mardi 21 mars 2017

De la déprime - 3

Je tenais à rassurer Denise, mon amie psychiatre par un vibrant : "tu t'es encore trompée !" puis en citant les deux premiers vers de La Lorelei, le poème d'Heinrich Heine :  
"Je ne sais d'où me vient 
Que je sois si triste". 

Pour sûr, cet appel matinal nous fit du bien et, curieusement notre conversation effaça quelques instants ma déprime. Ça donne des idées.
-Patrice, encore toi ? C'est dimanche, pas possible, oh ! Rien d'autre à faire de ta vie que d'emmerder ton monde ?...
-Mais, Denise, écoute-moi, je t'en prie...
-Je t'interdis de m'en prier, emmerdeur, va ! Forcené de première. En tout. Te moquer de moi, c'est bon ça. Là, maintenant, tu jubiles, non ? Je le sens bien. 
-Mais, Denise, je ne voudrais pas que tu croies...

-Arrête-là, Patrice. Pouce et tout doux, Monseigneur de la Simagrée. Ton plaisir, tu ne le puises que dans la nuisance. Une jouissance de pervers, pas vrai ? Occasionnelle, tu es un plaisantin, permanente, c'est foutu. Et moi qui pensais qu’avec l’âge tu te bonifierais mais, bon sang, tu as une de ces santés d'imbécile heureux ! Pas besoin de me rappeler pour me conforter : tu as un grain de folie. Consulte rapidement.
-Mais, ma chère...

-Ma chère ? Qui, moi ta chère ? Patrice, pas de ça entre-nous ! Dis-moi, à part d'emmerder ton monde, ton unique raison d'être, que fais-tu pour être aimable ? Non, ne réponds pas trop vite, tu dirais encore une connerie. Cherche bien et pendant ce temps, tu me lâches, compris ? Pénible, va ! Tu titilles jusqu'à la rupture pour qu'on t'aime ? Mauvaise pioche, aussi je te suggère l'amabilité. Transmets mes amitiés à Fanny, ça tu peux faire. Non, pas à toi. Déprime si ça te fait du bien, va mourir, et bon vent. Note que tu m'as bien amusée ce dimanche. 
-Mais, Denise, tu es dure avec...

-J'oubliais : cours vite communier au temple pour te faire des amis, tu es en manque, puis va les emmerder... Quoi ? Tu préfères venir consulter aujourd'hui ? Et puis quoi encore ! Ce que tu peux être con quand tu t'y mets. Si, si tu m'amuses mais ne m'appelle que pour m'annoncer que tu es mort... Ça te fait de la peine, mon pauvre ami ? Note bien que ça m'en fera à moi aussi, oui. Pardon ? Mais non, tu ne me fatigues pas, où vas-tu chercher tout ça ! 

On voudra croire ce dialogue imaginé parce que je n'ai pas pu en placer une ? Que l'on se détrompe car la Denise, ce psychiatre cévenol féminin agressif, taillé à la hache comme nos vieux châtaigniers, la voilà en sa beauté toute qui gagne à être connue. L'affectivité contenue par trop de timidité nuit, je le dis toujours. 

Un emmerdeur, moi ? Impossible, tout au plus un maïeuticien des esprits, légèrement espiègle ; un empêcheur de tourner en rond un peu fou, admettons ; un découvreur tatillon de talents cachés, à l'occasion ; un réboussier aiguillon de la perspicacité accroché à sa mauvaise foi, si vous voulez ; un moraliste luxuriant qui tape souvent juste dans tout ce qui touche à l'humanité, pourquoi pas ; un philosophe bon enfant de la vie c’est rien mais la vie c’est tout, si on veut ; un poète méconnu, admettons ; un excellent camarade dans le service rendu, un impulsif qui aime donner bêtement et qui ferait mieux de réfréner ses coups de cœur, voilà qui je suis et, si on peut tout dire de moi, un emmerdeur ? Pas que je sache. Et, même si ? Qu'importe si vous m'aimez ?

Il est vrai que toutes ces qualités réunies pourraient me faire passer pour un bel abruti et, en ce sens on pourra dire que Denise faisait un sans faute. Pourtant, je me considère comme un grand bonhomme atypique, gênant mais sans plus, voilà qui je suis. Adorable même. Et honnête ? Aussi… quoique je n’ai jamais trouvé une sacoche avec un million d’euros, un peu moins même, l’honnêteté résisterait-elle sans une longue réflexion ? Serrer une telle sacoche sur son sein, serait-ce un mal si ça nous fait du bien ? La rendre, un bien si ça... Ou l'inverse ? Qui pourrait dire qu'il se connaît, et même s’il y avait le nom du propriétaire sur tous les billets, je dis bien sur tous, cela ne mériterait-il pas réflexion ? Même moi qui suis si impulsif, l'hésitation à faire et bien faire mériterait que l'on s'y attarde.

Denise, je tente bien de m'en sortir mais la déprime n’est toujours pas loin. Je constate que si je me tiens bien, prends ma douche, me rase un jour sur trois, me change chaque matin pour sortir, je n’entretiens plus mon intérieur, à chaque matin suffisant sa peine. Je suis tête en l’air et mes chaussettes sont souvent dépareillées, on ne s'en rend compte que le soir en les enlevant, démoralisé par le comment elles arrivent à s'y prendre. J’oublie parfois de mettre un slip, je perds mes clefs, cherche des heures tel outil à la vue, relève rarement mon courrier, néglige de faire mes courses et de me nourrir correctement mais, à part ça, tout va bien. C’est ce que j'aimerais croire. Et pourtant, pourtant tout va mal dans ma vie.

Si je me force à saluer les passants, si je m’oblige à rencontrer des gens en délaissant mes amis, si je me sens tenu à donner parfois la pièce à des sans-abris qui, je l’estime ne la méritent pas toujours, rien ne va plus et je me sens inutile ; tiens il y en a un qui m’a traité de nazi seulement parce que je lui faisais remarquer qu’étalé de tout son long sur le trottoir, il gênait. Je le gratifiais d'un :
-Fais du stop et je te prendrais dans ma Panda.
Déprimé et agressif. Mais, ce n’est pas tout car il est aussi vrai que je pose peu de textes sur mon blog même si je travaille tous les jours des écrits. Tiens, j’avais même flashé sur une guitare, une pelle d’après Américo qui s’y connaît plus que moi sur les prix et heureusement vendue avant que je ne l’achète. Disons que je reprends lentement mes marques. Mais, pour quoi faire ? Je vous le demande à vous qui ne vous posez pas de questions : quels sont, et le sens et le goût de ma vie ?

Le bizarre dans toute cette affaire, voyez mon état, si je suis conscient que rien ne va, dans ma tête tourne en boucle un air joyeux qui m’obsède "Viens Poupoule, viens !" que je n’arrive pas à chasser. Mes pensées ? Curieux, j’ai l’impression de ne pas en avoir ce qui m’arrange et me déroute à la fois : je n’ai pas d'idées, même pas d’idées noires et, pour faire bonne mesure, aujourd’hui j’ai reçu une lettre du tribunal d’Alès avec une amende de 375 euro pour stationnement gênant sur trottoir à Ganges. Faudra que je fasse immatriculer ma prochaine voiture en Corse.
 
L’année 2017 ayant mal commencé, je me suis dit : "Consultons Bruno* et la Normandie".
-Tu as toujours été un peu fou.... Non, c'est un compliment. Tu le sais et je t’ai toujours connu comme ça. Tu déprimes ? Allons, allons... n'importe quoi ! A d'autres ! Amuse-nous avec tes conneries, surprends-nous et tu prendras plaisir à la vie. Je te fais confiance sur ton humour, oh dont souvent tu n’as même pas conscience et de ton pouvoir de « nuisance »... oui, tu es un mec à problèmes. Il en manque ? Tu les crées. Ta marque de fabrique. Changer ta gueule de loup affamé ? Impossible. Mets-y un sourire à l’occasion avec un mot gentil, ça surprendra, pour sûr mais ne change surtout pas, mon poteau. Et passe me voir à l’occasion.
-Promis. Le 14 mai à l’anniversaire de Christine. Le 13, je suis à Montpellier pour un contrôle de PSA. On fera du Brassens.
Ndlr : des Bruno, Jean, Jean-Claude et autres Daniel, la Normandie en est farcie. Intéressant !

A changer ma gueule et mon look, pourquoi pas, aussi allais-je consulter Madame l'esthéticienne. Sa boutique ? Soliflore. Tout un programme quand on voit la Madame.
-Monsieur, que je vous arrange ? Ben... voyons voir. Vous êtes un peu petit, pas trop baraqué ? Ça ne gâte rien. Les femmes aiment aussi. Oui, Monsieur. Les cheveux ? Trop court et, vous m’excuserez mais cela vous fait une tête de tueur, vous préférez de dur ? Comme vous voudrez. Vos sourcils ? Ils poussent n’importe comment, trop longs, trop larges… les épiler ? Si j'étais vous, je n’y songerais même pas car il faudrait les refaire au crayon, je ne m'y vois pas surtout qu'un homme qui se maquille, voyez ce que je veux dire, déjà que vos cils… très féminins.  Curieux quand même avec votre tête... Peut-être des lunettes pour faire plus intellectuel ? Vous avez des yeux de bon chien… un peu trop battu ? Oui, dommage. Votre profil, intéressant. De face, au couteau, trop inquisiteur. Avec une moustache plus fine, vous feriez argentin. Le moins, votre trois-quart. Ça, vous n’y pouvez rien. La peau est belle. Rien à redire. Disons, et sans vous fâcher, heureusement que vous n'êtes pas une femme. A désespérer. Moi à votre place... Non, difficile à retoucher.

-Impossible de me faire plus avenant ? Désespérant.
-Commencez déjà par vous habiller avec un peu plus de recherche. Voyez vos jeans bien trop amples, une faute de goût. Mettez en valeur votre corps. Peut-être que votre femme pourrait vous aider ? Ah, elle est en Afrique… et les africains ne "se sappent" que lorsqu’ ils sont en France ? Imitez, Monsieur, copiez ! Là-bas, on se vêt plus chichement, oui j’avais oublié. Bon, de vous améliorer, entre guillemets, moi, ce que j’en dis vous savez c’est je n’entrevois pas de solution pour vous aider, mon pauvre monsieur.
Conclusion ? J’ai ma tête. Pas une belle tête mais une tête quand même. Pourtant, accepter de finir dépressif, de mourir comme me le suggère Denise, ce ne serait pas la joie.

-C’est la vie et on n’y peut rien. Oublie ta tête, tu sais, ça a du bon…
On s'y fait tous. Comme si on pouvait se remettre de tout et d'une figure impossible. D'une gueule de déprimé en plus.

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