samedi 24 décembre 2016

Un conte traditionnel de Noël.



Ma chère Ménie, Gilou le veut-il toujours son conte de Noël ? En voici un. Enfin, je pense que c'en est un. Voilà de quoi il s'agit. En 2006, le 9 juin on m'attendait en Pologne pour mixer les arrangements musicaux d’une chanteuse amie. Donc, avion  et arrivée à Fryderick Chopin, Frédéric, c'est comme on veut. Varsovie, embellie par ses filles, je connaissais déjà, seulement se retrouver le lendemain, jour du Seigneur pris au milieu d'une Gay Pride, la première autorisée en pays ultra-catholique, faut y avoir été pour apprécier pleinement, dans le pays de Jean-Paul II l'évolution des mentalités.

Tu te retrouves par hasard dans une rue à glander, seul et à un moment, au détour d'une rue te voilà happé par une foule bon enfant et ça va changer complètement ta vie.  Toute la ville ne parlait que de ça, je ne vous le cacherais pas et on entendais bien de plus en plus de musique et de joie en s'approchant, là-bas mais en Pologne ? Allons donc !

Incroyable, une « Parade pour l’égalité » placée sous haute protection, au pays des processions religieuses !

3.000 pédés comptés par la police, normal et le chiffre donné et cette façon de les appeler et, en y ajoutant les hétéros et autres homos timides qui n'osaient pas encore se vêtir couleur pavot polonais, te voilà au milieu de plus de 15.000 personnes à défiler ce dimanche ensoleillé. Le long cortège bon enfant défiait-il le jour du Seigneur, et en Pologne ? Pas du tout : les gens exprimaient leur joie d'être encore bien vivants dans un pays qui se libérait avec disco, danses, rondes enfantines, embrassades généreuses et appel aux spectateurs à venir nous rejoindre, le tout aux couleurs pastel du drapeau des Gay Pride.
Ici, quelques français, là beaucoup d’allemands, ou était-ce des flamands, des néerlandais ? Je n’arrivais pas à les distinguer à la langue. Les slogans lancés ? Ils disaient bien des choses mais moi, je m’en moquais : je savourais l’instant.

Attention, je suis un hétéro pur et dur se foutant bien de savoir si les nanas penchaient de se côté-ci, de celui-là et, beau gosse, catho modéré je tentais de brancher une jolie polonaise pour consommer en cas d'ouverture.
Ai-je goûté ? Si on vous le demande, ben faudra rester dubitatif, évoquer les Polonaises de Chopin et sa façon de les toucher si délicatement, ce serait mieux pour ma fierté.

Courageux ou pas, les flics de l’Est, on dit de s'en méfier comme de la peste. Pourtant, ils faisaient bien leur boulot, faut croire que les ordres visaient à faire plaisir à la Communauté Européenne alors que tous savaient que le gouvernement polonais freinait des quatre fers devant la Charte des Droits fondamentaux des femmes, des athées et des homosexuels, surtout. Aussi, quand on dit que l’Europe, pour ce que ça sert comme semble le penser René, alors, là, moi je dis : mon œil ! Ça sert à ne pas prendre sur la gueule quand tu défiles avec 3.000 mecs et nanas, ou plus dans les rues de Varsovie, la très catholique ! Tu vois, Ménie ? Dis-le à Gilou, aussi.

Et voilà que moi, à trente ans, vous pensez bien que pour m’éclater gratis, profiter en larron, pas besoin de me pousser. J’adore les doux-dingues déguisés couleurs bonbon. Alors je me suis laissé embarquer dans la folie ambiante, avec quand même quelques appréhensions. Heureusement qu'il y avait à boire d'importance dans la manif, et des polonais sobres, homos ou pas, filles ou garçons moi ça m'aurait étonné.

Le seul coup intéressant dans la foule, j'y suis tombé dessus... non, non, c'est elle qui m'a embrassé pour me saluer. Comme ça, le plus naturellement du monde. Eh, bien, dis donc, les polonaises, c'est quelque chose.

Ce qui vous intéresse, à savoir si je l'ai pécho ? Non. Je l'ai déjà dit : je suis reparti bredouille de Varsovie. Que j'explique : essayez de draguer sérieux, au milieu du mouvement d'une foule joyeuse, et vous comprendrez. L'approcher ? Facile. L'intéresser ? Impossible avec tous les beaux jeunes hommes qui cherchent un bon coup comme toi et avec l'ambiance qui te tourne la tête. Lui parler ? Faut crier à l'oreille, pas agréable si tu sues aigre à tant t'exciter et si tu as chargé ton haleine et, là Ménie, moi je prohibe l'alcool dans ces cas, un véritable tue l'amour... Et moi, je m'étais abstenu. 

Mon atout ? Mais, je suis français, cela se voit et se sent bien ! La classe toujours ! Lui ai-je avoué être catho comme tout polonais pour me rapprocher encore plus d'elle ? Non. Je ne pense pas qu'elle aurait apprécié de le savoir. Un sujet tabou, surtout dans une Gay Pride polonaise car il eut fallut y mettre des gants et quelques bémols, vous m'avez compris. Son prénom ? 

Margozata. Une parfaite inconnue, mais un beau brin de fille quand même. A mon avis, la plus belle. Ni une, ni deux : elle me vit et me baisa la joue d'un survol rapide, comme heureuse de retrouver un ami cher, me regarda mieux, me sourit et m'adopta comme un petit chat perdu et, aussi sec, commença mon maquillage, tout en sautillant, marchant souvent à reculons ou dansant autour de moi. Quand j'avançais, elle reculait puis, me saisissant par un bras me faisait pivoter d'un demi-tour pour me faire marcher à reculons tandis qu'elle avançait sur moi avec son matériel de peinture. Quand elle débordait, elle crachait sur ses doigts pour réduire un trait trop large sur mes sourcils et mes paupières ou étalait la poudre de riz sur mes joues de la paume de sa main. Moi, je fermais les yeux, tête haute en français qui sait prendre les choses à la légère. Et, que c'est bon !

Que je vous éclaire un peu sur ma belle rencontre déguisée en fée Clochette, quoique le terme ne s'appliquerait pas en ce cas d'espèce car, même rencontrée dans le tramway un jour de semaine ainsi vêtue et peinturlurée, cela ne m'aurait pas choqué, je vous le jure. Vous avez déjà vu la fée Clochette ? Pareil, aussi fine, aérienne. Même coiffe et corsage taillés dans des corolles de fleurs rouge-pavot et de feuilles vert-tendre, et même robe trop courte qui faisait ressortir ses longues et fines cuisses de mouche. Dommage, mais un sourire radieux et des étoiles plein les yeux qui compensait.
Je tiquais un peu sur les gambettes de la belle, puis me rappelant ma maman :

- Mon petit Philippe, ne fais pas le difficile. Accepte le peu que Dieu te donnera et tu seras heureux.

Merci, Maman !   

A un moment, ma "pas encore" Margozata m’arrêta, tendit ses lèvres tout en fermant les yeux, le buste penché en avant, les mains derrière le dos. Des gens joyeux nous dépassaient en s’écartant, souriants. Je pense qu’ils nous prenaient pour de jeunes amoureux. Et, pourquoi pas ?
Moi, ses lèvres tendues je croyais qu’elle voulait que je les lui baise. Je fis une tentative en chaton affectueux. Dès que je l'effleurais ses lèvres, elle ouvrit ses beaux yeux, trop tôt, malheureusement pour barrer prestement nos bouches de ses doigts joints, comme pour me bénir ou que je les baise, fronça les sourcils, menton bas, fit la moue et "non" de la tête, referma les yeux et recommença son manège pensant que j'avais compris. Vous, peut-être, mais pas moi qui restait immobile, tout abêti.
- Elle veut que tu fermes les yeux. Tends ta bouche !  

Un français traduisait ce mime. Voyez que j'étais particulièrement abruti. Je me sentais ailleurs. Disons que c'était le premier signe que je tombais éperdument amoureux de cette fée.

Moi, je trouvais la demande raisonnablement très risquée mais bien faite, comme elle. Bon, jouons mais faudrait pas qu’elle veuille te déguiser en gonzesse ou en travelo, je me disais. Tant pis, aussi j’obtempérais et, avec le même stick qu’elle avait tenu caché derrière son dos, elle me redessina les lèvres puis, pour mieux mouiller la couleur et la rendre plus glossy, plus satinée, si vous préférez, elle m’embrassa à bouche que veux-tu en faisant rouler sa langue sur mes lèvres, en débordant sur les commissures, le menton et même jusque sur le bout de nez. Puis, tenant toujours ma tête entre ses deux mains, me la fit baisser et claqua sur mon front un baiser sonore dont, toute la journée après m'être débarbouillé je ne voulus effacer la marque, ensuite...

Ensuite, elle recula, rejeta la tête en arrière tout en écartant les bras et déclara à la cantonade qu'elle avait enfin trouvé son prince charmant, ce qu'elle me traduira bien plus tard. Applaudissements du voisinage !
Une goulue et une découverte, pour moi. Une nouvelle Pologne. Alléluia ! A mon âge, trente ans, pensez-donc. J’avais hâte d’en apprendre encore plus sur ce pays et cette chose-là si délectable pleine de salive.

Dieu, quelle embrassait bien. Oui, mais qui ? Moi le garçon que je me pensais être depuis toujours ou moi la fille qu’elle faisait de moi, pour son bon plaisir ? Je me dis : qu'importe et on s’en fout pourvu qu’on soit bien bécoté, caressé et aimé tendrement, tripoté,
embrassé ardemment, et longuement savouré en sucre d'orge... Et que dire de plus ?
Elle rectifia du doigt mes sourcils, se recula à nouveau pour juger de l’effet obtenu. Parfait, parfait devait-elle se dire, ce qui la fit rigoler et la rendait encore plus désirable. Je l’attirais et lui rendit son baiser qu’elle apprécia. Un véritable french kiss de derrière les fagots, puis, lui prenant la tête tendrement, je baisais et marquais son front de mes lèvres, et c'est à cet instant qu'elle me découvrit réellement, ce qu'elle m'avouera plus tard.

Moi ? Dans le temps que je me savais beau dans ses yeux, je ne pouvait que constater, sur son front que le rouge dont elle m’avait gratifié s’avérait n’être qu’un noir-goudron qui devait me confectionner une tête de vampire même quand je rigolais, la farine de mes joues renforçant le trait. J’ai vérifié dans une vitrine. Je vous jure : Clochette au bras de Nosferatu, une horreur qui la mettait en joie.
Ensuite ? Nous avons repris notre procession bras dessus, bras dessous, avec plein de rires et de petits bisous de chatons.

Les spectateurs, tout autour du parcours nous encourageaient, sauf quelques crânes rasés de milices d’extrême droite qui nous lançaient des œufs et des pierres et criaient, heureusement dispersés par la police. On m’a traduit sommairement leurs slogans :
- Interdit aux pédales... ou interdit de pédaler ? Les deux, sans doute mais peu importe. Sans la police, et surtout la population de Varsovie, nous aurions eu des ennuis avec ces gens-là.
- C’est qui, ces cons ?
- Des « Casseurs de pédés » qui font leur ordinaire des homos, des émigrés et des noirs et s’en régalent à ce qu'ils disent.
Tiens curieux, ce terme de pédale pour désigner les homosexuels* en Pologne comme en France. Faudra que je me renseigne, que je me disais.
*Donc, pédale : confusion volontairement entretenue entre homosexualité et pédérastie et qui, par apocope donne pédé. Mais, passer à pédale, là, je ne vois pas le développement. Que l’on veuille bien éclairer ma lanterne.

Déguisé, valait mieux rester dans la bande joyeuse car des curés sportifs en soutanes et rangers portant de grandes et lourdes croix traînaient près des églises pour s’en servir comme épées du Jugement dernier. Une rumeur ? Peut-être pas.
Par contre, je pu constater que des murs entiers avaient été placardés de petit autocollants, et même des tables de bistrots toutes ornées. Tu ne pouvais pas les rater et ça en devenait si gênant que, comme me le faisait remarquer un ami polonais francophile (par amour des françaises, surtout), ça allait à l’encontre du but recherché et le trop en devenait même dégoûtant, plus qu'obscène

J’oubliais de vous dire que ces petits « post-it », aussi grands que les indications traditionnelles sur les portes de WC présentaient, dans un cercle rouge, genre « sens-interdit » deux silhouettes en noir, debout et en pleine action, l’un devant le derrière de l’autre.
Gilou dirait : encore, bravo l’artiste pour ses modèles bien choisis, certainement un bedeau avec un sacristain de même eau en train de se finir en beauté. Par contre, l’image était explicite : il s’agissait bien de deux homosexuels adultes dans leurs œuvres d’amour mais pas d’un curé polonais pédéraste et de son enfant de chœur. Sûr et certain. 

Imaginez que six mois plus tard, j'allais rechercher Margozata pour la ramener à Paris. Et nous sommes toujours aussi amoureux plus de dix ans après. Etonnant, n'est-ce pas ?  
Voilà toute notre histoire, un beau conte de Noël.
Dommage que notre premier enfant ne soit pas née un 25 décembre mais le 23 décembre 2007 et que Margozata ne s'appelle pas Marie. 
Et, notre petit cadeau de Noël qui a fêté ses 9 printemps hier ? Une petite craquante à souhaits.

Signé : Philippe dit Jojo par les amis.

Le petit mot de Ménie : Moi, vous savez, dès que j'entends une histoire d'amour je m'attendris toujours. Dommage que Jojo ne donne pas le prénom de sa fille. Ça manque à son histoire. 
Mes amitiés vont aussi à Margozata et un bisou à votre petit cadeau de Noël.
Si ce n'était Gilou, votre texte je l'aurais intitulé : "La Gay Pride ? A vos amours."
Et qu'ils durent toujours. Et Joyeux Noël à tous.

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