mercredi 25 janvier 2017

Une pause... - 3

Samedi 30 mars 85. Ce soir, je n'aurais pas d’appel de ta part. Une journée normale. Mais, j'aime les samedis. Des fois, je me dis que j'écris dans mon cahier pour ne pas t'oublier. Et tuer l'attente.

Ma permanence ne commence qu'à partir de 14h. Petit café du réveil de chez Nestlé. On a une usine à côté et, quand les jours de vents balayent la ville, ça sent très mauvais mais le café est bon. Curieux. J'ai dormi en pyjamas Vichy rose et blanc. Encore un cadeau de Noël de maman. Faudra que je l'appelle.

Une pause...
Vaisselle, douche puis café-croissant et journal au Normandie. Après, centre ville pour visiter la tante de ton mari, Christiane à son petit bistrot où on parle de toi. Ton mari serait superbement intelligent, doué. A ce qu'elle dit, gentil même. Un bon gars. J'y rencontre l'ami Auguste de Neuville, l'ancien mineur du nord silicosé. Tu le connais, et son môme aussi, celui qu'il élève seul à 75 ans. On fait un mata. Ensuite ? Deux pastis. Trois ? Possible. Christiane m'a invité a manger avec Jo vers 13h30, puis un café offert. Nouveau mata avec Jo et le petit d'Auguste qui a déjeuné avec nous.

Une pause...
 Fait vraiment froid. 14h30 heures. Pas envie de rentrer trop tôt chez moi où seul Tibère doit attendre à la porte. Les urgences rappelleront, j'y mets ma main au feu. Elles peuvent car il n'est d'urgence que pour le client. Jamais pour le plombier.      
Faudrait nettoyer l'appartement. On verra plus tard. Du linge finit par sécher, étendu un peu partout. C'est petit chez-moi et tout encombre. Je range un peu sans repasser. Jamais. Tiens, je crois que j'ai un problème avec le pain. Encore oublié. On s’en passera ce soir sauf si j'ai une urgence en ville. 
Tibère m'a fait la fête pour se précipiter sur sa boîte mais ressort aussitôt. Il déteste l'aspirateur, tout comme moi. Je mangerai tôt ce soir où quand il rentrera, s’il daigne me visiter. Le frigo est plein, j'ai fait mes courses à Monoprix. Tiens, la dernière fois, je leur ai cloqué un chèque en bois que j'ai honoré ce jour. La responsable a apprécié, mais sans trop. Elle n'espérait plus ma visite.
Petit tour au CAC Jean Renoir à feuilleter des bandes dessinées puis des périodiques de moto. Je ferai une visite au Normandie tout à l'heure. Si j'y pense.
Allez, à la maison et au pieu. Tout habillé. Après-midi et soirée. J’ai assez de cigarettes et de quoi boire.

Une pause…
Inquiétant : j'ai la sensation d'être toujours couché chez moi. Pas si grave si ce n'était sans toi. Aux infos du soir, Gorbatchef remplace Tchernenko, on explique. Et Chagal serait mort, on regrette. Un grand peintre. Faudra que j’en parle à Bruno. C'est mon patron. Lui, il peint bien, comme toi mais pas de l'acrylique. De l'huile, comme les grands. Il m'a offert une toile. Des "saillots", des jonquilles d'ici ou des narcisses de là-bas. Je ne sais pas mais je crois qu'il se moque de moi. 
Mon amie Christine me dit que la jonquille, c'est le début de la montée de sève du printemps et, pour l'homme, une attente en langueur d'amour.

Une pause...
Bruno me conseille les petites dames de Rouen, la ville aux cent églises et aux mille bordels. Préférable à se laisser mourir idiot de désir exacerbé dans cet impossible amour. Le nôtre. Ça te ferait du bien de te dégorger le poireau, c'est ce qu'il croit. Des mots que je n'aime pas. Bon, mais ça l'amuse de me choquer, lui qui est si fin par ailleurs. Il dira ce qu'il voudra mais moi j'aime et je suis aimé.

Une pause…
Jean-Claude voudrait que je l’amène à un concours de manille ce samedi soir à Saint Nicholas d'Aliermont. Faut traverser la forêt domaniale d'Arques. J'aime pas. Ou à Auppegard, et peut-être bien plus loin. Il y aura plein de cochon à gagner. Et des bouteilles de vin. De l'argent aux premiers. Impossible, ce week-end je suis d’astreinte. Il le sait. Je le lui avais pourtant dit. Il a dû oublier. Et puis, il y a risque de verglas. 
Et puis, je n’aime pas jouer contre lui. Ni avec. Il triche et, quand il touche les cartes, tu as beau bien mélanger et couper, rien qu’à voir son jeu, il connaît celui des autres. Comme au tarot lorsqu'il compte ses points en arrangeant les cartes puis quand il distribue, il se compose un chien à sa convenance. Si tu t'en méfies, rien qu'à ta façon de le regarder, il sait que tu seras preneur, alors il t'aura fait un chien pourri. Comme on joue un peu d'argent, l'affaire se corse toujours avec ses fausses donnes qui ne sont jamais sans raison.
- Passe ton tour. La prochaine fois, tu paieras une garde. Pas possible, Jean-Claude, t'es pas marrant !

Une pause…
Curieux que je ne saurai jamais si tu penches à gauche ou à droite. Peu importe que tu te prétendes socialiste. Moi je suis à gauche toute. Bon. Vite un thé pour me réchauffer. J’ai l’impression de le préparer pour toi. Du thé à la menthe comme tu l’as appris au Maroc. Bien bouillant, attiédi longuement et très sucré.
On peut me sonner ce week-end pour toute urgence en serrurerie, chauffage ou autres fuites d’eau et gaz. Tiens, hier la police m’a rappelé que lundi, à 14 heures je devrais accompagner l’huissier pour ouvrir un appartement. C’était prévu depuis une semaine. Sur Neuville lès Dieppe. Sans plus. J’aime pas ça. Les flics non plus. Même l’huissier que ça l’attriste. Mais, c’est son boulot. Et s’il ne le fait pas, d’autres s’en chargeront. L'huissier toque. Pas de réponse ? A vous... et moi, j’ouvre en essayant de casser le moins possible. Après, faut rester signer le PV. Mais, je me fais oublier et je ne regarde pas trop l'état des appartements. Ni les gens dans les yeux. Que des pauvres. Bon, l'huissier ne passe jamais avec les enfants à la maison. Que pendant les heures de classe. Une belle attention.

Une pause... 
Tiens, l'huissier, un type sympa a écrit un livre avec plein de blagues. Véridique. Je te le passerai. Toi qui me raconte toujours les Grosses têtes, tu aimeras.
Samedi est vite passé, sauf après les informations du soir. Pas l'habitude des après-midi de repos. Ça me fait comme deux soirées qui se suivent. Déprimant. Dimanche, je fais quoi près de mon téléphone ? Espérer une urgence, la redouter ? Je ne sais pas, j’ai perdu l’habitude des dimanches et des jours fériés mortels parce que je sais que tu ne pourras t'absenter pour me visiter. La lecture ? Non, ma bibliothèques est indigente. Et puis, se plonger dans les histoires d'amour des autres, ça fout le cafard.

Une pause…
J’aime bosser parce que, comme ça j’oublie, et pas qu’un peu. Même toi. Et je fume au lit. Comme si tu accouchais. Ma piaule ? Une fumerie d'extrême-orient sans femme. J'aère quand je sais que tu viendras, mais tu es rarement là. Et surtout cette semaine. Et l'autre à l'identique.
Le plus dur de mes journées ? Le soir, mais pas tant que je peux m’abrutir à la télé jusqu’à la fin des programmes. Après, le réveil du matin est difficile. Comme une grande gueule de bois.  
Ma télé, c'est une Philips, jamais en panne. Une bonne fille. Au fait, il me reste un mauvais vin de célibataire et un fond de whisky. J'aime pas le Whisky. C'était pour partager avec les amis, mais comme, à part Bruno qui n'aime que le pastis je n'invite jamais personne chez-moi, je boirai sans pouvoir trinquer à notre amour. Triste. Et toi qui crois que je suis heureux à vivre seul, sans problème de famille à résoudre. Et moi qui te conforte dans cette idée. T'expliquer que moi, j’en veux des emmerdes, et un plein wagon à décharger avec toi, parce que ça, c’est un bonheur plein ! Tu ne comprendrais pas.

Une pause…
Hier, une vieille s’est fait exploser son four à gaz en plein visage. Elle a pourtant bien vérifié. Eteint ? Pas croyable, pourtant il semblait bien que...  Une deuxième allumette en regardant pour s’assurer du bon allumage de la flamme de la veilleuse, et boum ! On ne devrait vendre aux vieux que des fours électriques. Et encore, ceux avec minuterie qu’on ne peut pas mettre en manuel.
Depuis le 22... le 23 de mars, déjà une semaine de vacances scolaires, ma hantise et jusqu’au  jeudi 11 avril. J'espère que le 16 avril on pourra fêter ton anniversaire.

Une pause...
Tu penseras à moi et je m'occuperai bien de Tibère. Tu essayeras de venir, mais tu ne me promets rien.
De toute façon, lundi j’ai un chantier à Varengeville. Je mangerai le midi sur place.
Du 23 au 30, j’ai bossé comme un fou. J’aime bosser et demain, demain c’est dimanche, et dimanche me rappellera qu'on n'a pas fait l'amour depuis longtemps. Un jour de déprime et d'espoir, un long jour.
J'ai mis ton coussin dans un sac plastique. Je le ressortirai avant de m'endormir avec toi. Et tes senteurs fleuries. 
  
Mon téléphone n'a pas sonné ce jour. Il le fera demain dimanche, je le sais. J'aimerais que ce soit toi, même en urgence et à la va-vite.
Faudra que j'appelle demain ma mère. Sans faute. Ce soir il est encore trop tard.

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