samedi 20 juin 2015

Lobo se rend à l'Armée - 6


Dans mon petit fort de Commandement, la vie se faisait laborieuse ou joyeuse tant au service de la météo, aux parties de poker-cigarettes, aux souleries, à la drague des gentilles lorraines, et à la messe du village, les dimanches. Tous s'ennuyaient-ils ? Tous. Fermement et sans exception.

Heureusement, un séminariste aux Effectifs, responsable des permissions avait organisé, à l'insu de son chef, un système de solidarité spécifique qui consistait à octroyer, en rab, 4 jours de Brevet Sportif Supérieur à chaque permission de tous les bidasses des 3 forts sous sa "juridiction".
Il suffisait de prévenir le collègue qui notait votre permission sur son cahier de service aux crayon de papier puis, à vôtre retour, effaçait l'opération. Et rebelote à la prochaine perm. Un plaisir que ces 4, plus 4, plus...

Je disais donc que, bénéficiant de 4 jours offerts par nôtre séminariste et pris, en sus, onze jours de permission agrémentés de onze bitures plus que réglo-réglo avec l'Andros qui, lui, effectuait ses obligations militaires dans la Marine, voilà qu'après beaucoup de fatigue, je finis par prendre deux billets SNCF : un quart de place, pour moi et un demi-tarif, pour Lobo.

Nôtre premier contrôleur voulut faire son travail tandis que Lobo, tout au sien, grondait sourdement, et moi, curieux du courage de l'homme de la SNCF, je le retenais au collier.*
Oh ! J'oubliais les deux filles qui voyageaient avec nous depuis Nîmes et s’amuseront à offrir une glace à mon cabot à chaque arrêt pour le rafraîchir :
-Veuillez faire descendre ce chien de la banquette, Monsieur ! Monsieur ?
-Pardon ? D’abord, il est sur un journal. Et puis, il a payé son billet demi-tarif, plus cher que moi, non ? Après ? Pas mon problème.

Lobo ayant réglé au mieux de ses intérêts ce petit intermède ferroviaire, nous n’étions toujours que quatre dans le petit compartiment de 8 places, direction Montélimar, Valence, Lyon, Dijon, changement, puis un long arrêt à Culmont-Chalindrey, mon chien refusant toujours d’accueillir tout bidasse qui entre-ouvrait la porte pour la refermer aussitôt au grondement de Lobo qui, sans regarder l’intrus, présentait une dentition terrifiante de loup, mon Lobo qui ne se fera jamais aux uniformes, pas même au mien, mettant du temps à me reconnaître (lorsque je me pointais en perm au Vigan), le cul bas*, prêt à bondir.  

Au service météo d’un casernement réaménagé de la ligne Maginot... non, non, point de révélation... Disons, qu'en passant par la Lorraine avec mon cabot, et même bien avant, j'avais signé un papier à trois capitaines disant en substance que je tairai tout sur le Commandement de la 1ère Région Aérienne et des FFA (Forces Françaises en Allemagne), encore présentes en 1965. 
Eh, eh ! Je devenais un véritable occupant, combattant de la France, un guerrier, même ! Merci, messieurs les allemands !

Me voila cartographe affecté à un fort disciplinaire. Enfin, c’est ce qu’ils disaient à l’école de la Météo. Mais, quel souk, quel beau bordel, tant dans la discipline de la STEM (transmission de l'Etat-Major), de la tenue déplorable des services généraux, dont la Météo avec, tous les soirs, garde comprise, le tiers de l'effectif alcoolisé à la Kro, la canette de bière du guerrier français présente sur tous les champs de bataille de la France, dès sa création.

Fallait la voir, l'armée française en sa jeunesse généreuse suivant le plus élégamment du monde des cours d'apprentissages es souleries. Quelle honte ! Joyeuse, toutefois.
Mais, ça aussi, c'étaient les bienfaits que le Service militaire, tant regretté, aura apporté à l'économie française, aux dires de tous les bistrots de France et de Navarre. RIP l'Armée de conscription !
Depuis, toujours d'après eux et malgré le RMI et le RSA en remplacement, ce sera le marasme économique dans la profession.

Tiens, parlons de cette garde à l'entrée du tunnel si peu soucieuse de la sécurité de tous, et pas militaire pour un sou, du genre :
-Salut. Tu va bien ? Tu m’ouvres ?
-Eh ! Oh ! Où tu crois aller, toi ? Je te connais ?
-Ben, j’suis nouveau. Je travaille à la météo.
-C'est sûr ? Hein ? C’est bon, passe !

Donc, je laisse mon chien à un pote, enfile le long tunnel miné, avec un autre boyau en chicane de défense (chut, je n'ai encore rien dévoilé !), puis je me présente et salue le responsable prévisionniste grognon qui, tout à mon travail continuait à tracer la 1015 sans me regarder :
-Bonjour mon Lieutenant !
-Ca va, ça va ! On peut toujours compter sur vous ! 10 jours de retard…
-11, mon Lieutenant, 11 jours.
-Faut le faire : 11 jours ! Et vous avez une excuse à présenter ?...
-Ben, j’ai rencontré un ami alors, tous les soirs, on se torchait. Et voila, je ratais mon train de 18 heures.
-Et tous les jours ainsi ? Vous dites ? On règlera ça plus tard !

Je reprenais mon travail de cartographe à digérer les télé-scripteurs et contrôlant la justesse des avis de variation brusque (AVB) avant de les diffuser lorsque :
-Un chien ? Vous dites un chien. Appartenant à un de mes hommes ? C’est une blague, ou quoi ? Le lieut. répondait au téléphone à la garde.
-Mon Lieutenant, c’est mon chien…
-C’est pour ça que vous étiez en retard, Patrice ?
-Pas du tout, mon lieutenant. Non. C’est que tous les soirs on était fin saouls et que le train…
-Ca va, ça va ! Allez me chercher vôtre chien !

Grâce à Lobo le Magnifique en sa robe couleur feu, étoile blanche de Boxer sur poitrail et bout des pattes blanches, 25kg de muscles, gueule sympathique, bref, un petit ourson genre peluche que j’appelais familièrement « dent-dent » pour la raison évidente qu'il cachait bien son jeu, le chef s'était attendri.
-On peut caresser ?
-On peut, Mon Lieutenant ! On peut.
Ainsi Lobo fut adopté à la météo, à la stem, aux services généraux... non, non, pas à la garde, toujours en première ligne des morsures, mais aux cuisines, en chambrée et par les chefs d’Etat-major, tandis que l’adjudant prévisionniste, qui ne m’aimait pas, dut s’incliner.

Par contre, dès qu’un général canadien, américain ainsi que tout officier supérieur de l’Otan ou une huile se pointait au Centre de Décision pour des manœuvres ou une inspection, on demandait au "cabot" Patrice de quitter son service pour aller promener le cabot Lobo que la chambrée avait bombardé Caporal d’Honneur.

Si mes supérieurs reconnaissaient la qualité de mon travail météo, ils préféraient m'éloigner, ne pouvant pas corriger ce débraillé moitié civil, cravate règlementaire coupée dont je portais le bout en guise de galon à l’épaulette qui renvoyait toute l'Armée Française à la cloche. Une hérésie, n'est-ce pas ?
Et je complétais le tableau par des grolles civiles sans lacets, pas cirées, sans chaussettes, et le menton pas rasé. Quant au treillis ? Trop ample, ne tenant à la taille que par une ficelle peu réglementaire. 

Eh, oui, dans ce fort de Commandement, on pouvait même s’octroyer une permission limite désertion et amener son chien sans se faire jeter. Pire encore : on pouvait déambuler sans calot !
Oui, pire car, sans calot, point de salut aux supérieurs et donc point de marque extérieure de respect, ossature principale des armées. En l'affaire, le problème est que le supérieur aime à rendre son salut au bidasse pour bien lui montrer sa supériorité.

Avec ma tête nue d'abêti, lorsque je rencontrais mon supérieur, je le saluais civilement d'une belle inclinaison de tête. Et d'un sourire. Le Lieutenant, les responsables d'Etat-Major, tant qu'on faisait bien son boulot, la tenue et le salut... rien à cirer.  
Oui, mais pour le Commandant du casernement qui ne pouvait pas me rendre ce hochement gracieux et civil en portant la main à son calot à chacune de nos rencontres dans le long tunnel de 300 mètres où je ne pouvais l'éviter qu'à la chicane, l'affaire Patrice lui coupait la chique, l'inquiétait et le rendait maussade toute la journée.

Maîtres-chiens et infirmière comprise, tous dans le fort aimaient Lobo, mis à part mon juteux-prévi et tous les mordus de mon chien. 
Ndlr : "mordus par mon chien" serait-il plus correct ? Voyons voir...
Pour le Commandant, toutefois, je ne le saurais que lorsque Lobo l'aura salué règlementairement, lui présentant ses respects, crocs découverts sous babines retroussées :
-Vous auriez eu une vache, caporal, vous l’auriez amenée ?
-Ben oui, mon Commandant : je suis orphelin, et ma vache n’aurait eu que moi !
-Enfin, faudra me trouver une solution, Patrice. Et rapidement ! Dangereux, ce chien !

Solution ? Ben, on trouvera, et Lobo devenait Cabot d’Honneur. De temps à autre on l’habillait de ma veste de sortie, manches relevées, trois mois de service actif sans jamais émarger aux effectifs, si ce n’est à la cuisine.
Faut dire que mon Lobo portait beau l'uniforme ! Son petit papa en était fier.

Manque de pot, se gavant de viande rouge taillée dans les quartiers de bœuf de l'armoire-frigo, viande à peine grillée sur le piano de la cuisine, Lobo devenait agressif et faisait travailler ses crocs sur les copains. Et à leur plus grand dam !
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*NDLR : Quelle ambiguïté. Et quel style ! Et quelle écriture-plaisir ! 

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