lundi 22 juin 2015

Le caporal Lobo - 7


Je le sens bien : vous croyez que je vous amuse et qu'il était impossible que mon chien ait pu se trouver aux armées sans l'autorisation de quelque autorité compétente que ce soit. Serait-ce une fable ? Se foutrait-on de vous !
Et, dites-nous encore : l'Armée ignorait-elle la présence de ce chien ? 


Que je vous rassure : Lobo n'était devenu transparent pour mes chefs que parce qu'ils se demandaient si, en renvoyant Lobo à ses pénates, le cabot que j'étais serait toujours aussi efficient au service cartographique de la météo… 
Pardon ? Indispensable, faudrait-il dire ? D'accord, avec nous !

Je veux ! Et j’explique : d'abord, on savait que le caporal Patrice était toujours prêt à remplacer les absents. Ensuite, qu'il ne coinçait jamais la bulle, les soirs de permanence, ni ne glissait une règle dans les téléscripteurs pour les bloquer et téléphoner ensuite au réparateur de la STEM qui, feignasse, refusait de se déplacer jusqu'au matin.  Et, ça on le savait pertinemment.
Résultat ? Aucune carte ne pouvait être dressée par manque des données des navires sur l'Atlantique et des stations météo d'Europe occidentale.
Le cartographe de la météo, ce saboteur des soirs, ne pouvant effectuer son travail en profitait pour pioncer. Mais, va le prouver !

Ainsi, le manque de prévisions météo désorganisait la 1ère Région Aérienne, (dont les FFA) et les troupes de l’OTAN. Et tous, des stations de radio à la télévision et aux armées, tous râlaient.
Pour se prémunir de tels ennuis, on fermait les yeux sur Lobo, mais on n’en avait pas moins des visées détestables le concernant, surtout Monsieur le Commandant du Fort heureusement freiné par les chefs d’Etat-Major qui craignaient des réponses de mauvaise humeur du Service Météo, Lobo en faisant partie intégrante.

Dans la chambrée, d’un simple grondement de lion, le caporal Lobo faisait cesser tout début de bagarre. De même, lorsque nos escarcelles étaient garnies, en début de mois avec nos environ 50 francs (dont la prime sous béton), nous allions au bistrot du village, à 3 km et à travers bois, et lorsque la coupe était rase de Kronenbourg, on pouvait sans souci remonter au fort dans la nuit noire à travers la forêt dense en se tenant à la queue leu-leu, moi accroché à la laisse de Lobo, dégurgitant tous nôtre bonne bière tels des Petits Poucets sur le sentier du retour. 
Dire qu'on pouvait se souler chez le civil avec 50 balles (7,50 euro) en 1965. Quelle époque que la nôtre !

Lorsque Lobo, cherchant son petit papa sans le trouver estimait, parfois à juste raison que celui-ci se trouvait là-bas, au bout du tunnel de 300 mètres et à 80 mètres sous terre (non, non, l’information n’est pas si pertinente…), il se présentait à l’entrée du boyau et attendait qu’une personne veuille entrer ou sortir. 
Lorsque la grille s’ouvrait, il se ruait, parfois rattrapé au collier, réussissant toujours par se retourner et mordre le garde soit au pouce, soit au pied, ou ailleurs, ce qui le libérait illico. Et le soir :
- Merde, ton chien ! Il m’a encore mordu. Putain, c’est pas vrai !
- Si t’as pas compris qu’il faut le laisser aller là où il veut, c’est que t’es con !
- La prochaine fois, je te le déglingue. A la mitraillette ! Ah, ouais. Tu crois pas ?
- Non, la prochaine fois, tu le laisses entrer et sortir à sa guise, mon pote.

Le dimanche matin, comme nôtre dotation mensuelle de16 paquets de "Troupe" ne nous suffisait pas, nous jouions au poker. On misait avec des allumettes, chacune représentant une cigarette. Pourquoi cela ? Mais, pour éviter qu'elle ne se vident de leur tabac, à tant les miser sur le tapis.
- Tout à l’heure, tiens ton chien. Dimanche dernier il a foutu le bordel à l’Eglise. Enfin, la relation n’était pas tout à fait exacte, loin s'en faut.
- OK. Ferme-moi la fenêtre. Je me le surveille ! Pars tranquille.

Tout le monde n’étant pas informé, quelqu'un aéra le dortoir-fumoir et Lobo en profita. Quelques minutes plus tard :
- Merde. Ton con de chien… Le gars qui m’avait demandé de retenir mon chien soutenait, lui, son poignet gauche qui pissait dru le sang.
- … ton con de chien, il m’a mordu !
On banda au mieux le blessé qu'on conduisit à Frescaty, à l’infirmerie de la base aérienne :

- Mon garçon, un chien ne mord pas comme ça. Tu n’es pas blanc-bleu !
L’infirmière, pour bien marquer sa désapprobation, utilisa de l’alcool à 90°.
- En été, mon gars, ça mord facile un chien. Je pourrais comprendre. Mais, là, tu l’as emmerdé, ce chien !
- Mais, je vous jure que non !

Une voie de fait sur un soldat français ne se pouvant, Lobo se voyait privé de dessert pendant une semaine : il fallait bien marquer le coup et ma réprobation. Privé de madeleines, voilà !
En fait, il s’avèrera plus tard que, le dimanche précédent, Lobo qui aimait bien suivre les copains qui tentaient de se faire en douce les clilles du patelin en allant à la messe au village, avait cru bien faire, pendant l’office, d’arpenter lentement la nef à la recherche de nos bons garçons en uniforme, ces frères en Jésus Christ qui, par un fait exprès, se tenaient au loin, on ne sait pourquoi, là-bas, au fond, loin de la porte et près du chœur. Devant l'autel, quoi !

- Mais, pourquoi jouent-ils à cache-cache avec moi ? se demandait Lobo.
- Quelqu’un pourrait-il faire sortir ce chien de l’église ? C’était le curé qui, oubliant qu’il bénissait une fois par an les chiens et leurs chasseurs, les ânes et même les coups de fusils pour assassiner la Création de Dieu, oui, nôtre bon curé sollicitait les fidèles pour chasser mon Lobo, ce petit frère des hommes. Mais, de quel droit ?

Le futur mordu se leva et, en gentil chrétien qui aimait François d'Assises, il prit mon chien de guerre par le collier et l’emmena sur le parvis, l’attacha court comme il ne se doit pas et lui fila un coup de saton* bien mérité, à ce qu'on m'a raconté. 
Fallait pas qu’il foule l’église de ses pattes au bout blanc, ce clébard, crénom de nom !
*Ndlr. Saton et satonnade : coup (s) de pied (s) en toute vacherie. 

Rappelez-vous maintenant nôtre partie de Poker-cigarettes, le dimanche suivant, et la fenêtre qui devait rester close. Malheureusement…
Et Lobo courut dans les bois comme un dératé pour rattraper la cohorte de bidasses en partance pour la messe, tout joyeux et en uniforme afin d'appâter les filles à maman et à papa.

Et entendant un bruit de cavalcade, le gentil cogneur de l'autre dimanche se retourna, surpris, bras gauche décollé du corps, bras malheureux que Lobo happa dans la foulée.

Il faut bien souligner, à sa décharge, que Lobo crut à une nouvelle avoinée et ne fit que se prémunir de la satonnade, quoique, comme me le diront plus tard les maîtres-chiens de Frescaty, un chien qui vous traverse la main de ses crocs, c’est plus que rare et cela dénote un certain mordant, et à tout le moins, un bel esprit de vengeance.

A dater de ce jour mémorable, j’évitais le Commandant du Fort comme la peste. Et le choléra ?... oui, et le choléra réunis.
Et pourquoi donc ? Ben... Et pourquoi pas !
Quant au mordu ? Lui aussi évita Lobo !

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