dimanche 13 juillet 2014

Mon copain Yaya* !


Alger  La Casbah      Dessin de Charles Brouty
J’ai toujours aimé ton père. Comment s’était-on rencontrés ? Oh, simplement, chez Bébert, au «Tout Va Bien». Des types comme Yaya, il n’y en avait pas beaucoup. Et puis, c’était un des seuls algériens que je connaissais à Dieppe. Tout de suite, il m’a plu par son caractère gentil, généreux, calme. On est devenus amis naturellement, comme ça, sans chichi. Il me faisait confiance et moi de même parce qu'il m’aimait, Yaya… et moi aussi, je l’aimais. 
Je m’occupais des papiers et du courrier de mon ami, de ses lettres pour l’Algérie et de faire rigoler ce grand timide.

- Oui, mais non, Yahid ! ce n’est pas ce que te demande ta femme. Faut répondre à son courrier. Elle veut savoir comment tu vis. Ni pipes*, ni mensonges.
- Pour le travail, hein, si je mange bien ?  
- Oui, mais pas que ça ! Faut parler de tes amis, de ce que tu fais pendant tes congés, il faut te raconter, quoi ! Qu’est-ce qu’on lui dit… La grosse, on peut ?
- Non, Gil. Pas Odette !
*De l'expression "les dés sont pipés". 

Et, à la seule évocation de Sa Grosse, les yeux de Yaya riaient, coquins, dans ces sourires tendres qui nous faisaient tous craquer.

- Attention Yaya, ta femme va bientôt arriver… Méfie-toi !
Sa Bonne Amie, ainsi qu'il la nommait affectueusement et qui partageait son lit, l’aimait-il ? Allez savoir, mais elle seule le consolait de sa vie d’émigré à Dieppe, notre bonne ville si humide.
Et moi, cette fille elle me plaisait pour tout le bien qu'elle faisait à Yaya, qui, tout à son bonheur, ne trainait plus au P.M.U et autres bistrots.
Et puis, un jour ensoleillé, oui, vers les10 heures 30, la valise arriva d'Algérie. Et pas que la valise !
Aie-aie-aie !

Madame Yaya,
machine à coudre à la main était derrière mon dos, au café de Christiane, sis près de la Place Nationale. 
Ouille-ouille-ouille !
- Je cherche Monsieur Yaya. Savez-vous où il habite ?

Je me suis dit: 

- Merde… qu’est-ce que tu fais. Tu te tires… Tu ignores ? 
Je me suis retourné pour saluer la dame tout en espérant que Yaya m'aura écouté et renvoyé la grosse chez-elle, rue de la Barre. Et puis, après tout, c’était son problème, non ?
Mais j’espérais quand même que ce gros con… (gros serait un peu fort, mais grand, certainement) aura fait le ménage !

- Vous êtes Hanissa, la femme de Yaya ?

- Oui, j’arrive aujourd’hui d’Alger !  
- Je suis Gilles, l’ami de votre mari. C'est moi qui vous écrivais…
M'a-elle fait la bise ? C'est fort possible, mais je ne me rappelle pas.

Et, la dame de mon ami Yaya m’a suivi. L’ai-je soulagé de sa machine à coudre et de sa valise ? Il me semble que oui. De quoi avions-nous discuté en allant vers le pont tournant, le Pont Colbert ? Je ne m’en souviens plus, tant j’étais stressé : 

- Pourvu que ce grand con…
 

Arrivés près de la rue de « la Tête du Bœuf », au Pollet, nous sommes montés à l’étage d’un vieil hôtel bourgeois mal entretenu chez ce con de Yaya ! J’ai cogné à la porte qui s’est entrebâillée et, miracle, telle une déesse callipyge de l’Olympe, la Grosse a laissé entrevoir une partie de son immense corps drapé d'un négligé couleur saumon qui lui allait à ravir. 

Mince... je comprenais Yaya pour le béguin qu'il avait de sa Dame, grosse peut-être, mais avec cette grâce qu'elles ont lorsqu'elle sont grandes. Une beauté, tout simplement ! Et, c'est vrai qu'elle était canon, la dame.
Elle m’a souri et appelé son amant* : 
- Yaya, c’est ton copain Gilou ! mais elle n’avait pas vu Madame Yaya cachée derrière mon dos.
*Non. Je n'étais pas son amant. C'était Yaya ! Elle m'appelait tout bonnement Gilou.

Et j’ai vu la figure hilare de Yaya, qui m’aimait comme un frère, heureux derrière l’épaule de sa déesse. Madame Yaya m’a repoussé et je suis parti, laissant tout ce petit monde à leur bonheur : 

- Toi, la grosse, tu dégages ! Et toi, tu rentres et tu fermes la porte !

Pendant des mois,
Yaya a été privé de bar. Puni. Madame Yaya reprenait en main la vie de son Yaya ! 
C'est étrange comme, à chaque fois que l'Ami Yaya était heureux en amour, il ne traînait plus les bistrots ! Bizarre, même !

Ce dimanche-bonheur du 13 juillet 2014. En souvenir de l'Ami Yaya.                                                                                                             

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