vendredi 13 juin 2014

Maïa PLISSETSKAÏA* en Avignon.


Cela se passait il y a longtemps, en 1975 ou 76 en Avignon, jeune demoiselle, alors que vous n’étiez pas encore née.

Je sais que la danse est votre passion. La classique, la vraie, la seule avec ses jetés, ses première, troisième et autres positions. Et ses portés, bien plus tard… et ses cadences frappées par un sourd au piano, sans nuances, de ces notes tant cognées qu’on cherche en vain l’art dans ces répétitions harassantes, tuantes.

Tant de laideur pour accéder, un jour, après tant de souffrance, au sublime du ballet. Et du solo de danse.

Pour ma part, sans rien y connaître, j’avais horreur de la danse classique, un truc de riches.
Et, que dire de cette lenteur et tout ce cérémonial pour accéder à sa place à côté de ces "je sais que tu m’observes mais, laisse-moi te snober", regarde comme je suis important, admirable, et j'ai mis du sent-bon...
-Oui, vous avez reconnu ? Non ? C'est "Eau Jeune". Oui, j'aime cette fragrance... Vous disiez ?
En, ces temps-là, Mademoiselle, les parfums entêtants des spectateurs finissaient répulsifs en fin de soirée, comme ces déodorants de l'époque : une horreur absolue ! Et tous ces spectateurs au verbe haut qui pensaient sortir quelque chose de remarquable. Alors, voyez comme trop de trop autour de la danse, c’était trop pour moi. Et ça me gonflait !
Je vous ai parlé des déodorants ? Ah, oui ? D'accord... Continuons !

Un juillet, imaginez que belle-maman voulut assister à une représentation au Festival d'Avignon qui ferait date en France, disait-elle. La danseuse étoile russe, Maïa PLISSETSKAÏA se produirait. Une diva !
-Vous nous accompagnerez, mon gendre. J’ai beau demander à mon mari, il est indécrottable.
Martial, le beau-père tournait sur la soixantaine, se levait tôt matin, comme tous les paysans de France, se couchait plus tôt encore le soir tandis que sa femme, qui aimait regarder la télévision, tardivement, se cultivait, disait-elle :
-Sylvette… viens te coucher !
-Oui, Martial, j’arrive. Je fais d’abord la vaisselle !
-Sylvette, tu viens, oui ? Alors, la vaisselle durait et l’appel rituel recommençait une ou deux fois, jusqu’à ce que Martial s’endorme de fatigue.

J’aimais belle-maman qui soignait son gendre aux petits oignons et  adorait discuter musique, peinture et littérature. Bref, je l’aimais pour sa cuisine et parce qu’elle me trouvait intéressant, instruit et tout et tout et me le faisait savoir.
-Vous nous accompagnerez, mon gendre ? C’est pour ce soir.
-Mais oui, belle-maman, c'est promis !
Et nous voila partis, ma femme, la belle-mère et moi dans la Fiat 1500, la propulsion de beau-papa pour assister au Festival d’Avignon à une représentation de Maïa PLISSETSKAÏA. Il me semble bien que ce fut l’unique représentation de la diva russe.

Pour la première fois, et la dernière fois de ma vie, j’accédais au sublime dans l'art. D’abord, une femme, dans un amphithéâtre trop grand pour elle, dansait seule, poursuivie par un rayon de lumière crue.

Progressivement, elle se mit à faire vivre l’espace et tout s’anima avec la musique, les pas, la poursuite. C’était beau. Mais, quand elle commença la mort du cygne, ce fut impressionnant. Même moi qui n'y connaissais rien à la symbolique de la danse, je restais... je cherche mes mots. Alors, que l'on veuille bien m'excuser si je vous disais que je restais sur le cul ? Oui, sur le cul, captivé, béat de tant de splendeur !
Puis, il s’est mis à tomber quelques gouttes de pluie, tandis que Maïa était toute danse. Quand elle finit et qu’elle fut applaudie, la pluie tombait plus fort. 

Sans se soucier du danger, Maïa bissa. D'après belle-maman, Maïa dit ne jamais danser deux fois de suite la mort du cygne de la même façon. Qu'importait parce que, quand c'est beau, c'est beau. 
Puis,ce fut l’orage. Tous restèrent assis, trempés mais personne n'aurait oser se lever et gêner les spectateurs assis à ses côtés. Je protégeais belle-maman de mon blouson. Durant toute la danse, je ne fus pas le seul à prier pour qu’elle ne glisse pas sur le plancher détrempé.

Pendant longtemps, avec belle-maman, nous n’avons pas pu parler de cette soirée, conscients d'avoir assisté à une féérie et un miracle. Parce que, cette danse dans la pluie, cette danse de tous les dangers, comment la décrire ? Si vous savez, montrez-moi, mais moi, je ne sais !
Et comment mettre en mots ce qui procède de l’incommunicable, ce qui est art, chance et qui touche aux cieux ? Impossible.

Oui, je sais. Vous pensez, jeune demoiselle, que j’ai eu beaucoup de chance à voir danser Maïa PLISSETSKAÏA ? Je vous le concède. Mais, ce n'est qu'aujourd’hui que je réalise et que je revois cette splendeur tout en l’écrivant sur le blog. Voyez, comme les choses se réalisent !
Ah, j’oubliais: Maïa était russe. Voyez… Comme vous Olga ? Ah, bon !



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