mardi 9 juin 2015

Lobo, Enfant-Roi - 3


Lorsque, aux vacances de Noël 1963 mon chien arriva dans le Midi, ce fut le plus beau cadeau pour tous les petits de la Mission.
Même Fatima qui, comme tous les berbères divisait le monde en parties inégales, avec en haut de chaîne la maisonnée, la parentèle, les biens, les animaux très utiles, et en bas de l’échelle, tous parias plus que nombreux pour elle, dont les étrangers, et pour clore le chapitre, les chiens, Mémé voulut bien accorder une place de choix à Lobo, celle de l'enfant dernier-né, ce bâton de vieillesse mal élevé parce que trop aimé par ses parents.

On ne peut comprendre la berbérité sans le rapport très étroit du chien à l’homme, à la femme, à l’enfant puis, pour clore le sujet, du chien à la pierre et à la nourriture. 
Le chien berbère, toujours grand, jaune, efflanqué est réputé peureux. Sa maigreur et ses peurs tiennent au fait qu’il est nourri plus que chichement et, parce qu’abreuvé largement de coups de bâtons et d’insultes par les maîtres de maison, de crachats et de jets de grosses pierres par tous les gamins rencontrés sur son chemin, l’animal est devenu craintif comme ce n’est pas Dieu possible ce qui le rend particulièrement dangereux, et c’est pourquoi il ne fait pas bon lui tourner le dos. 
Cette mauvaise réputation du chien berbère est devenu une sorte d’atavisme créé curieusement par l’homme et concerne tous les chiens de Petite et Grande Kabylie malnutris et mal élevés. Tous ?
Oui, tous, sans exception aucune.

Jugé nécessaire et utile à la garde du foyer ou des troupeaux, le chien berbère ne se hissera pourtant jamais au rang de l’âne, encore moins du mulet ou du cheval et, considéré comme impur, il couchera toujours hors du gourbi et n’y entrera jamais, contrairement aux autres animaux de la ferme, la volaille mise à part.

Maman Fatima fit une exception pour mon chien Lobo qu’elle ne considèrera jamais autrement qu’en petit-fils, l’amazouz de son amazouz, Gilino.
Voila pourquoi, Lobo couchera sur un lit à coté de mémé Fatima, goûtera aux meilleurs morceaux, qu’elle lui octroiera de sa propre main, chose incompréhensible pour tout bon berbère qui se respecte. Pour la remercier, Lobo lui fera l’honneur de l’accompagner volontiers visiter ses commères marocaines et algériennes dans les promenades des après-midis, seules entraves à sa liberté qu’il acceptera de bonne grâce, marchant au pied, sans tirer sur sa laisse.

Il faut encore savoir que Lobo, grandissant en force et en beauté ressemblait toujours plus à un gros ourson brun et avait la réputation de n’être pas commode : la conduite d’un tel chien, délicat à mener, faisait la fierté de ma mère, Lobo ne se faisant gentil toutou que dans ses randonnées avec elle ou avec les petits.

Lobo couchait donc avec maman Fathé, se levait tôt matin avec elle puis faisait tous les allers-retours journaliers plus que nombreux pour accompagner les enfants de la Mission sur le chemin de l’école.

Le bon animal ne voulut plus jamais garder que sa gamelle, sa mémé et les petits de la Mission, satisfaisant pleinement au seul rôle d’accompagnateur bienveillant qu’il s’était assigné.
Toutefois, il ne faisait pas bon inviter Lobo à jouer au football : en grandissant, sa gueule et ses crocs redoutables auront crevé moult ballons, au grand dam de Jem’s et de tous les petits.

Et, Lobo se laissait vivre, attendant que son petit papa ne revienne du Collège Cévenol pour Pâques et les grandes vacances pour, ensemble, aller à la rencontre des minettes sur le chemin de la rivière, vers ce grand collecteur d’égouts de la vallée pas encore devenu la Riviera-Cochons que nous connaîtrons 50 ans plus tard, et pour le plus grand plaisir de nos touristes qui n’en demandaient pas tant.

Depuis lors, chaque été, Lobo me suivra aussi bien au Café des Fleurs le soir pour ma partie de tarots, qu’au café de l’Univers pour la belotte, ou chez les frères Fulcran assister, en auditeur libre aux séances de cinéma, le cul bien calé sur son fauteuil de bois dur, profitant largement des courts métrages, prisant tout ce qui touchait aux animaux et, le plus souvent, se promenant sur le chemin de la rivière pour finir par sauter les 3,50m de la cascade de Rochebelle pour s'en aller rejoindre son papa dans l’eau.

Reconnaissons encore à Lobo un sacré talents pour donner un bon coup de main à son Papa pour mieux approcher la fi-fille estivale au bal du café de la Gare, le café branché des minettes et des minets.
Oui, pour s'en aller draguer les filles estivales… et même l'estivante, il suffisait qu'elle soit fille, et belle. Les moches aussi ? 
Les moches aussi ! On peut dire, sans paraître goujat ? 
Enfin, je me comprends : le tout n’est que pour mieux désigner les nanas de mon âge et d’antan, de celle de l’époque où toutes voulaient ressembler à Bardot, ces joliesses qui tant m’intéressaient, me mettaient en émoi en m’empêchant d’avoir une scolarité et une sexualité épanouies. 

Et, dire qu'il y avait belle lurette que j’avais bousillé le beau vélo rouge de mon Certificat d’Etude offert par ma mère et que je ne me satisfaisait plus d'aller visiter Blanche-Neige, le cul de Loule posé sur le porte-bagage.

Sacré Peugeot, va ! Un costaud, au vu du poids de Loule. 

Mais, que sont toutes ces nanas d’antan devenues ? C’est à se le demander ! Disparues avec nôtre jeunesse, que c’en est grand dommage pour nôtre humanité...
Ne trouvez-vous pas ?

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