vendredi 26 juin 2015

Lobo rayé des cadres - 8


Dans mon petit fort, éviter le Commandant était manœuvre facile sauf dans le tunnel où le gigantesque animal, tout de bleu vêtu se voyant de loin m'aurait fait une belle cible amie par temps de guerre.

Comme nous tous, les rancuniers, je savais que Mr le Commandant, qui avait le bon droit pour lui, cherchait à se donner bonne conscience. Le déclencheur de sa mauvaise action légale il le découvrit dans un colonel qui, après avoir salué le capitaine responsable de l'Etat-major, vint au service météo, vit Lobo couché à mes pieds et me demanda s’il pouvait le prendre avec lui dans l’amphi souterrain.

Sa visite terminée, ce colonel remonta avec son aide de camp, me rendit mon chien et s’enquit de la route aérienne pour Reims.
Mon remplaçant cartographe arrivé, je descendais le long tunnel vers la sortie avec le colon devant, Lobo en laisse et le pitaine. Arrivé à la chicane du tunnel, nous rencontrâmes mon ami Commandant, que le capitaine salua et qui, en retour, nous gratifia d’un vigoureux coup de raquette réglementaire que le colon lui rendit plus mollement pour ensuite lui serrer la main et le retenir pour bavarder quelques instants.
Moi, décalotté comme tout berbère qui se respecte, je fis un tête-gauche militaire puis inclinais le chef tout ce qu’il y a de plus civil.
Je vis que cela ne plut pas au Commandant qui ne fit aucune remarque devant le colon.

Le lendemain, je fus convoqué par l’officier supérieur qui me notifia que mon chien était PNG (persona no grata) comme tous civils dans l’enceinte des forts (nonobstant ceux affectés au service de l’Armée).
-Mais, mon Commandant, pour le ramener au Vigan, il me faut des jours de permission.
-Vous vous présenterez aux Effectifs. Ils sont prévenus. Prenez  8 jours pour dégager ce chien.
- Mais… je n’ai plus d’argent sur mon compte pour le billet de train.
-Voyez avec les Effectifs. Dès lundi, vous vous présenterez, en tenue, au poste de garde, vôtre chien tenu en laisse. Sans faute !
Il faut dire à la décharge de cet animal que Lobo lui avait exprimé et bien marqué, à ce qu’on m’a dit, son respect profond, dents sur babines retroussées avec sourd grondement.

Le commandant de Fort oublia de me dire, qu’à mon retour, je devais vider le fort Coligny (du nom d’un amiral protestant assassiné à la St Barthélémy… était-ce lui ou un de ses adversaire catholique qui avait donné son nom au fort ?) oui, je devais vider les lieux car le « patron » désirait ne plus apercevoir la mauvaise tenue de l’armée française que je représentais aux yeux de tous nos visiteurs, l’uniforme primant le travail dans l’armée française, on le sait bien.
Et moi, j’étais muté sur un plateau lorrain désolé battu par les vents, au fortin du Services des Transmissions de l’Etat-major, le fort de Mourmansk, un alias, qu'on se rassure.

Le vrai nom du fort est celui d’une ville russe brûlée par Napoléon* mais j’ai juré de fermer ma grande gueule pour ne pas aider les ennemis de la France, dont les ricains qui nous espionnaient durant mon Service Militaire et qui, 50 ans plus tard, en 2015, croient toujours que nos présidents français ne sont pas des patriotes mais de bons jihadistes, si j’ose m’exprimer ainsi.
Et dire que nous sommes les meilleurs amis des USA. On n’ose le croire !
*Ndlr, Gilou voulait-il dire : "brûlée par la faute de Napoléon"? Sans nul doute !

Le commandant ne voulait plus me voir ? Qu’à cela ne tienne : moi non plus, je ne l’aimais pas, et penser à toujours l’éviter m’avait donné un de ces torticolis. Même, et même que je n’avais plus envie de lui tracer la moindre carte météo à cet animal. Parole d’honneur.

Et voilà qu’un lundi matin je quittais le fort Coligny accompagné jusqu’à la gare de Metz en jeep, capote revêtue, Lobo réglementairement tenu en laisse, en direction du Vigan.
Pour le retour de la mission ? Mais, je pris 11 jours de perm supplémentaires à la santé du Commandant puis gagnais le fort de Mourmansk qui s’appelait ainsi à cause de sa position stratégique vers l’est exposée aux bises froides des hivers venus de Russie.

Dans ce nouveau fort de la STEM, la discipline était plus que… comment dire… innommable, impayable, extraordinaire ? Je pourrais raconter ma tenue réglementaire qui s’était détériorée, mon travail devenu plus qu’approximatif et, tout comme les ricains aujourd’hui, j’aimais bien espionner au standard téléphonique tous nos correspondants officiers, les faire attendre, les envoyer sur des voies de garage… enfin, je me rendais utile dans tous les emmerdements que je pouvais leur occasionner.

Et même qu'à Mourmansk, on pouvait détériorer un téléscripteur pour s’amuser, mettre sur le côté un Dodge, aller voler un mouton au fermier du coin qui s’en vint pleurer au capitaine du fort et autres joyeusetés, en tout bon contingent français.
Pour le téléscripteur et le mouton, qu’on mangea, il n’y eut point de coupable : tous l’étaient et personne ne fut puni car tous furent déclarés innocents pour éviter une « grève » à la STEM.

Mais, le boulot se faisait toutefois : on confectionnait des bandes perforées pour les informations chiffrées retransmises aux américains, aux allemands, aux belges, aux anglais aussi et même au fort de Coligny pour que les collègues du Service Météo de la 1ère RA puissent tracer leurs cartes.
En plus du travail, lorsque les chefs étaient absents, on amenait des nanas qu’on trimballait dans les grandes caisses de contre-plaqué servant à recueillir les bandes et les papiers à jeter. Fallait bien s’amuser un peu, non ? Et rigoler ?

Et rigoler aussi, sachant que les civils, chiens compris sont interdits d'espace militaire, mais pas les nanas. Au moins elles n'ont jamais songé à sauter à la gorge du Patron du fort comme Lobo mais pouvaient bien espionner et, vous pouvez comprendre qu'en vidant Lobo, Commandante préférait sa tranquillité à la sécurité de l'Armée. Normal, pour un supérieur, d'ainsi se comporter.

A Mourmansk, on draguait les standardistes des PTT alentours. C’est là que j’appris qu’une voix « jeune » pouvait appartenir à une vielle dame et qu’une voix charmante pouvait être celle d’un laideron. Mais, on le leur pardonnait et on buvait un coup avec elles, belles ou laides, jeunes ou vieilles.

Eh, oui ! On apprenait vite et bien à l’Armée, et j’en ai fait profit. Surtout pour la frappe au téléscripteur qui me sera bien utile, même à ce jour pour mon blog. Dommage que le J de mon ordinateur ne tinte pas pour avertir mes correspondants comme celui des téléscripteurs Lorentz d'antan…
Imaginez que je vous réveille à chaque fois que je tape un J ? Drôle, n’est-il pas ? Imaginez encore :
-Jeanne, ma Jeanne, ma Jeune rouquine coquine… que J’aimerais à Jamais faire JouJou tous les Jours à vous baiser les Joues. Et vous enJoins de bien vouloir abaisser tel l'abat-Jour vôtre Joli Jupon Jaune, ce Jupon dont Je n'ose espérer, Jeanne, ma Jeune et Jolie Joliesse !... Oh, Je dois espérer ! 21 coups de sonnette !
Enfin... mal retranscrit : le J était minuscule sur les téléscripteurs.

Mais voila que, Lobo rayé des cadres de l’Armée française sans jamais y avoir été inscrit, mon Service militaire commençait à me fatiguer. Et le Père Cent et la Quille à se faire sérieusement languir.

PS : ce jour de notre anniversaire du vendredi 26 juin 2015, nous voguons allègrement sur le 70ème déclinant.
Et salut à cette jeune dame de 70 printemps sonnés, Madame ONU.

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