dimanche 1 septembre 2013

La Mort en générale*!


Alors, je fis comme Socrate.
  
Je pris le bain des morts pour épargner à ma compagne de laver mon cadavre après mon trépas. Mais Fanny, absente pour cause de ses Humanités avait envoyé un message de condoléance à Américo qui fut lu, par Rolando à l’assistance qui suivit mon deuil, qui disait en substance : 
-Quand mon Gilou aura fini de faire le gille, vous voudrez bien m’en avertir, mon bon Américo. Et même si cela vous fait rire, toutes ces imbécilités de potache, faites-moi savoir quand il aura grandi !

Mais, j’y pense : peut-on dire mon deuil lorsque l’on parle de sa propre mort ? Étrange d’entendre ce mot de deuil dans la bouche d’un mort, n’est-il pas ? Et encore plus étrange : oui, pourquoi seules les femmes font la toilette des morts, comme si la naissance et la mort n’étaient que du domaine de la mère, de l’épouse, de la sœur, de la femme ?

Rolando me fit part, bien après la fin de la cérémonie des récriminations de Mathilde qui voulut de toute force me faire cette toilette des morts. Il fallut toute la persuasion de Pierrot et d’Américo pour l’en dissuader. Il n’en demeure pas moins qu’elle s’en alla de fort méchante humeur, oubliant de saluer ou d’adresser la parole à quiconque.
Elle tenta bien d’amadouer mes deux cerbères en leur rappelant que cette toilette, à elle et à Fanny par moi confiée lorsque j'annonçais la couturière de ma mort, le 12 juin, pour la Saint Gilles, était la volonté manifeste du mort qu’il fallait respecter. Mais il n’en fut rien. 
Mathilde dit qu’elle s’en plaindrait à qui de droit, plus tard.

Je fus choqué du peu de monde qui vint assister à cette générale-couturière de ma mort. Les plus médisants furent les plus nombreux. Par l’absence. On ne peut jamais compter sur eux, même à l’heure de notre mort. Priez pour nous.
La plupart de mes amis avaient prolongé leurs vacances d’été, malgré un début septembre maussade par souci d’échapper à la corvée de l’élévation de mon corps.  Sachez que la levée fut épique comme il fallut s’y attendre car le Maître des Cérémonies n’était pas tip-top, et disons le tout net, en dessous de tout mais le Gilou fut aussi responsable : le cercueil en carton se rompit par le fond car il avait oublié de se sécher correctement après son bain. 
Aussi, comment en vouloir aux défunts ? Ils sont morts !

Toutefois, cette cérémonie de levée du corps, en ce matin-là fut un moment de franche rigolade. Entendez-vous encore résonner le grand rire de Carmen qui, comme à l’accoutumée :
-Quel con. Mais quel con ! Gilou tu n’auras jamais fini de nous faire rire… Même mort.
Et Pierrot, et Américo, en bons professionnels, cherchait une solution au cercueil mouillé.
-Et si on y glissait dessous une porte dégondée ? disait Pierrot.
-Et si on demandait au mort d’arrêter de nous emmerder, de se remettre sur pied et de venir boire un coup avec nous ? chantait Américo qui ne se voyait pas porter mon corps à travers la longue terrasse, la descente de l’escalier, pour finir par me placer, en mon endroit de ce maigre convoi funéraire, entre les ridelles de sa charrette. Charrette tirée par un âne. Sept kilomètres vers le Vigan...

Américo s'est vieilli pour la circonstance et paraît plus fatigué que d'habitude. La France s’est appauvrie et nous n'avions pu qu'acheter de la mauvaise vinasse pour nos invités qui, comme Mathilde, mais pour d'autres bonnes raisons, firent la gueule. 

An de Grâce de Notre Seigneur Jésus Christ. 2050. Nous devons effectuer ces 7km à pied qui séparent Pont d’Héraut du Vigan pour ma mise en terre, tous sont fatigués* avant que d’avoir commencé. Rolando a 122 ans, comme Jeanne. Oui, Jeanne Calment, l'ex-doyenne des français, tous âges confondus. Alors, buvons encore, une dernière fois, à l’amitié, l’amour, la joie…
*Mais non, pas moi. Je suis dans le cercueil qui se trouve dans la charrette tirée par l'âne Martins !

Rolando fut digne dans ses vêtements de pauvre : un jean tant rapiécé, un tee-shirt tout mité, un galurin trop petit trouvé dans la rue et vissé à demeure sur la tête. Le tout : made in France. 
Le must, en italien qui se respecte, exhibant fièrement toutes ses chaînes, bracelets et montre et autres plaqué-or, sans oublier ces souliers pointus cirés, sauvés de je ne sais qu’elle décharge sauvage. Trop grands, certes mais fièrement arborés.
-Je vous en prie, messieurs. Veuillez recouvrir le cercueil de ce drap noir en remplacement de feu le drapeau tricolore et prenez en main ces petits fanions de carton noir. Respectons au moins notre mort. Merci René : ce drap nous aurait manqué.
Pour ceux qui connaissaient Gilles et ce Psaume des Batailles de Théodore de Bèze, le bien nommé, entonnons le 68ème: «Que Dieu se montre seulement».
Alors, un chant timide s’éleva bien vite soutenu par une belle voix de baryton qui, sortant du cercueil faisant caisse de résonnance stupéfia l’assistance. Certains pris par l’émotion s’écrièrent :
-Miracle… le mort est revenu des morts. Loué soit Dieu !

Ce fut Rolando qui récita ensuite le long panégyrique, dont je vous fais grâce disant en substance : "Notre mort fut un être beau, bon-vivant à défaut d’être bon, intelligent jusqu’à la coquinerie, dévoué, serviable quand cela ne demandait pas trop d’efforts quoique peu généreux, galant quand il y trouvait son repas et son repos du guerrier, poli pour éviter les ennuis, d’humeur toujours égale tant qu’il ne s'emportait pas, respectueux de l’autorité, des lois et de ses agents tant qu'il n'était pris sur le fait, aimé de beaucoup, détesté par encore plus de monde parce qu’il fut souvent un beau salaud. Disons, qu’il se croyait grand bonhomme, trop souvent méconnu, ce qui aurait été, à son avis grand dommage pour lui. Moins pour les autres".
Je résumerai en un mot le discours de mon vieil ami : Gilou touchait à l’excellence en tout. Quoique !

Il n’empêche que l'animal fut surtout l’amoureux éperdu de la langue de chez-nous, ce français si délicieux au langage châtié et fleuri que même nos amis du Québec nous envient. Et on peut les comprendre.
Notre Gilou viganais a voulu être enseveli avec sa bonne maman Fatima au cimetière municipal. Il disait souvent, sentant la mort prochaine que les soucis, ces fleurs du mal ne devraient qu'être réservés aux morts, et qu’on évite d’en donner aux dames. Merci pour elles.

Puis Rolando réclamant une menthe à l’eau, pour pouvoir faire rouler une larme sur son beau visage émacié remercia l’assistance et lança, à la maigre cantonade :
-Quelqu’un voudrait-il ajouter quelques mots pour honorer la mémoire de notre cher disparu ?
On, de l’assistance voulut prendre la parole pour les rajouter, ces quelques mots. Mais on fut vite empêché par Pierrot et Américo pour d’évidentes raisons que j’ai le plaisir de ne point dévoiler ici…

Puis, tous burent à la santé du mort, si je puis dire, et les blagues bon enfant que faisait le Gilou à longueur de journée détendirent l’atmosphère, surtout celle ou il raconta au téléphone à son ami Pierrot que s’il ne venait plus le voir c’est parce qu’on l’avait amputé d’une jambe, suite à un accident. Tous ont bien ri. Sauf Pierrot qui à l’époque crut le Gilou et en pleura.
Mais quelle belle bonne blague d’anthologie.

Ensuite, Gilou se releva du séjour des morts et s’en fut saluer tous ses vivants amis. Et eut une mauvaise pensée pour ses vivants absents à qui il réserverait un chien de sa chienne Agatha. Et il décida qu’il ne voudrait plus mourir. Plus jamais. C’était trop triste. Et il pleura sur lui-même, se couvrit d’un sac de cendres de façon très biblique, termina son deuil comme il l’avait commencé en remerciant Dieu de l’avoir heureusement mis au monde. Un peu trop tôt, il est vrai, car il aurait bien aimé mourir beaucoup plus tard. Mais, bon…

-On ne t’en veut pas, Dieu. Tu as fait ce que tu as pu pour moi. Merci !
An de grâce 2013, à la Saint Gilles. Il est déjà 23h30. Mais, que c'est triste de mourir... A éviter impérativement si vous voulez bien vivre !
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Le dessin de René BOUSCHET : Tu as bien fait de mourir à la guerre mon chéri ! De nous jours, avec ma retraite, t'aurais été bon pour la fosse commune ! 

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