertés, de l'égalité, de la fraternité ? Heureusement les raclées prises pendant les guerres nous ont amputés de cet encombrant amour propre, ce qui est bonne chose, comprenez-moi. 

Donc, à l'Hôtel des Reclus, on s'y sent plus protégés que dans la rue : y avez-vous jamais entendu parler d'accident de circulation, du travail ou de grève, si ce n'est de la faim ? Jamais. Par contre, les naissances et les morts, les émeutes, les vols, les bagarres, les trafics, les rackets, les assassinats, certainement... mais qui ne restent qu'au niveau de la racaille. 
Tout cela prouve que la prison est un hôtel normal assez sécurisé si ce n'étaient les évasions et toutes leurs tentatives. 

Trêve de "plaisanteries". Donc, dans cet Hôtel particulier convivial toutes les vraies discussions franches et les amitiés se dérouleront dans la cellule, les douches et à l'occasion des promenades, environ une heure par demi-journée, seuls moments d'élévation de l'âme et de franches rigolades parce qu'on peut faire son cinéma, taquiner l'humour, papoter, dire du mal des absents dont les juges et autres avocats, s'aider, commenter l'actualité de la prison, troquer aussi, entretenir de hautes discussions philosophiques ou religieuses, en un mot se révéler en tant que citoyen valable élargissant son espace par ses relations tout en se cultivant et se bonifiant.
J'oubliais que beaucoup se plaignaient que leurs compagnes, ces salopes aient profité de cette incarcération qui tombait à propos pour les quitter. Faut croire.


-Toi qui aimes écrire, lis la lettre de ma femme. C'est beau, hein ?
-Oui, on voit qu'elle a des lettres mais il me semble qu'elle se prépare à sortir de ta vie en catastrophe. Enfin, ce que j'en pense, moi...  Pourquoi ? Mais, ses mots sont choisis, le style ampoulé. Où les vois-tu les épanchements. Compte toutes les phrases au passé et "On s'est aimés depuis le premier jour", là, tu vois signifie qu'à la date de cette lettre, eh bien c'était le dernier jour où on s'aimait tous deux. Mais, comme je ne t'aime plus, ça ne sert plus à rien si toi tu m'aimes encore. T'en dis quoi ?
-Des conneries ! Arrête tes conneries. Çà va pas ? On s'aime comme des fous.
Oui, comme des fous tous deux, surtout lui lorsqu'il était en manque de médicaments. Avoir foutu un coup de hache à un sous-officier de gendarmerie, faut oser. Et la lettre de sa femme aimante virait plus à la paranoïa qu'aux écrits d'amoureux. Une semaine plus tard :  

-Tiens ! Lis la lettre de cette salope qui me quitte alors que je suis dans la merde. J'ai juste rajouté pour atténuer son chagrin :
-C'était prévisible. On passe tous par là.
-Ah bon ! Mais, quand même je ne la croyais pas si salope.
Salope, si on veut mais en ignorant tout de leur relation, je ne pouvais plus me prononcer. Mais, salope quand même car rien ne pressait. Et pourtant, on aime toujours en condition : lorsqu'on ouvre les yeux sur la détention, cette mort sociale et que la donne des amours change totalement, une femme peut vouloir se sentir veuve. Qu'on se le dise et s'y prépare. Vaut quand même mieux.  

La douche, l'endroit le plus cocasse de la prison. Peu osaient, comme les vieux soixante-huitards se doucher tout nu car, accepter les regards n'est pas anodin, traumatisant pour certains. Par exemple, le "dit" pointeur, le frustré, l'hyper tatoué et le petit jeunot ne viendront que rarement se laver avec vous. Pour cela, il me semble qu'il faut avoir reçu une éducation "riche", se tenir en permanence propre en changeant souvent de vêtements et y ajouter un sens inné du jeu social et de l'auto-dérision par surcroît.  

N'espérez aucun contact "humain" avec vos tauliers sauf s'ils vous apprécient, aussi on ne vous adressera la parole que pour les actes de la vie courante : le lever, le coucher, les repas, les douches, la promenade, le courrier, les convocations. Et, encore. Vous désirez voir le Capitaine responsable pour un souci ? Simple. Confiez une lettre ouverte au gardien de permanence, comme dans la bonne vieille France des temps d'antan où le respect consistait à laisser cacheter ses missives par son porteur mais, la confiance étant une valeur passée de mode votre gardien sera au courant de votre ennui, et pourvu que cela ne le concerne pas. 

Pour toutes demandes de la vie courante voyez votre geôlier de permanence en utilisant la sonnette, comme à l'hôpital, et comme à l'hôpital n'oubliez pas que le patient pâtit en attendant. Avec cent-vingt détenus à surveiller et gérer, un seul téléphone "public" à l'étage, un en promenade, un groupe de 6 douches pour tout l'étage, il lui arrivera à notre préposé de mettre un temps infini à vous visiter. Parfois didactique il vous fait languir ou vous ignorera en maître absolu de votre vie.
En prison, on attend d'être invité pour faire sa demande et, quant à répondre peu de mots suffisent. Si on vous répond, qu'on soit à la bourre ou non. 

Le matin, clac-clac du verrou. Au premier clac, la porte s'ouvre. Au second,  le penne sorti met en sécurité le gardien à qui on aurait subtilisé les clefs qui s'y ferait enfermer facilement. Gardien, gardienne ? Vous ne l'apercevrez qu'une seconde au lever. Souvent on répond à votre bonjour par :
-Courrier ? Le gardien prend vos lettres ordinaires et celles cachetées pour les huiles.

Dès l'ouverture de la cellule, tenez-vous prêt, le petit chariot du petit déjeuner poussé par un détenu n'attends pas. Sortir rapidement. L'accompagnateur du gardien vous tend les doses pour vos copains (poudre de café, lait, sucre et confiture, beurre le dimanche). Vous vous contenterez du pain de la veille tout en vous servant au robinet d'une grande bouilloire d'eau chaude transportée.
-Bonjour chef.  

On ne s'éternise pas dans le long couloir. Quelques mots rapidement échangés avec l'accompagnateur ou le gardien ouvrant la cellule suivante avant que de refermer la vôtre, mais pas le temps, ni le moment. Premier clac, porte ouverte, le penne rentre en sa serrure, deuxième clac, porte poussée, verrouillée et vous voilà chez-vous en cellule.
Ensuite, vous désirez vous doucher ? Simple : sonnette. Vous attendez que les six de la première fournée aient terminé et on vient vous libérer. Alors, vous espérez retrouver vos vieux copains de quelques semaines déjà pour vous taper des fous-rires, bézette à l'air. Quand ce sont les jeunots, les rebeus et les gitans, ben ce n'est pas de la même eau : ça ne rigole pas et ça ne se douche qu'en maillot de bain ou en slip. Tristement. 

Pour les deux promenades du matin et de l'après-midi, encore sonnette et longue attente puis les cellules des habitués sont ouvertes ensemble systématiquement et le restent un peu plus longtemps. A ce moment vous pouvez constater de l'état des cellules et des gisants cachés entièrement sous leurs couvertures. Bizarre mais aucune cellule ne ressemble à une autre et pourtant, elles sont construites à l'identique.
-Promenade ? Oui ? Dépêchez-vous !
Une vingtaine de détenus. On parcourt le long couloir. On attend à la porte qui bloque la descente de l'escalier vers la cour. Un gardien ganté à la fouille, l'autre au comptage. Une minute. Silence. Cigarette interdite. 
-Patrice, vous avez déjà été fouillé, non ?
-Oui, mais moi j'aime bien qu'on me caresse.
L'autre n'a pas souri mais se méfiait de moi comme d'un pestiféré et, par la suite, refusait de me fouiller.
Descente au rez-de-chaussée pour passer au portique du détecteur de métaux. Encore une minute. Deux à trois gardiens présents, l'un récupère votre carte de résident puis vous sortez au soleil, rappelez-vous que c'est l'été à Nîmes. 

Parfois, dans le sas de contrôle, quelques mots amicaux et des plaisanteries échangées avec les gardiens puis vous accédez au soleil et à la cour déserte de la promenade. Trente mètres sur trente, un petit auvent au centre, une barre fixe à côté, deux à trois douches d'eau froide, en face contre un mur. Pas de WC. On pisse où on peu. Derrière nous, un poste de téléphone. A gauche de notre cour A, un haut grillage surmonté d'une frise de barbelés, derrière une cour désaffectée, no-man-land ou des "colis" convoités, gisants inutiles dorment en attendant que les gardiens les ramassent. Dans l'angle, un mirador avec un surveillant, des caméras et par delà le mur d'enceinte, la rue et le cimetière d'où nous parviennent, lancés par des catapultes puissantes des portables, du shit ou de la viande hallal scotchés sur une gros galet pendant le ramadan. 

Seul lieu de vie "à l'extérieur", la cour de promenade ou la parole se fait libre entre détenus d'autres cellules bien que les groupes se mélangent rarement. C'est l'occasion de se connaître, de s'estimer, de jouer aux dames, au huit-américain, à la belote et se raconter les potins de la prison. Se tenir au courant, quoi !
La parole se fait plus libre mais, chacun jouant son cinéma, il fallait "lire entre les lignes". Les seuls qui ne pouvaient mentir sur leur addiction aux drogues dures étaient tous ceux qui avaient encore les membres gonflés par la méthadone et les fumeurs de ce shit qu'on me faisait toujours goûter en prison pour donner mon appréciation (toujours de la vraie merde coupés, teintée). 
Et, dans la cour, encore la cigarette et les paquets de Marlboro qui, si on vous les racontait dépeindrait l'état psychologique de la taule. 

Pour la surveillance en promenade, une longue pièce de contrôle central entre les deux cours, encore des caméras et pas de surveillant. De l'autre côté, à gauche un passage étroit protégé par deux grilles avec encore leurs frises puis la cour B des Animaux, plus grande. 
Derrière vous, le rez-de-chaussé avec les longues lucarnes étroites de la salle de garde et du contrôle vidéo.
Et, toujours aucun gardien en vue dans les deux cours. 

En grève de la faim, dix-sept jour pour le fun, j'étais souvent convoqué à l'infirmerie pendant le temps de la promenade. A l'aller ou au retour, vous risquiez de rester coincé de longs moments, par mesure de sécurité dans un couloir surchauffé, les portes ne s'ouvrant que lorsque les mouvements de groupes étaient terminés et vous ratiez la promenade et donc, vous étiez pratiquement enfermé en cellule vingt-trois heures, seuls les détenus du quatrième et surtout du troisième, moins dociles étaient reconduits après convocation en promenade.
Aller à l'infirmerie signifiait se punir de promenade. 

Pour le repas de midi, même topo dans le couloir que pour le petit déjeuner mais vous aviez le temps d'échanger quelques paroles avec les détenus de la cellule suivante. Vingt secondes. Après, partie de Scrabble et mon fameux ZOB. 

Le courrier, le meilleur moment de la journée. Le bourgmestre, vers treize heures :
-Patrice. Du courrier. J'en recevais beaucoup car j'écrivais tout autant.
Puis, c'est la promenade de l'après-midi où vous saviez que celui qui ne veut pas en bénéficier en profite sûrement pour fouiller votre armoire et vos affaires pour finir par se masturber. Ou bien, fait-il la démarche inverse ? Allez savoir. Mais, on s'y fait. Une heure de convivialité, d'amitié, de rires, d'aide psychologique, de discussions sérieuse. 
Mais, même topo que le matin. 

Après la promenade de l'après-midi, vous attendez le repas puis, à 18h30, vous commencez votre soirée, le soleil toujours pas couché. C'est l'été. Une seule fenêtre grillagée. Pas d'aération. La cellule en surchauffe, moite, trop exiguë. Vous vous ennuyez.
Vous faites votre lessive, le courrier avec la télé toujours allumée sauf lorsque vous êtes en promenade. 

La nuit, seul moment de "liberté" accordé au détenu. Dès la fin du repas du soir, Pierre prenait un somnifère et, après avoir lu un passage de la Bible, s'endormait jusqu'à sept heures le lendemain. Une seule fois il suivit le match de football Espagne-France qui, curieusement déchaînait la prison avec les coups frappés aux porte de tous les étages à toutes les belles actions de l'Espagne. 
Condamné à 5 ans de prison, il ne sortait jamais en promenade parce qu'un des Animaux, jugé en même temps en appel le rançonnait en menaçant de raconter son affaire et, superstitieux ne déballait toujours pas ses cartons par peur d'être transféré, attendant anxieux. Il lui restait encore trois ans à purger :
-Pierrot, ne prends pas ces saloperies de médicaments. Faut que tu rendes ton temps de prison utile. On pourrait discuter. Tiens, je peux t'aider pour la lecture et le calcul. Après deux années de sommeil, c'était trop tard pour Pierrot. J'appréhendais sa sortie de prison. 

Le soir, dans les cellules conviviales, on discutait du programme de télévision. Dans les autres, on subissait les dessins animés toute la soirée jusqu'à plus d'heure, ou les programmes que le plus ancien de la cellule vous offrait. Peu de paroles les soirées en prison. 
Quand on veut s'isoler, on décide de se coucher et de dormir, mais la télé et la lumière peuvent rester allumées toute la nuit. On fait avec.  

Et voila, on sait qu'on peut vivre en prison en homme sans liberté, sans intimité, sans possibilité de pouvoir s'isoler, se retrancher sauf dans sa tête avec, la nuit le bruit. On supporte très mal de ne pas pouvoir se retrouver seul pour s'occuper un peu de soi, sauf dans des temps plus que restreints.
Ici, on vous renvoie à l'impossibilité de satisfaire vos pulsions les plus profondes en faisant de vous un animal privé de toute sexualité qui ne peut même pas se lécher et, devenu cet encombrant, parce que déclaré dangereux, on vous parquera avec d'autres semblables qui souffrent tout autant que vous d'être asexué, dans le temps qu'on s'attachera particulièrement à analyser vos comportements en croyant mieux vous contrôler, vous cobaye mutilé.

Mais trop de paramètres anarchiques dans une situation incontrôlable, démente, hors toute normes sociales et humaines valorisantes tuent la compréhension du pourquoi on a jugé bon de vous enfermer. Et donc, vous ne pouvez pas vous amender.
La prison est donc un Hôtel bien particulier rendant un service social inutile et néfaste pour le plus grand nombre. La preuve ? Elle aussi à sa propre prison, le mitard.

 L'Article 8 du code de déontologie des personnels pénitentiaires ou le projet, ou l'avant projet, je ne sais plus... cet Article stipule que "les gardiens ne peuvent entretenir" avec les détenus "de relations qui ne seraient pas commandées par les nécessités du service" sauf "si elle étaient de nature à favoriser la réinsertion des intéressées."  

Moi, j'aimerais bien connaître nos experts de la prison qui se sont complu à compisser une telle ânerie. Pourquoi ? D'abord parce que les relations entre la personne en sujétion et son maître s'y font sur le mode de l'enfance, l'affectif primant le social et uniquement dans un mode de l’irréflexion. Ensuite, parce que partout où l'on restreint les libertés, par ses capacités d'adaptation l'homme réinvente son humanité en forçant le respect en reprenant ainsi ses droits, dont celui de pouvoir susciter et entretenir une relation humaine d'égal à égal en toute liberté. Même avec son geôlier.
Dernière raison : pour pouvoir communiquer avec les détenus en vue de les réinsérer, encore faudrait-il que les gardiens en aient les moyens, ne serait-ce qu'en personnel. Voilà pourquoi nos relations avec l'administration se réduisaient à presque zéro tandis qu'avec les gardiens, des amitiés se nouaient dans le respect mutuel. 

L'Hôtel des Détenus disposera de peu moyens, de temps et de personnel. Tout est lésiné par les politiques qui permettent la mal-vie avec des gardiens enfermés en prison depuis plus longtemps que nous qui subissent tout ce beau merdier en haïssant leur métier qui pourrait se révéler utile à la société.  

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