vendredi 28 décembre 2012

Lettre à Nelson MANDELA.*


-Donc, si j’ai bien compris, tu voudrais me parler de MANDELA. C’est quoi encore cette affaire ?
-Tu vois, Gilou, j’ai rêvé de Mandela, hier. Et je me suis posé quelques questions sur ma vie.
-Sur ta vie, Mandela…
-Ben si tu commences comme ça, on n’ira pas loin. C’est mal parti, je te le dis.
-D’accord. Je t’écoute !

-Voila. Je me suis dit comme ça : pourquoi, ce type incroyable, tu n’en as pas entendu parler avant…
-… mais, j’ai rien dit, Rolando, rien !
-Oui, mais tu allais dire. Tu m’écoutes, et tu ne dis rien. Voila. Je me suis dit que dans les années 50, je me suis bien occupé de ma famille, mon travail, mes amis, mes voitures, les congés payés, les fêtes du Parti. Tu vois ? Mais Mandela, Mandela ? Ce type, j’ai passé à côté !
-…
 -Ca t’étonne ? Tu dis quoi ?
-J’en sais rien, moi. Eh, oui, ça m’étonne, parce que Mandela, Martin Luther King... et Kennedy, tu connais au moins ?
-Quand tu auras fini de te payer ma fiole, tu le diras !
-Ce n’est pas ça, Rolando, m’enfin Mandela, ce n’est pas possible !

Rolando m’a regardé comme si j’avais dit une énormité. Il était catastrophé pour moi. Je lisais dans son regard :

-Poverino ! Il n’a pas dit ce mot, peut-être bien un autre moins joli, mais je l’ai entendu.
Avais-je rêvé, moi aussi ?

-Mais, ce n’est pas possible ! Imbécile. J’essaie de te faire sentir quelque chose de beau qui m’arrive à moi, et toi… et toi. Non, mais, dis-donc !

-D’accord, Rolando, je rigolais…
-Pas moi en tout cas. On peut parler, oui ? Bon.

Et Rolando m’a raconté son rêve. C’était beau et bizarre. Mandela, effectivement, il n’avait pas percuté et se rendait compte, un peu tard de la stature immense du bonhomme.


-Tu sais, Gilles, un type comme Mandela rend ta vie tout-autre. Meilleure ? Je ne sais pas, mais il a croisé nos vies. Et cela compte pour moi. Mais, pourquoi à la Saint Innocent ? Oui, pourquoi ?

-Ben, oui, pourquoi, Rolando ?

-C’est pas à toi que je posais la question, mon Gilou… Donc, notre écrit sur ma Santé et la Saint Innocent, voila le déclencheur. Je me suis dit que mon vilain copain pourrait m’offrir un texte magnifique, sur mes indications, évidemment, qui parlerait de ce grand bonhomme. Sa détention, son combat, son innocence. Quand je dis texte, j’entrevois une de tes belles poésies que j’aimerais signer de mon nom : ROLANDO !

-Attends, Rolando. Un texte, c’est plus facile à dire qu’à faire. Et ça ne se commande pas !

-Quand tu auras fini de faire ta mijaurée, tu le diras, pas vrai ?
-C’est pas ça, Rolando… Mais, faut des idées, des mots forts et beaux à pleurer. C’est dur à trouver.

Ma remarque a eu le don de faire ricaner ce coquin de Rolando :

-Elle est bien bonne, celle-là. Pour les couillonnades, Mossieur est très fort. Mais pour les copains…
-...d’accord, d’accord. Je t’écoute.
-Voilà les mots :
Et les mots sont sortis tous seuls. Comme si Rolando était en hypnose, yeux grand-ouverts.

-D’abord, mon grand, l’innocence. C’est le mot. Ce type, c’est un saint… innocent. Tu peux maintenant comprendre mon rêve de la Saint Innocent. Parce que quand même, on l’a maintenu des dizaines d’années… combien ? … en prison. Tu vois le rapport improbable entre prison et innocence.

Impressionnant. Et sainteté : il a subi sans régler ses comptes à sa libération. Il ne s’est pas vengé !

Et Rolando savait que je le suivais pas à pas.

-Ce type-là, tu as vu ses mains. Des mains d’avocat faites pour convaincre et pour séduire. Tu n’as pas remarqué ?

J’écoutais mon ami, en une sorte d’extase, me parler de Mandela, de Nelson plutôt, comme d’un ami.

-Oui, ses mains… elles bougent lentement autour de son corps, lorsqu’il parle et elles sont au diapason de son discours, lent… comme si elles ne voulaient pas effrayer. Des mains qui calment, qui soignent, comme sa parole ? Des mains qui font du bien. J’ai pas raison ?

-Oh! Attends, attends. Tu vois les statues du Moyen-âge et les mains qui bénissent ? Y a de ça !

-Ben, je n’en sais rien. Mais si tu le dis ! Et tu comprends l’anglais ? Je ne savais pas.

Monsieur Rolando m’a royalement ignoré.
-Et, imagine-le quand il parle, qu’il sourit, qu’il se déplace. Quelle majesté !
-Oh, Rolando, tu ne serais pas tombé amoureux de ton bonhomme ?
-Quel c... ! Comme c…, tu t’imposes ! Gros con, va !
-OK, Rolando, je rigolais.
-Pas moi. Si c’est pour te moquer de moi, c’est pas la peine !

Mon vieux pépère s’était bel et bien braqué.

-Oh, Rolando allez !
Mais le charme était rompu. Rolando, vexé, s’est levé pour aller aux toilettes et, revenant :
-Tu vois bien l’effet que tu me fais, non ?

Il a bien fallu s’excuser. Mais l’ami était toujours fâché.

-Donc, si j’ai bien compris, tu veux que je parle des mains, des statues du Moyen-âge.
-Tu es vraiment abruti. Les statues… pourquoi pas les gisants. Tu es fou ! Non ! C’est de Mandela, d’abord, que je veux que tu parles, non que tu écrives.
Quelque chose de beau. Que je lui enverrai. Et oui, je le signerai. Parce que c’est comme ça, mon pote. 

-Donc, Mandela, il a des mains, mon pote, oui, de belles mains, un port imposant, un abord calme…
Tu vois, ce type, tout de suite tu sais que ce sera ton copain à la vie à la mort…
…bien sûr, que ça ressemble à l’amour. Mais c’est pas… T’as pas de copains, toi ?

-Rolando, des mains, un port royal, une amitié, tout cela ne font pas un écrit. Il faut plus.

-Bien, sûr qu’il faut plus. Par exemple, des dizaines d’années de taule, ça t’irait ? Et la Saint Innocent, en plus ? La beauté des choses, tu vois ? Et mon rêve par-dessus le marché ! Pas suffisant ?
- …
-...en plus, le type, il a le pourvoir et il le rend aussi sec. C’est-y pas beau ?
-Je vois bien, mais…
-Tu veux dire que tu ne vois rien !
-Mais…
-J’ai pas fini de causer. C’est pas tout. Faudra parler de l’Apartheid. De cette honte. De la réconciliation. Eh, oui, ch’ti pépère. Eh oui. De la réconciliation. Imagine : dans tous les autres pays qui ont vidé leurs Blancs, seule l’Afrique du Sud…
-Attends, Rolando, écoute…

-Que dalle, mon vilain. C’est toi qui m’écoutes. Et tu te tais. Bon… je disais. Qu’est-ce que je disais ?
-Tu disais… 
-Ah oui ! Je suis d’accord. La situation n’était pas la même comme avec l’Algérie. Et sais-tu pourquoi, monsieur Je-sais-tout qui ne sait pas ? Parce que… Parce que…
- …
-Tu vois que t’es plus bête qu’abruti.
-Merci !
-Pas de quoi, Monsieur de La Joie! Je t’explique : les Sud-africains sont croyants. Disons 90%. Et puis, ils parlent la même langue. Unité, union, réconciliation et, pardon  !… j’oubliais le pardon des Noirs. Ce n’était pas évident. Mais, il n’empêche : c’est grâce à Nelson Mandela, son combat non-violent… 
Et les choses deviennent belles...

-Oui, faudra que tu me fasses quelque chose de joli sur cette avancée émancipatrice d’un peuple jeune, plein d’avenir. Et n’oublie pas de parler en bien de l’A.N.C. Parce que c’est politique, le combat de mon ami Nelson. D’un politique à visage humain. C’est l’idée, ça ! L’hu-ma-ni-té !

… Et tu voudras bien que Dieu me fasse une apparition tonitruante dans mon écrit… A la Desmond !

-Comment, ton écrit !
-Tu es quand même grave de chez grave. D’accord, c’est le tien. Mais, c’est sous ma signature. Ben, c’est comme ça. T’a voulu être mon ami ? Tu sais me faire signer des couillonnades. Bravissimo. Alors, je signe aussi de belles choses.

Et, Rolando s’est mis à rigoler. Un de ces rires qui vous font du bien et vous font vous sentir meilleur. Puis, Rolando et ses 84 ans et demi se sont satisfaits de cet entretien, l’ont signé et envoyé à Nelson.


Le 28 décembre 2012, à la Saint Innocent,


à le Vigan, Rolando et Gilles accompagnés des illustrations de René BOUSCHET (R&B).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire