mardi 12 avril 2016

L'enfant-roi - 1


Si le roi j'étais...

Nos vieux, à la fraîche des soirs d'été, près de la fontaine du village regardaient leurs petits-enfants jouer à s'asperger et se surprenaient à les aimer encore plus, ces petits morveux criards si insouciants et si pleins de vie. 
- Tiens, je crois que ton Albin de 6 ans a un faible pour ma petite Carina... Et cela se sentait.
Sauf que, comme tout passe, tout lasse, tout casse pécaïre, les pauvrets, ne le sachant pas encore souffriraient aussi du grand mal d'amour. Ainsi va de toute vie, et que la joie de leurs jeux puérils causait tristesse à ces vieux qui aspiraient tous à revivre leurs amours d'antan, leurs malheurs, à la rigueur mais ne pouvaient que feuilleter le grand Livre de la Vie, constatant avoir, malgré tout bien vécu. Ainsi disaient-ils.

Que c'était bon, alors, lorsque Amour rimait avec Jeunesse toujours ; mais, que tout ce qui finit, même le pire est grand malheur regrettaient ces vieux, tandis que nous, aujourd'hui, faisant plus jeune :
- Soit, mais tu as de beaux restes...et de beaux jours. Et la jeunesse du coeur, tu en fais quoi ? 
- Avec ce coeur fatigué, que ferai-je de l'amour et d'une jeunesse ?

Mais, non ! Pas une jeunesse... N'importe quoi ! Voila donc ce que je propose : réinventons la vie. Pardon ? Mais, non, il ne s’agit pas de jouer à la vie, quoique en un sens, à bien y réfléchir, ne la joue-t-on pas toujours sur un coup de tête ? Et qui peut prétendre connaître par avance le résultat de ses "décisions" ? 
Ne serions-nos pas restés ces gosses mal dégrossis espérant que tous nos vouloirs se réalisent par la pensée magique, la marelle en prime en sautant à cloche-pied, et toujours collés au "Je le veux, parce que je le veux. Et que je suis déjà grand, na !" ? Et quid de la dînette ?
- Terre... Ciel... Soleil !
Je vous intéresse ? Bien. Voyons voir. Je connais un certain essayiste-philosophe, avec son mot sur tout, que nous pourrions renvoyer de l’Académie Française, qui n’en méritait pas tant, pour le faire plancher à l’Académie des Sciences. Car, à la ramener… Ainsi, nous profiterait-elle, sa science pour mieux comprendre les bienfaits du jeu, à tout âge, et d'âge en âge.

- Tu penses à qui je pense ?... et, pourquoi pas l’Académie des beaux Arts ?
- Oui, mais : attention, Markus, la philosophie, n'est pas l'art de la parole. Elle se propose d'expliquer la vie avec un temps de retard, soit, ce qui n'est pas de la faute du penseur à qui nous ne tiendrons pas rigueur, pas vrai, collègue ?...
- Si tu veux. Mais la parlotte pour la parlotte n’en demeure pas moins un des beaux arts de l'enfumage. Tu ne démens pas, Finkielkraut ?
- Oui, mais Markus et Alain, répondez-nous : un tout petit peut-il tomber en amour ? Tenez, plus fort : l'amour serait-il cette fontaine de jouvence que tous regretteraient, lorsque la nuit tombe ? Vois-tu, Markus, considérant que, et à bien y réfléchir...

Il était une fois de très jeunes enfants qui refusèrent, dans un pays de conte de fées, de grandir pour la bonne raison qu’ils avaient sous les yeux, et tous les jours, l’exemple de leurs parents. Et du jeune roi méchant, comme aimaient à dire les enfants, pour la seule et unique raison qu’il avait répudié la gentille reine Mado et pris une roturière plus jeune pour épouse, Lolotte, au grand dam de ses loyaux sujets qui, eux, en bons moralisateurs, faisaient petitement, et en cachette ce que le roi se permettait dans les ors, mais sans jamais vouloir tous divorcer. Pour un roi très chrétien, la honte. Pour ses sujets ? Bof !... Avec ça, parents, allez donner l'exemple !

Le roi, considéré comme très méchant, par nos bambins en culottes courtes ne l’était pas tant pour nos jupons multicolores qui le trouvaient… mais d'un beau, à se pâmer d’amour, ne trouves-tu pas Sylviane ? Oh, oui. Il est si mignon, je le veux, je le veux moi aussi !
L’amour brillait déjà dans les yeux des fillettes qui, toutes se rêvaient en lieu et place de la nouvelle reine d’humble extraction qu’elles trouvaient bien belle et jeune, mais pas tant que ça. Un peu nunuche, même. Mais, une roturière, comme elles, toutefois. Incroyable.

Les filles, par atavisme se gardaient bien de dire leur ravissement aux garçons qui, eux, n’aimaient pas le roi car ils auraient aimé être à sa place, voila pourquoi ils s’accordaient : le roi n’était qu’un vilain et moins beau qu’eux tous, même Victor le boutonneux, et surtout le Urbain qui est moche comme un poulet au long cou décharné.
Allez, ne mégotons pas : les garçons se voulaient sa majesté méchante, même si le cœur des filles  battait toujours plus vite lorsque sa royale grandeur promenait, fiérot, sa nouvelle reine, la belle conquête par les rues de la seule ville du royaume, et pourtant sa capitale. Allez comprendre !

Aussi, un semblant de révolution… que dis-je, de Commune à l'école se mit en place et tous firent allégeance à cette grande gueule de Victor, le boutonneux qui parlait gras, grossièrement avec trop de pipis-cacas dans la bouche....
- Ça promet, pensaient les fillettes, 
...mais un Victor qui savait se faire obéir et aimer par son allant à tout oser. Certains, les plus nombreux, après leurs caisses à savons de course le voyaient futur directeur de l’usine royale de carrosses et de chars, charrettes en et autres camions tirés par des chevaux, rappelez-vous que nous étions dans les temps d’antan.
D’après Antonin, directeur, le Victor ? Euh, peut-être pas. Syndicaliste ? A la rigueur, et encore.

(Petit aparté pour Firmin : l’histoire que je conte ici, bien que je la tienne de toi est celle de ton arrière-arrière-arrière-arrière grand-père Antonin. C’est pourquoi, Firmin, nous nous accorderons sur le fait que Victor deviendrait plutôt sergent du guet, ou gardien de la prison royale, il en a la gueule, forgeron et bourreau, à la limite. Mais pas syndicaliste).

Tous les enfants de la contrée, les filles exemptées, à cause de la beauté de notre roi  furent malheureux et, pour se consoler se réfugièrent dans le jeu du « si j’étais le roi, le roi je ferais». Mais pas comme lui. A d'autres !
- Si j’étais le roi, la reine Mado j’aura gardé affirmait Victor, elle si bonne.
- Oui, mais si vieille, ricanaient en toute cruauté les filles.
- Moi, même que si j’étais roi, je n’aurais pas répudié la reine : elle ressemble à ma mère disait Antonin qui s’accordait mieux avec les temps et, se satisfaisant que papa ayant pris pour maîtresse la mère d'Isabelle, il les avait surpris au lit, n’ait pas répudié la mère qui était si bonne maman.
- Faux, pensaient in-petto les filles, ta mère, elle est vieille, vieille et moche, Tonin.
Aucune toile de maître représentant la maman d’Antonin n’ayant été retrouvée par son descendant Firmin, faisons confiance aux filles, même si leur constatation ne serait pas à prendre pour écu sonnant, ce qui n’est pas une révélation extraordinaire, que je sache.

A table, à la chandelle, on s’amusait avec sa cuillère, la fourchette n'ayant pas encore été inventée, les petits garçons croyant trancher dans les navets comme dans les fesses dodues du roi pour le punir, tandis que les petites sœurs, elles, préféraient caresser les yeux du potage du soir en rêvant à la peau veloutée du roi, sa vigueur, sa prestance, son sourire craquant mais, tout comme les garçons, elles écrasaient quand même la petite carotte royale pour la punir, ainsi, d’avoir choisi autre princesse qu’elles.

Les papas ne s’inquiétaient pas de ce jeu où les garçons, silencieux d’habitude au souper, picoraient dans leurs assiettes tout en fredonnant à mi-voix des sortes de chants martiaux, voire révolutionnaires, avec des "Ca ira, ça ira..." la bouche pleine, s’il vous plaît, et même que, parfois, ils s'autorisaient à parler haut.
- Laisse, maman. Il a reçu un bon point et une image sainte à l’école. Laisse. Puis doucement, Fiston ! Tu écornes les oreilles de maman, elle qui ne s'inquiétait pas des rêvasseries de la petite soeur :
- Laisse, papa. C'est l'âge bête !
Oh, comme les parents de nos parents savaient mieux comprendre nos parents. Touchant !

Les filles, n'étant pas de reste au repas du soir chantonnaient, languissantes : « En passant par la Lorraine », une fredaine qui les faisaient toutes benoîtes, mais peut-on s’attendre à autre chose que de la tendresse chez les filles lorsqu’elles entament la strophe « puisque le fils du roi m’aime » ? On se le demande.
Oui, mais, le roi n’avait pas encore de fils et, lorsqu’il serait nubile, les filles, en dépassement d'âge ne l'intéresseraient plus, ce qui les désolait grandement.
Nos garçons préféraient « Malbrought s’en va en guerre » mais en avaient perverti le sens. Il n’était plus question que de chanson réaliste : en guerre, soit, mais les deux pieds, les deux mains dans la merde, comme il sied à toute guerre.

Que firent les parents ? Rien. Et pourtant, même le roi, pourtant tout béat par son nouvel état d’homme heureux commença à s’inquiéter. En effet, son directeur des services de vigilance, Monsieur le Bourgmestre Manuel, l’avertit secrètement, comme il était du devoir de sa charge :
- Sire, inquiétez-vous des résultats scolaires. Un vent de fronde, sire ! Oui.

Les enfants des écoles royales catholiques (elles l’étaient toutes) inventèrent une charte et tous durent cracher en signe d’allégeance. Aussi, décidèrent-ils que seul importait le jeu et qu’aucun soi-disant principe de réalité ne saurait les contraindre à quoi que ce soit, les grandes personnes divorçant de l’amour-toujours les en auront dégoûtés à jamais, leurs seules obligations ne tiendraient toutes qu’au seul respect des règles du jeu du « comme si ».

Dans la joyeuse bande, quelques trublions, pour exciter les filles se voulaient méchants garçons, de la racaille, quoi. Paraît que les filles adorent, comme à nos jours  :
- Oui, mais les parents ils sont toujours raisonnants. Ce qui cloche.
- D’abord, ça résonne pas les parents, na ! Nadège avait mal entendu. Et puis on s’en fout des grands, lança-t-elle, ce que reprenait toutes les autre voix enfantines.
- On s'en fout des parents, on s'en fout des grands, on s'en...
Une révolution, que dis-je : une Commune libertaire d'enfants qui se libéraient naissait bien avant 1789.

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